Le mensonge par Patricia León-Lope Ce fut seulement dans un après-coup que l’ac

Le mensonge par Patricia León-Lope Ce fut seulement dans un après-coup que l’actualité de la question sur le mensonge au cœur de débats politiques de notre complexe et effrayante actualité m’a saisie. Quand la question m’est apparue, je me suis mise à réfléchir sur la possibilité de la psychanalyse à produire des faits nouveaux, à révéler pour chaque homme qui s’engage dans l’expérience un autre ordre, un champ pour lui méconnu, imprevisible, plus élargi de la réalité. Le mensonge a surgi là comme faisant paradoxalement signe : d’un impasse et d’une solution, d’une certaine fragilité humaine face à ce qui cloche, à ce qui divise et contredit l’idée de la réalité à laquelle chacun veut se faire, mais aussi d’un certain pouvoir, pouvoir donné par la possibilité d’exercer cette faculté étonnante de « dire ce qui n’est pas » et de créer par sa parole un monde plus plausible, plus en accord avec notre pauvre raison. En effet, le mensonge a « l’avantage » sur la réalité de savoir à l’avance le dénouement des choses, de forcer une certaine reconstitution, une mise en scène de l’histoire qui ne donne pas lieu d’être à la brèche ainsi contournée, qui sépare le sens et le réel (le réel en tant qu’impossible). Il s’agit d’un « tout sens », d’un sens arbitrairement forcé qui vise par l’élision du traumatisme à recouvrir la texture entière du réel, à enfermer dans une certaine « raison » cette dialectique déconcertante de la vie qui nous met en présence de l’inattendu, auquel nous n’étions nullement préparés [1][1] Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Paris, Pocket,.... On pourrait dire que l’homme qui ment veut faire consister le vraisemblable en fonction de ce qu’il s’autorise à penser sur lui-même et sur ce que doit être la réalité ; il parie sur ce qui est possible et persuasif, sacrifiant ce qui confine à l’impossible. Le mensonge dans ce double sens d’impasse et de solution est un artefact qui, d’une part, entrevoit la faille et guette à travers elle par où s’emparer des chances fragiles de la liberté et, d’autre part, cherche à effacer les contradictions et à dissoudre l’ambiguïté pour promouvoir un éternel retour du même, pour éviter le réveil. Par ailleurs, la place du mensonge dans l’histoire permet presque de faire une interprétation sur la façon dont l’homme à travers le temps conçoit sa condition. La façon dont l’homme se saisit de cet écart entre le naturel et l’artificiel, la réalité et la fiction, le concret et l’abstrait, de la possibilité d’être trompé par l’autre ou de le tromper, du sens de la transparence et de l’opacité, inscrit une forme particulière de lien social et du sens de l’acte par lequel l’homme s’affirme en tant qu’homme. Freud, qui ne recule jamais devant les grandes questions mais qui les rend réelles en leur arrachant ce qu’elles ont de plus humain, nous fait part de cette petite confidence dans la Psychopathologie de la vie quotidienne : plus le sujet avance dans son analyse, moins il est capable de mentir ; les formations de l’inconscient, quand le sujet se laisse aller dans le dire, ce qui constitue la possibilité d’une analyse, vont s’imposer à la place du mensonge. Freud dit : « Toutes les fois où j’essaie de déformer un fait, je commets une erreur ou un autre acte manqué […] qui révèle mon manque de sincérité [2][2] S. Freud, GW, t. IV, p. 247. » Sans doute, Freud met ici en avant non pas un impératif moral, une condamnation du mensonge, mais le fait que la vérité inconsciente est non pas dans un rapport d’opposition au mensonge dans les faits, mais dans une sorte de nouage qui fait que la libération de la parole permet au sujet de céder sur ce qu’il voulait contester, désavouer, rejeter par le mensonge. La vérité de la parole n’est pas corrélée à l’exactitude des faits, le binôme vrai-faux étant dépassé par le témoignage du sujet, lequel inclut avant tout l’amnésie du refoulement qui se rappelle dans les actes. L’inconscient (c’est dans ce sens que Lacan, à un certain moment de son élaboration, donne du relief à cette idée freudienne) est « ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré [3][3] J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 259. ». Oubli et mensonge s’opposent, se relient, se délient, au point que Heidegger dans l’analyse étymologique qu’il fait du terme vérité, en grec « désoubli », arrive à la définition