L’EXPERIENCE MAROCAINE EN MATIERE D’INVESTISSEMENTS DIRECTS ETRANGERS: QUELS EN

L’EXPERIENCE MAROCAINE EN MATIERE D’INVESTISSEMENTS DIRECTS ETRANGERS: QUELS ENSEIGNEMENTS PEUT-ON EN TIRER?* Abdelkader Berrada** «Il faut savoir résister à deux tentations: rejeter tout en bloc (« ce ne sont que des statistiques ») ou accepter tout sans réfléchir. Cette seconde tentation est plus dangereuse qu’on ne croit, car il est parfois très difficile, même à une personne avertie, de ne pas y succomber: on cherche un chiffre difficile à obtenir; si on le trouve, on est si souvent content que l’on oublie de se poser des questions, ou bien le chiffre trouvé confirme ce que l’on pensait, et tout esprit critique disparaît… Le risque de ne pas se laisser tromper ou de mal interpréter est fortement réduit si, en face d’une donnée statistique quelconque, on ne manque jamais de se poser des questions, en faisant preuve de bon sens et d’esprit critique. En un mot: réfléchissez!» (J. Klatzmann, Le Monde des débats/février1995, p.15) La sortie du Maroc du cycle de rééchelonnement de la dette publique extérieure éligible à cette pratique (1983-1992) date de 1993(1). Avec le retour supposé de la confiance, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) manifestent une tendance à la hausse. Les statistiques de l’Office des Changes, généralement établies dans le respect des normes recommandées par le FMI, permettent de rendre compte de l’évolution ascendante mais irrégulière des investissements et prêts privés étrangers (IPPE) ainsi que de leur structure apparente. Il en ressort que, sur la période 1992-2007, leur montant, sans être constamment orienté dans le sens de la hausse, a été multiplié par près de 10: en 2007, il plafonnait à 41,379 milliards de dirhams (MDH); en 1992, par contre, il ne dépassait guère 4,298 MDH. Le stock global d’IDE ne cesse pour sa part de gagner en importance. De 1989 à 2005, il a considérablement augmenté, passant de 3,4 M$ à 18,6 M$, soit 44% du PIB en 2005 contre 13% seulement en 1989 (2). Rapportée au PIB base 1998, cette grandeur de 31,4% en 2003 atteint 36,4% en 2005, 43,9% en 2006 et 48,4% en 2007 (3). 1 En se limitant à ces données que des économistes éprouvent du mal à reproduire dans leur diversité et à interpréter correctement (4), on en vient à considérer le Royaume, comparé aux autres pays africains ou arabes, parmi les destinations privilégiées des flux d’investissements directs étrangers. Il y figure constamment sur la liste des cinq premiers. D’aucuns y voient là une marque de confiance des milieux d’affaires internationaux. En fait, d’autres caractéristiques propres aux IDE entrants au Maroc témoignent des limites de la présentation officielle que certains auteurs reprennent à l’identique à leur compte et dont ils se servent pour construire des modèles économétriques d’une solidité douteuse (5). Le Maroc reçoit, certes, depuis une quinzaine d’années, des flux d’investissements directs étrangers relativement appréciables, mais de là à prétendre qu’il en tire un bénéfice suffisant à l’instar de l’Afrique du Sud, première puissance économique du continent, il s’en faut de beaucoup. Fondamentalement, les IDE restent sans commune mesure avec, d’une part, le potentiel du Maroc, jugé vaste et, d’autre part, les exigences d’une croissance à haute priorité économique et sociale. Tels qu’ils se présentent (motivation, structure, impact sur l’économie hôte), les IDE s’écartent pour le pays d’accueil du principe de l’Avantage pour Tous (All Round Advantage) (6). Le Maroc n’en tire véritablement qu’un certain avantage (Some Advantage). Dit autrement, à long terme, les IDE ne présentent, à des degrés divers, pour la nation hôte qu’un intérêt limité. Ils contribuent surtout, en étant liés outre mesure et plus que dans d’autres pays à revenu intermédiaire-tranche inférieure, au processus de privatisation d’entreprises publiques rentables, à asseoir la domination du capital international sur l’économie marocaine. C’est ce qui ressort d’une analyse des problèmes associés au flux de retour induit par les IDE, à la nature des IDE et à la capacité d’appropriation par l’Etat des décisions de politique économique qui s’y rattachent (Ownership). I. IDE ET FLUX DE RETOUR L’afflux d’IDE (7) est censé contribuer positivement à l’équilibre de la balance des paiements, en apportant et en créant des richesses qui rembourseront leur coût. Est-ce le cas au Maroc? 