La police des grains en Franche-Comté au XVIIIe siècle Les produits céréaliers,

La police des grains en Franche-Comté au XVIIIe siècle Les produits céréaliers, et en particulier le bled, constituent jusqu'à la fin du XIXe siècle l'alimentation de base d'une grande partie de la population française : “ Le grain est un produit de première nécessité : une question de vie ou de mort pour des millions de consommateurs ”1. La moindre erreur dans la politique suivie se répercute sur le public. Le commerce des grains tire sa puissance et sa raison d’être du principe de marché. Le jeu de l’offre et de la demande détermine la répartition des revenus entre producteurs, intermédiaires et consommateurs. Le jeu du marché suit un schéma général d’ajustement automatique et perpétuel des prix selon l’offre et la demande. La loi du marché exige une liberté du commerce sans contraintes. C’est l’existence des contraintes et son allégement éventuel qui guident le débat économique du XVIIIe siècle. Dans les faits, de mauvaises récoltes successives, en entraînant la hausse du prix du bled, provoquent des crises de subsistance quasi endémiques au XVIIe siècle en France. Ces difficultés d'approvisionnement s'accentuent en période de troubles intérieurs ou de guerre. Pourvoir aux besoins immédiats de la population est une préoccupation des gouvernements pour éviter les années de disette. Le pouvoir ordonne donc en temps de crise des réquisitions et des rationnements. À plus long terme, il tend à encourager la production — défrichement des terres incultes, introduction de nouvelles cultures, dessèchement des zones marécageuses, perfectionnement des méthodes de culture — pour parvenir à remplir les “ greniers d'abondance ”. Très tôt se développent aussi le commerce des grains et parallèlement les moyens de lutte contre toute velléité d'accaparement ou de monopole : ce commerce fait l'objet d'une réglementation particulière appelée la police des grains. Le XVIIIe siècle marque une ultime étape de la longue histoire de l’opposition entre une conception paternaliste de la société et une conception basée sur un mode libéral. La formation du prix des céréales fut longtemps soumise à la morale : la notion de juste prix2. Cette conception de l’économie conduit à l’autoconsommation et à l’autarcie, d’abord dans un milieu familial, puis dans une communauté ou une cité. Le mercantiliste fait passer l’économie au stade étatique. Le marché des grains était conditionné par des devoirs du pouvoir royal. Le premier devoir du Roi est celui de la charité envers les pauvres ; le deuxième est de vieller à l’approvisionnement des marchés, surtout urbains ; le troisième est de privilégier le consommateur national par rapport aux acheteurs étrangers. Le pouvoir royal doit veiller au bon fonctionnement des marchés. Cela se traduit par une surveillance de l’approvisionnement des marchés locaux et un contrôle de la formation du prix. Les nouvelles doctrines économiques qui naissent au milieu du XVIIIe siècle remettent en cause ces conceptions. Les physiocrates préconisent la culture et la circulation des grains, ce qui garantit selon eux la prospérité économique du pays. Selon les mercantilistes, les richesses sont en quantités fixes, il convient d’en attirer le plus possible, non par la création, mais en prenant aux autres. La différence entre ces deux doctrines, semble-t-il, est que le mercantilisme ignore la croissance économique : tout est figé et immuable. Selon les physiocrates, il faut accroître la 1 Cette phrase de Steven L Kaplan nous semble bien mettre en lumière la place des grains dans la vie alimentaire sous l’Ancien Régime. Kaplan (Steven L) Les ventres de Paris – Pouvoirs et approvisionnements dans la France d’Ancien Régime, Fayard, 1988, p. 18. 2 Cette terminologie du juste prix des prix des grains se retrouve chez les auteurs du XVIII e siècle. C’est le juste prix chez Condorcet, le prix raisonnable pour Necker, le vrai prix pour Condillac et le prix juste et naturel pour Turgot. Saint-Jacob (Pierre de) La question des prix en France à la fin de l’Ancien Régime d’après les contemporains, p. 136, RHES 1952, pp. 133-146. Mais chez ces auteurs la notion du juste prix correspond à un juste milieu entre le bon prix et la cherté des grains. 