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35-41 Distribution électronique Cairn pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Les marchés financiers sont-ils rationnels ? André Orléan 1. LES FAITS 2. LES MARCHÉS FINANCIERS SONT-ILS RATIONNELS ? [*] 1 Au cours de la dernière décennie, les marchés boursiers internationaux ont connu des évolutions d’une ampleur exceptionnelle. Le pic qu’ils ont atteint au début de l’année 2000 est d’une grandeur bien supérieure au précédent record d’octobre 1929. Pour en juger, on peut considérer l’évolution, de 1881 à nos jours, du cours des actions américaines rapporté aux bénéfices effectivement réalisés par les entreprises cotées au cours des dix années précédentes (source : R. Shiller). Il apparaît que, jamais auparavant, les actions américaines n’avaient été autant surévaluées, le ratio ainsi calculé ayant dépassé 40 en mars 2000, contre un pic de 32 en 1929. 2 Même aujourd’hui, après trois années consécutives de baisse, ce rapport demeure supérieur à sa moyenne historique qui, calculée sur la très longue période, est proche de 15. Il faut, pourtant, souligner que cette série ne présente qu’une image fortement atténuée de la fièvre spéculative dans la mesure où elle retient comme indicateur du niveau des cours boursiers, un indice très large, représentatif de l’ensemble de l’économie américaine (indice S & P 500). Si l’on s’était intéressé plus spécifiquement aux entreprises de la Nouvelle Économie , on aurait observé une hausse des cours de loin bien supérieure. Notons, par ailleurs, que, dans le cas de la Nouvelle Économie, chercher à mesurer le rapport du cours boursier aux bénéfices effectivement réalisés est une tâche souvent impossible puisqu’un grand nombre des firmes de ce secteur furent systématiquement déficitaires ! [1] 3 Aussi informative que soit cette approche globale, ce n’est qu’en considérant au cas par cas la manière dont la bourse a analysé telle ou telle situation spécifique qu’on prend véritablement toute la mesure des dysfonctionnements qu’a connus cette période. Considérons le marché du jouet au détail, dominé au début des années 90 par la très ancienne et vénérable entreprise Toys « R » Us. Cette domination est brutalement contestée par la toute jeune entreprise eToys, créée en 1997, qui mise sur le développement du commerce en ligne pour arriver à ses fins. 4 Si l’on compare objectivement ces deux entreprises, on observe, d’un côté, une entreprise forte d’un savoir-faire et d’une expérience indéniables, réalisant en 1998 un chiffre d’affaires de plus de 11 milliards de dollars dans 1156 magasins pour un profit de 376 millions de dollars et, de l’autre côté, une entreprise sans expérience dont le chiffre d’affaires, cette même année, se monte à 30 millions de dollars pour une perte de 28 millions. Autrement dit, eToys représente l’équivalent financier de trois magasins de Toys « R » Us et fait des pertes quand son concurrent fait des profits. En dépit de ces données, à la fin de l’année 1999, eToys était évalué en bourse 1/3 de plus que le géant américain du jouet ! Pour que le marché estime de manière aussi surprenante la valeur de ces deux firmes, il faut non seulement qu’il considère que l’avenir de l’économie est tout entier contenu dans le commerce électronique mais également que les anciennes firmes seront incapables de s’adapter à cette nouvelle donne. Les années suivantes prouvèrent que ces deux jugements étaient également erronés. eToys se déclara en faillite en mars 2001, son action ne valant plus que quelques cents, alors même que Toys « R » Us s’allia à Amazon pour développer avec succès son commerce en ligne. Cette histoire n’est en rien isolée. La croyance exacerbée dans les prodiges de la Nouvelle Économie a fait perdre aux investisseurs leur capacité d’analyser sereinement les situations des entreprises. 3. UNE BULLE RATIONNELLE SANS CROYANCE : L’APPORT DE L’ÉCONOMIE EXPÉRIMENTALE 5 Les marchés financiers n’ont donc pas su, durant cette période, évaluer correctement les rentabilités futures des différents secteurs. Ils ont fortement surestimé les capacités de développement à moyen terme du commerce électronique. On désigne par le terme de « bulles spéculatives » de telles situations où le cours observé s’écarte durablement de la valeur réelle des entreprises, encore appelée « valeur fondamentale ». Cette bulle a eu des conséquences néfastes sous la forme d’un surinvestissement important dans les secteurs de la Nouvelle Économie, accompagné, le plus souvent, d’un surendettement pour le financer. Ce constat empirique met à mal la théorie financière orthodoxe qui défend, quant à elle, l’idée qu’à tout instant, les marchés boursiers forment la meilleure estimation possible