Robert Musil, économiste? Author(s): Philippe Jeannin Source: Revue d'histoire

Robert Musil, économiste? Author(s): Philippe Jeannin Source: Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-) , Jan. - Mar., 1989, T. 36e, No. 1 (Jan. - Mar., 1989), pp. 146-152 Published by: Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine Stable URL: https://www.jstor.org/stable/20529571 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Societe d'Histoire Moderne et Contemporaine is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-) This content downloaded from 82.61.153.178 on Tue, 14 Dec 2021 23:25:47 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms ROBERT MUSIL, ?CONOMISTE? Question saugrenue ! Cet ?crivain autrichien, n? en 1880 et mort en 1942, dont on place les uvres ? c?t? de celles de Franz Kafka, de Thomas Mann, de Hermann Broch, qu'on salue comme l'?gal de Marcel Proust, de James Joyce, ne saurait entrer dans le Panth?on des ?conomistes ! De fait, les r?flexions ?conomiques de Musil ne sont qu'?bauches, mais leur concision cache des richesses. Car ? il me semble qu'on peut dire que l'objet de l'?crivain Musil n'est pas seulement la litt?rature, qu'il est autre chose aussi qu'un ?cri vain, qu'il est autrement aussi qu'un ?crivain, que ce n'est pas seulement la litt?rature qui le concerne, par exemple la v?rit? historique, l'incidence ind?finie d'une id?e quelconque ? qu'elle ait trait ? l'aviation, aux mines de fer de l'Europe centrale ou ? la reconsid?ration de l'essayisme au d?but du si?cle ? Musil c'est ?a aussi, la tentative du tout, du tout du monde ? K Robert Musil a eu toute sa vie de nombreux centres d'int?r?t, en particulier scientifiques et philosophiques. Mais les diverses disciplines sont tellement s?par?es que, par exemple, ? l'?conomiste ne comprend pas l'existence du botaniste ?2. Le sp?cialiste est ? ferr? sur un certain milli m?tre carr? ?3. Seule la litt?rature a permis ? Musil de relier nombre de disciplines, ? de repr?senter tous les autres types de discours ? et d' ? atteindre un vaste public ? 4. La t?che qu'il se donne dans toute son uvre est ?thique, rel?ve son traducteur Philippe Jaccottet5, m?me si elle est voil?e par l'ironie qui s'y d?ploie. M?me si les m?taphysiques sont combattues, ? les m?taphysiques sont mauvaises ?6, suivant Otto Neurath7 dont, vraisemblablement, Robert 1. Marguerite Duras, ? Lire Musil. Une des plus grandes lectures que j'aie jamais faites ?, La Quinzaine litt?raire, n? 363, 31 janvier 1982. 2. Robert Musil, Essais, conf?rences, critique, r?flexions (publi?s en allemand ? partir de 1911, Paris, Le Seuil, 1984, p. 64. 3. Robert Musil, L'homme sans qualit?s (premi?re ?dition en allemand, 1930, 1933 et 1943), Paris, Le Seuil, coll. Points, 2 vol., t. II, p. 317. 4. Walter Moser, ? R. Musil et la mort de " l'homme lib?ral " ?, communication au Colloque ? Robert Musil ?, de Royaumont, dirig? par Jean-Pierre Commetti, lcr-4 avril 1985, pp. 172-198 des Actes publi?s aux ?d. de Royaumont. 5. Robert Musil, Essais, op. cit., pr?face de Ph. Jacottet, p. 10. 6. Robert Musil, Essais, op. cit., p. 40. 7. Michel Rosier, ? Otto Neurath, ?conomiste et leader du Cercle de Vienne ?, Oeco nomia, n? 7, s?rie P.E. de la revue ?conomies et Soci?t?s, pp. 113-145. This content downloaded from 82.61.153.178 on Tue, 14 Dec 2021 23:25:47 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms ROBERT MUSIL, ?CONOMISTE ? 147 Musil connaissait les travaux, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cometti qui rappelle l'int?r?t de l'?crivain pour les travaux de Carnap et Wittgenstein 8. De toutes les uvres de Musil, c'est L'Homme sans qualit?s, long roman inachev? et essai prot?iforme, qui rec?le le plus de notations ?co nomiques : sur l'industrialisation bien s?r, comme sur la soci?t?, sur l'argent et la finance aussi, sur les prol?taires et les capitalistes. Mais aussi sur l'objet m?me de la science ?conomique... 