1 production. La doctrine physiocrate a inspiré la législation d’augmentation des terres cultivables. À partir de la deuxième moitié du XVIIIe, la nouvelle doctrine économique influence le pouvoir central. Cette nouvelle doctrine peut être synthétisée par la formule de Vincent Gournay "laissez faire, laissez passer"3. Il est clair que la conception du rôle de l’État n’est plus celle du volontarisme qui cherchait à contrer les lois naturelles, mais celle qui lui assigne comme premier objectif de les respecter. Pour autant, l’État peut tout de même développer une politique économique, qui consiste en l’occurrence à favoriser l’accroissement du produit net, c’est-à-dire la croissance, qui est bien sûr favorable à l’amélioration des finances publiques ! Le domaine essentiel est celui du commerce extérieur, domaine où le dessein de ces nouvelles théories économiques est le plus probant. Il s’agit d’établir la liberté des échanges, qui doit également être respectée dans le pays. On va ainsi favoriser la détermination du “ bon prix ” tel que la valeur de marché ne s’écarte pas de sa valeur fondamentale. Dans le cadre de la France de cette époque, cela signifie en fait qu’on cherche à faire augmenter les prix agricoles par rapport à leur niveau antérieur : les mercantilistes s’étaient efforcés de les maintenir bas afin de conserver des salaires et des coûts de production faibles. En interdisant les exportations de grains, pour maintenir une abondance favorisant les bas prix, les mercantilistes réussirent à faire que les prix agricoles français furent les plus faibles d’Europe. Les physiocrates espèrent donc, par la libération du commerce et la possibilité d’exporter notamment vers l’Angleterre à des prix plus élevés, restaurer un niveau normal de ces prix, et favoriser ainsi les producteurs et les propriétaires fonciers. Le prix faible des céréales s’explique par le fait que la production agricole est supérieure aux besoins moyens de la population du royaume4. La police des grains sera étudiée dans la Franche-Comté du XVIIIe siècle5. Cette étude permettra de mesurer l’impact des réformes économiques au sujet des grains dans une société essentiellement rurale. Ces réformes économiques sont une remise en cause du mercantilisme qui annonce l’ouverture de l’économie sur le marché extérieur. De plus, les économistes de la fin de l’Ancien Régime ont introduit un nouveau concept, selon lequel les grains dans les champs, dans les greniers, sur les marchés, sont le bien absolu de leurs propriétaires, ce qui entre en contradiction avec “ l’économie morale populaire ”, celle-ci est renforcée par des pratiques paternalistes traditionnelles estimant que la vente de cette propriété connaît des limites réelles. Le fait que les autorités dans certaines régions ont pu prendre des règlements paternalistes révèle la tension entre ces attitudes contradictoires6. La Franche-Comté est 3 Olivier-Martin (François) Le déclin et la suppression des corps en France au XVIIIe siècle, p. 156, Université de Louvain, Recueil de travaux, L’organisation corporative du Moyen-Âge à la fin de l’Ancien Régime, Études présentées par la commission internationale pour l’histoire des assemblées d’États, tome 2, Bibliothèque de l’Université de Louvain, 1937, pp. 149-164. 4 Grenier ( Jean-Yves) L’économie d’Ancien Régime – Un monde d’échanges et d’incertitudes, Paris, Albin Michel, 1996, p. 269. 5 Cette étude est basée sur les documents des Archives départementales du Doubs : le fond de l’intendance et le fond du Parlement. Le fond de l’intendance utilisé est la série commerce de la subdivision appelée économie de ce fond. Il est formé de vingt-deux cartons, mais en ce qui concerne la police des grains de 1760 à 1789 : c’est huit cartons. Pour la période antérieure à 1760, le fond est constitué d’avis de l’intendant au sujet de demandes d’exportations de grains présentées au Conseil. Cette série est caractérisée par des lacunes, tout d’abord en ce qui concerne la période où Turgot était Contrôleur général et la période postérieure à 1780. Les archives concernant les foires et marchés sont constituées de deux cartons. Nous avons aussi dépouillé les arrêts par écrit de la Grande Chambre du Parlement de Besançon. Nous avons eu aussi recours à d’autres documents du fond de l’intendance. 6 Bouton (Cynthia A) L’économie morale et la guerre des farines de 1775, p. 95 in Thompson (Edward P.), Bertrand (Valérie), Bouton (Cynthia A), Gauthier (Florence). [et al.] La Guerre du bled au XVIIIe siècle : la 2 productrice de grains, et sa production nous semble supérieure à sa consommation, mais c’est difficilement quantifiable. Dans cette province, le but des théories économiques préconisant le libre-échange prendra toute sa signification. À partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la police des grains aura pour but d’ouvrir la province sur le marché intérieur et extérieur des grains. On va instaurer la liberté du commerce des grains (I). Ensuite, il faudra étudier si la police des grains s’applique uniformément dans la province (II). Enfin, nous devinons que la question du commerce des grains est primordiale en cette matière, aussi est-on conduit à s’y attarder (III). I. La liberté du commerce La liberté du commerce des grains n’est pas une uploads/Finance/ la-police-des-cereales.pdf

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  • Publié le Dec 12, 2022
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