Notions clés du design à l’heure du numérique et de l’interaction Benoît Drouil

Notions clés du design à l’heure du numérique et de l’interaction Benoît Drouillat Président de *designers interactifs* 14 rue de Provence, 75009 Paris, France bd@designersinteractifs.org www.designersinteractifs.org Résumé Les pratiques contemporaines du design ont inspiré une terminologie profuse pour décrire la façon dont elles s'ancrent dans les usages du numérique et de l'interaction. Design numérique, design interactif, design d’interaction, interface homme-­‐machine, expérience utilisateur, autant de notions enchevêtrées par leurs héritages théoriques respectifs, leur culture commune ou leur(s) mode(s) d'intervention. Ces dénominateurs communs offrent le sentiment d'une certaine interchangeabilité entre leurs termes. Si malaisé qu'il soit de les distinguer les uns des autres, ils mettent en œuvre, dans leurs définitions et la façon dont ils se pensent, des axes prioritaires singuliers et des discontinuités. Ils s’articulent autour des multiples facettes qui les composent : histoire, filiations, méthodologie et visées. Mots-clés Design numérique, design interactif, design d’interaction, interface homme-machine, facteurs humains, expérience utilisateur Keywords Digital design, interactive design, interaction design, human-computer interface, human factors, user experience Introduction Comme activité créatrice et démarche de conception de produits et de services, le design s’est saisi dès le début des années 1980 des usages issus des technologies numériques, jusque là essentiellement investis par la science informatique et les facteurs humains. Ce design d’un genre nouveau se manifeste précisément au moment où l’informatique se tourne vers le grand public, par le truchement des interfaces graphiques. Lors d’une conférence intitulée « Du design au design numérique », Stéphane Vial s’interroge à juste titre sur les origines de cette pratique et tente de distinguer les pures inventions techniques des authentiques démarches de design : L’histoire du design numérique, est-­‐ce l’histoire de l’informatique ? L’histoire des « devices » n’est pas l’histoire du design numérique. L’histoire du design numérique est l’histoire des gestes de design qui se sont produits au cours de l’histoire de l’informatique. Au fil de cette histoire, les « gestes de design » mettant en jeu usages et technologies numériques n’ont cessé de se rendre plus visibles et plus lisibles. Ils ont entraîné dans le sillage de leur manifestation une certaine surenchère terminologique pour se décrire. Chaque fois, ils ont ancré les activités de design s’intéressant à la « matière numérique » dans leurs contextes historique, culturel, épistémologique et technique. Si jusqu’au tournant des années 2000 les réflexions sur lesquelles les notions phares du design numérique se sont cristallisées témoignent d’un relatif creux théorique — pour Stéphane Vial, « le design pense mais ne se pense pas »1 — chacune s’est rattachée à des univers de référence dont les contours sont flous et poreux. Rares sont encore aujourd’hui les publications abordant de front ces enjeux théoriques. Le champ des interactions homme-­‐machine — au sein desquelles de nombreuses pistes de recherche sont explorées — fait toutefois exception, tant dans la recherche anglo-­‐saxonne que francophone. Un corpus restreint de notions clés — tour à tour perçues comme interchangeables, complémentaires, concurrentes —, semblent délimiter le périmètre des pratiques du design à l’heure du numérique et de l’interaction : interface homme-­‐machine (IHM), design d’interaction, design numérique, design interactif et design d’expérience utilisateur. Il est difficile de construire une représentation claire à partir de leurs positionnements respectifs tant ils semblent s’agencer selon un ordonnancement réticulaire. Design d’interaction, design numérique ou encore design interactif sont les activités sous lesquelles s’incarnent les démarches de conception centrées sur le dialogue – les interactions – entre les personnes, les interfaces, les objets et les services informatisés. 1 Vial, Stéphane, Court traité du design, PUF, 2010, Paris 2 http://old.sigchi.org/cdg/cdg2.html#2_1 3 Idem. 4 http://www.nodesign.net/blog/le-­‐design-­‐numerique-­‐2/ 5 Quinton, Philippe, 2003, Les designs des images et des écritures, Habilitation à diriger les Elles ne sont pas les seules à revendiquer l’intégration du point de vue de l’utilisateur et l’interaction comme modalité centrale de leur démarche : le design d’expérience utilisateur se définit essentiellement par l’incorporation dans son processus d’attributs émotionnels voire sensoriels. Facteurs humains, utilisabilité, ergonomie se positionnent eux en partie sur le segment de la psychologie cognitive. L’interaction homme-­‐machine est traditionnellement considérée comme un sous domaine de la science informatique et se trouve souvent citée aux origines des autres pratiques. Dès lors dans ces périmètres entrelacés, quelles articulations peut-­‐on mettre en évidence ? Comment ces notions se positionnent-­‐elles les unes par rapport aux autres ? Quelles sont les discontinuités entre elles ? Il conviendrait d’éclairer et de préciser les relations qu’elle entretiennent, sans toutefois se livrer à un catalogue de définitions. 