des firmes compte tenu des informations disponibles, ce qu’on appelle l’hypothèse d’efficience informationnelle des marchés. La comparaison entre Toys « R » Us et eToys montre, au contraire, que les marchés n’ont pas su évaluer correctement les possibilités de développement de ces deux firmes alors même que les informations étaient disponibles. Comment expliquer cette inefficience ? [2] 6 L’hypothèse la plus communément retenue par le grand public et les médias met en avant la folie collective qui serait venue perturber fortement la capacité des investisseurs à estimer correctement les bénéfices futurs des entreprises et, en conséquence, leur valeur fondamentale. Cette approche me semble insuffisante parce qu’elle conserve du modèle orthodoxe l’idée centrale que les opérateurs de marché se détermineraient à partir de leur estimation de la valeur fondamentale. Il faut, selon nous, abandonner cette conception de la rationalité financière. Sur un marché, les acteurs ne se déterminent pas en fonction de leur estimation de la valeur fondamentale, mais en fonction de l’évolution attendue des cours. Aussi, le regard des opérateurs n’est-il pas tourné vers l’économie réelle, mais vers le marché lui-même pour en prévoir les prochains mouvements d’opinion. Cette rationalité fortement interactive est soucieuse au premier chef de savoir ce que les autres vont faire. Ce qui conduit les agents à acheter ou vendre dépend étroitement de ce qu’ils pensent que les autres feront. Le rôle du mimétisme y est alors essentiel. 7 Comme nous le verrons, dans ce cadre de pensée, il peut y avoir des bulles sans irrationalité de la part des agents. Elles résultent d’une croyance généralisée dans la hausse future des cours. 8 Pour faire comprendre cette approche originale, il est intéressant de considérer les résultats qu’a obtenus l’économie expérimentale. Rappelons que cette branche de l’économie a été récompensée en 2002 en la personne de Vernon Smith qui a reçu le prix Nobel (co-lauréat avec Daniel Kahneman). L’économie expérimentale se donne pour but de tester empiriquement les théories économiques en construisant des protocoles expérimentaux visant à reproduire en laboratoire les situations qu’étudient ces théories. Ainsi, ont été construits des marchés financiers artificiels au sein desquels des individus volontaires échangent monnaie et titres selon un système d’enchères proche de la réalité. Dans les expériences qui nous intéressent, le titre échangé est une action donnant droit à des dividendes dont la loi de probabilité est précisée et connue de tous. Les transactions durent N périodes au terme desquelles le titre est racheté par l’expérimentateur à un prix annoncé publiquement au début du jeu. Sous de telles hypothèses, il est aisé pour les participants de calculer la valeur fondamentale du titre, à savoir sa valeur finale de rachat augmentée du flux moyen des dividendes durant toutes les périodes restant à jouer. Considérons plus spécifiquement une expérience réalisée par Charles Noussair, Stéphane Robin et Bernard Ruffieux (2001) dans laquelle le dividende distribué à chaque période est une valeur aléatoire de moyenne 0 et où le titre est racheté en fin de période au prix de 360. Dans ces circonstances, la valeur fondamentale du titre peut être aisément calculée par les agents : elle est, à tous instants, constante, égale à 360. Sous des conditions aussi restrictives, on aurait pu penser que le prix observé allait être égal à 360 durant toute la durée de l’expérience. Il n’en fut rien. En fait, on observe un prix au départ hésitant, aux alentours de 360, puis un vigoureux mouvement haussier conduisant à un palier et culminant à 427, suivi d’une baisse brutale lorsque la fin du jeu n’est plus éloignée que de deux ou trois périodes. Autrement dit, une bulle spéculative haussière suivie d’un krach. Ce résultat inattendu est très robuste. Il a été testé et confirmé par de nombreuses équipes de chercheurs en faisant varier les 4. L’HYPOTHÈSE AUTORÉFÉRENTIELLE différents paramètres expérimentaux. 9 Or, le point qui nous intéresse et qu’il faut souligner est qu’en aucune manière, cette bulle ne peut être imputée à une folie soudaine conduisant les joueurs à modifier irrationnellement leur estimation de la valeur fondamentale. Tout au long du jeu, les individus savent parfaitement que la valeur fondamentale du titre est constante et vaut 360. Mais alors comment, dans un tel contexte, une bulle peut-elle néanmoins se former alors même que chacun sait que la uploads/Finance/ les-marche-s-financiers-sont-ils-rationnels.pdf
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- Publié le Jan 29, 2022
- Catégorie Business / Finance
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