1. L'industrialisation et la soci?t? Comme Robert Musil, Ulrich, le h?ros de L'Homme sans qualit?s, a une double formation de scientifique et de philosophe. Il est donc bien plac? pour appr?cier la r?volution industrielle. Son origine : le xvr si?cle, ?poque ? laquelle l'homme a commenc? ? ? explorer la surface ? au lieu de chercher ? ?violer les secrets de la nature?; il est ainsi sorti du ? sommeil m?taphysique ? en adoptant cette attitude ? superficielle ?9. Ulrich reconna?t que le XIXe si?cle s'est ?montr? adroit dans le domaine de la technique, du commerce et de la recherche ?10. Il est attir? par ? le chant des salles de machines, des marteaux ? rivet et des sir?nes d'usine?11, tout en mesurant d?j?, avec peut-?tre un soup?on de ?faux romantisme ?12, les cons?quences de ces progr?s : ? ce n'est plus le temps o? l'on s'?tendait sous un arbre ? regarder le ciel entre deux orteils, mais le temps o? l'on produit ?13. Et Ulrich d'affirmer que ? la morale de notre temps (...) est une morale de la production ?14. Mais Musil s'?loigne de ces remarques, conventionnelles pour le fond, quand il estime que la science ?conomique ne saurait ?tre transpos?e ? l'?tude des rapports des hommes entre eux, m?me si ? consid?r? du point de vue technique, le monde devient (...) au plus haut point inexact et contraire ? l'?conomie en ses m?thodes ?15. Plus largement, c'est l'Autriche qui repr?sente pour lui l'exemple de la d?cadence du monde moderne. Et plus largement encore, Ulrich s'inter roge sur le modernisme, ce ? protestantisme [qui] vise la raison autant que le religieux ?16. Il sait le r?le fondamental de l'appareil math?matique dans la production et la civilisation17. On pourrait peut-?tre m?me risquer que Robert Musil a pressenti combien les d?bordements des math?ma tiques pouvaient se r?v?ler pernicieux : ? Les math?matiques sont aujour d'hui une des derni?res t?m?rit?s somptuaires de la raison pure. ?18 8. Cf. Jean-Pierre Cometti, Robert Musil ou l'alternative romanesque, Paris, P.U.F., 1985. 9. Robert Musil, L'homme sans qualit?s, op. cit., II, 72, pp. 361-362. 10. Id., I, 15, p. 63. 11. Id., I, 11, p. 45. 12. Id. II, 25, p. 122. 13. Id., I, 11, p. 45. 14. Id., Ill, 10, p. 86. 15. Id., I, 10, pp. 42-43. 16. Robert Musil, Essais..., op. cit., p. 37. 17. Id., pp. 57-58 et L'homme sans qualit?s, op. cit., I, 11, p. 44. 18. Robert Musil, Essais..., op. cit., p. 58. This content downloaded from 82.61.153.178 on Tue, 14 Dec 2021 23:25:47 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 148 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE Mais la science contemporaine lui appara?t comme ?un instrument sans mode d'emploi (...) une force prodigieuse ? laquelle il manque encore le point d'application et la direction?19. Observateur critique des muta tions qu'il est en train de vivre, Musil constate que son ?poque ? adore l'argent ?, l'argent qui est de la ? violence spiritualis?e ?2Q. 2. L'argent et la finance Elias Canetti, qui a connu Robert Musil, ?crit que celui-ci avait de la r?pulsion envers l'argent qui paraissait ? incompatible avec son hygi?ne ?21. Et Ulrich reconnaissait qu'il voyait en lui-m?me ? toutes les capacit?s et toutes les qualit?s en faveur ? son ?poque ?, ? ? l'exception du sens de l'argent dont il n'avait pas besoin?22. D?j? T?rless, avec un sens aigu de la justice, accordait beaucoup d'importance ? un larcin et avait ?t? d??u par l'attitude de ses parents ? l'?gard de cet ? ?v?nement (...) inadmissible ?23. L'argent importe ? Musil : ? Oui, nous aimons l'argent comme une sorte de dieu, de hasard, un organe irresponsable de d?cision. ?24 II en a souvent manqu?. Il a ?voqu? ses ? embarras d'argent ? dans la nouvelle intitul?e ? Tonka ?25. La ? duret? de l'argent ?, il la trouve au fonds des yeux d'un banquier, L?on Fischel26. Et il s'est insurg? contre les difficiles conditions de vie des pauvres27. Mais, plus que l'argent, c'est la finance qui le captive. Pour Fischel, le progr?s ressemble ? d'assez pr?s ? la courbe de rentabilit? progressive de sa banque?28. Mais le principal financier dans L'Homme sans qualit?s est le Dr Paul Arnheim, un homme dont le p?re ?tait ? le premier ma?tre de " l'Allemagne de fer " ? qui, lui-m?me, est ? d?mesur?ment riche ?, passe ?pour ?tre d'origine juive?, est ?un grand esprit? qui proph?tise ? rien de moins que la fusion de l'?me et de l'?conomie ou de l'id?e et de la puissance ?29. Ce ? nabab allemand ?, ? causeur extraordinaire ?, repr? sente 1' ? alliance de l'esprit avec les affaires ? : il est capable de d?fendre le point de vue des hommes d'affaires ? aussi bien dans une r?union d'?v?ques que dans un congr?s de sociologues ?30 ! 19. Jacques Bouveresse, ? La science sourit dans sa barbe ?, L'Arc, n? 74 uploads/Finance/ musil-economia 1 .pdf

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  • Publié le Aoû 10, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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