2 Le «problème du flux de retour» (ou flux sortants), qui se situe au cœur de la réflexion économique (8), mérite ainsi d’être posé afin de mesurer le degré de contribution des IDE à la formation de capital dans un pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure, comme le Maroc qui était appelé à devenir, déjà dans les années quatre-vingt dix, le prochain dragon! (9). Ceci revient à analyser l’impact des IDE sur le solde respectivement de la balance des paiements courants et de la balance commerciale. Des universitaires d’ici et d’ailleurs n’ont prêté aucune attention à cette question incontournable. Probablement parce que, comme un apprenti-économiste s’est évertué à l’affirmer sans états d’âme, les IDE drainés par le Maroc ne présentent que des avantages(10)! Probablement parce que, comme elle s’est souvent contentée de reproduire des informations non vérifiées puisées dans des journaux locaux, M. Catusse, publiciste de son état, ne pouvait se rendre compte que l’Administration évite de communiquer sur les aspects essentiels de la privatisation qui ne sont guère évoqués dans son ouvrage (11) qu’elle trouve «peut-être (trop) académique» (p.7)! Probablement parce que, comme M. S. Saadi, auteur d’un article publié dans le fameux RDH50, l’affirme sans l’ombre d’un doute en se basant sur des informations non fiables, «bien que les entreprises étrangères implantées au Maroc soient plus productives et orientées davantage vers l’exportation, leur impact en matière de développement ne se fait pas encore sentir notamment du fait des faibles externalités induites par leur comportement économique» (12)! Probablement parce que, comme on peut s’en rendre compte à la lecture de la thèse surmédiatisée de J. Ennouhi, les IDE au Maroc passent pour une source de croissance et rien d’autre, ce qui laisse supposer une présentation tronquée des rapports de l’Office des Changes consultés par ce publiciste de formation qui ne craint pas d’accumuler les erreurs dans l’utilisation de données chiffrées et/ou d’indicateurs économiques (13). A. L’impact des IDE sur le solde de la balance des paiements courants Apparemment, les IDE produisent des effets largement positifs sur la balance des paiements (BDP) et de nombreux auteurs s’accordent pour donner raison sur ce plan aux services de l‘Office des changes. Ceux-ci s’arrangent, autant que faire se peut, pour montrer la contribution des IPPE à l’équilibre de la BDP sous un jour 3 favorable. Ils ont pris ainsi l’habitude de rapporter sans la moindre réserve les recettes brutes au solde courant (ou l’inverse). Résultat, le taux de participation des IPPE à la couverture du déficit (jusqu’en 2.000, exception faite de 1996, 2007-2009) ou à l’amélioration de l’excédent du compte courant de la balance des paiements (2001- 2006) est exagérément surestimé. Plutôt que les recettes brutes, ce sont les recettes nettes qu’il convient de prendre en considération. L’effet balance des paiements des IPPE apparaît dans ce cas modeste. 1. Faiblesse des recettes nettes Sur la période 1995-2007, les recettes nettes ne représentent d’ailleurs officiellement que 43% des recettes brutes, d’où l’importance des flux de retour qui absorbent 57% des IPPE. Les flux de retour appelés aussi «effet balance des paiements» correspondent aux transferts en devises, au profit de pays étrangers en général et de la France en particulier, de ressources au titre, d’abord, «des opérations de désinvestissements et de remboursements de prêts » et, ensuite, des revenus de capital (dividendes, intérêts, etc.). La présentation de l’Office des Changes, reprise telle quelle par certains auteurs (14), revient en fait à sous-estimer les dépenses liées aux flux d’IPPE. Les rapatriements de redevances au titre de «l’assistance technique privée» (ATP) n’en font pas partie, mais on préfère laisser les choses dans un flou artistique. Pourtant, il s’agit d’une source d’hémorragie de devises qui connaît une croissance exponentielle à partir de 1998 et qui s’explique dans une large mesure en rapport avec les IDE. De 0, 975 MDH en 1997, les dépenses apparentes de cette catégorie sont passées à 1,509 MDH l’année suivante et n’ont cessé depuis de croître au point d’atteindre 7,670 MDH en 2008. Au Maroc, tout porte à croire que l’assistance technique privée étrangère, à laquelle recourt également le capital privé local, est une assistance de substitution. Elle est coûteuse sous tous les rapports à partir du moment où le recours aux compétences nationales constitue une exception. En corrigeant les flux de retour durant les années 1995-2007 dans le sens indiqué, les dépenses au titre des IPPE totalisent non pas 135.167MDH mais 171.430 MDH, soit 72,2% des recettes brutes au lieu de 57% (237.404MDH). La différence, soit 36.263MDH en valeur absolue et 15,2% en valeur relative, s’explique par les dépenses occasionnées par «l’assistance technique privée» étrangère. Encore 4 que les indications chiffrées fournies par l’Office des Changes à ce propos restent, à n’en pas douter, en deçà de la réalité: la pratique courante des prix de transfert, largement tolérée au Maroc, permet aux firmes transnationales de dissimuler des profits réels sous forme de coûts supposés en manipulant uploads/Finance/ les-ide-au-maroc 1 .pdf

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  • Publié le Apv 03, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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