1. Définitions Pour caractériser l’ensemble des activités de design regroupées sous des appellations aussi diverses que conception interface homme-­‐machine (IHM), design d’interaction, design numérique, design interactif et design d’expérience utilisateur, il faut accepter d’effectuer de nombreux aller-­‐retour entre pratique et théorie. Nous avons croisé les sources de notre corpus de définitions : tour à tour, elles sont énoncées par des organismes professionnels, des designers ou des enseignants chercheurs. Interaction homme-­‐machine (IHM) Pour délimiter le champ constitué par l’interaction homme-­‐machine (IHM), qui a émergé au début des années 1980, il n’existe pas aujourd’hui de consensus sur le nombre de domaines recouvrés, ni de théorie unifiée, fait remarquer l’Association for Computing Machinery (ACM), dans son Curricula for Human-­‐Computer Interaction2. L’IHM est un sous-­‐domaine de la science informatique, s’intéressant à l’interaction entre les humains et les machines. Informatique, psychologie cognitive, sociologie, anthropologie et design industriel : chacune de ces disciplines intervient comme support à l’objet principal de l’IHM. L’association ACM SIGCHI propose ainsi une définition opératoire de l’IHM : 2 http://old.sigchi.org/cdg/cdg2.html#2_1 « L’interaction homme-­‐machine est une discipline qui s’occupe du design, de l’évaluation et de l’implémentation des systèmes interactifs informatisés, pour leur utilisation humaine et en étudiant les phénomènes majeurs qui l’entourent. »3 Le point de vue de la science informatique met en lumière l’interaction et en particulier l’amélioration du dialogue entre une ou plusieurs personnes et un ou plusieurs systèmes informatisés, adapté à un contexte d’utilisation. L’IHM étudie à la fois la dimension mécanique et la dimension humaine de ce dialogue, en l’appliquant à des dispositifs directement concernés par l’informatique. La forme revêtue par ces systèmes est en question dans le texte de l’ACM. La notion d’humain, quant à elle, peut s’étendre à un groupe ou à une organisation. L’IHM revendique l’utilisation de plusieurs démarches spécifiquement liées au design : la conception centrée utilisateur (user centered design, UCD), le design itératif (iterative design), etc. Elle se conçoit comme une activité interdisciplinaire. Because human-­‐computer interaction studies a human and a machine in communication, it draws from supporting knowledge on both the machine and the human side. On the machine side, techniques in computer graphics, operating systems, programming languages, and development environments are relevant. On the human side, communication theory, graphic and industrial design disciplines, linguistics, social sciences, cognitive psychology, and human performance are relevant. And, of course, engineering and design methods are relevant. C’est par la dualité classique de l’activité que concluent les auteurs du Curricula for Human-­‐Computer Interaction, celle qui délimite la part informatique de celle humaine, qui permet d’articuler deux points de vue complémentaires de la conception, design et ingénierie. Design d’interaction (IxD) Dans la définition d’IxDA (Interaction Design Association) du design d’interaction, l’accent est placé sur la modalité du dialogue et la question de son périmètre. Dans ce contexte, son champ d’action ne se limite plus aux objets technologiques : 3 Idem. Le design d’interaction (IxD) définit la structure et le comportement des systèmes interactifs. Les designers d’interaction s’efforcent de créer des relations signifiantes entre les personnes, les produits et les services qu’elles utilisent, des ordinateur aux terminaux mobiles jusqu’aux appareils numériques et au-­‐delà. Ces pratiques évoluent avec le monde (…) Dans son ouvrage Thoughts on interaction design (Morgan-­‐Kaufmann, 2011), Jon Kolko apporte au design d’interaction un éclairage plus théorique. Il le positionne clairement comme une discipline intellectuelle de l’amont, en opposition à une vision techniciste du projet. En aucun cas il ne s’agit de produire de « belles interfaces », c’est-­‐à-­‐dire de le résumer à la mise en œuvre d’une technique de réalisation. Il remarque par ailleurs que le design d’interaction est fréquemment confondu avec le web design et le lot d’expertises techniques qui le sous-­‐tendent (maîtrise des langages de développement et des suites logicielles), alors que sa méthodologie centrée sur l’utilisateur le distingue. La définition qu’il énonce confère à la discipline une portée réflexive : « le design d’interaction est la création du dialogue entre une personne et un produit, un service, ou un système. Ce dialogue s’incarne dans le comportement — la façon dont quelqu’un tient un couteau et une fourchette pour couper un steak, ou la façon dont on choisi d’acquérir une belle chaise […] — à travers le temps. » Plus loin, il qualifie plus précisément la nature de ce dialogue : « ce dialogue est à la fois matériel et émotionnel par nature et se manifeste par la forme, la fonction et la technologie ». Jon Kolko reconnaît volontiers une porosité entre les disciplines et une certaine complexité : le design d’interaction, sans former un tout monolithique, emprunte à la psychologie cognitive, à l’usabilité et à d’autres champs (on le verra, notamment, l’expérience uploads/Finance/ notions-cles-du-design-a-l-x27-heure-du-numerique-et-de-l-x27-interaction.pdf

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  • Publié le Aoû 31, 2022
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