suivante : la vérité est ce qui échappe à l’oubli. Mais est-ce la reconquête de la vérité le dernier mot d’une analyse ? À l’historisation, au vraisemblable, au thème du vrai ou faux, Lacan opposera celui de la vérité menteuse, jusqu’à écrire comme il le fait dans sa « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI » : « Il n’y a pas de vérité qui, à passer par l’attention, ne mente [4][4] J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire.... » La vérité, on la rate. Enfin, en tant que la catégorie du mensonge est autant que celle de la folie imanente à l’humain et de ce fait importante pour la psychanalyse, et le mensonge pesant plus que jamais très lourdement sur nos destinées et sur notre avenir humain, au point que j’avancerai que l’Autre contemporain est l’Autre du mensonge, nous essaierons de progresser un peu sur la problématique, en insistant plus particulièrement dans cet article sur le sens freudien, c’est-à-dire sur le mensonge en tant que nœud de la vérité du sujet. Ce choix me semble être par ailleurs le seul capable de rendre à quelques formulations de Lacan leur au-delà, d’ouvrir l’espace pour que quelque chose de l’épaisseur énigmatique, de l’ordre de l’inouï, puisse être restitué à ses multiples formulations sur la vérité, répétées inlassablement dans notre doxa habituelle. Si seulement à la lecture de ce texte nous pouvions appréhender notre insuffisance pour laisser apparaître les conséquences pour la psychanalyse de la formule de Lacan selon laquelle le mensonge est « le symbolique inclus dans le réel [5][5] J. Lacan, « Vers un signifiant nouveau », Ornicar?,... », nous aurions fait déjà un pas en avant. Freud, le mensonge et le nœud de la vérité du sujet Un court texte de Freud, « Deux mensonges d’enfant [6][6] S. Freud, « Deux mensonges d’enfant » (1913), dans... », peut nous aider à illustrer vivement la question. Dans les premières lignes de ce texte, Freud s’adresse aux éducateurs et indique qu’on aurait tort d’interpréter tous les mensonges d’enfant comme des actes délictueux ou comme les indices d’un développement immoral du caractère. Certains mensonges ont en effet « une signification particulière » : dans ces cas-là, c’est le contenu inconscient des mensonges qui est en jeu, le fait qu’ils sont liés à des « motifs amoureux d’une force extrême que l’enfant ne peut s’avouer [7][7] Ibid., p. 183. ». Freud insiste sur l’importance d’être attentif à cela, afin de ne pas provoquer des malentendus qui pourraient être néfastes pour la vie du sujet. Ces mensonges sont pour l’enfant – même si cela passe par un forçage – une manière de mettre des mots sur des contenus inconscients. Dans l’une des deux histoires que raconte Freud, il s’agit d’une petite fille de 7 ans qui demande de l’argent à son père pour s’acheter des couleurs. Le père refuse, mais avec la monnaie qui lui reste d’un argent destiné à une activité de son école, la fille s’achète les couleurs qu’elle cache dans son armoire. Pendant le repas, le père demande à la petite fille ce qu’elle a fait de l’argent restant : « N’aurait-elle pas acheté des couleurs avec ? » Elle nie, mais son frère la trahit ; on découvre les couleurs dans l’armoire. Le père, très en colère, demande à la mère de punir l’enfant. Celle-ci s’exécute, mais elle est immédiatement très ébranlée par le désespoir de sa fille. À partir de ce moment, écrit Freud, « l’enfant turbulente et pleine d’assurance est devenue timide et triste ». Cette petite fille devient des années plus tard une analysante de Freud et déclare ne pas avoir pu effacer les effets de cette expérience qu’elle-même qualifie de « tournant dans sa jeunesse ». Freud associe ce souvenir à une série de manifestations symptomatiques dans la vie de sa patiente, liées particulièrement au signifiant argent et à la façon de le gérer. Par exemple, Freud raconte que sa patiente se met dans une colère incompréhensible pendant ses fiançailles du fait que sa mère s’occupe de ses meubles et de son trousseau : « Elle a l’impression que c’est “son” argent à elle et que nul autre ne peut en faire usage [8][8] Ibid., p. 184.. » Une fois mariée, elle craint de demander à son mari de couvrir ses besoins personnels et sépare « son » argent à elle de celui de son mari. Pendant qu’elle est en traitement avec Freud, elle se uploads/Finance/ patricia-leon-lope-le-mensonge-pdf.pdf

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  • Publié le Jan 27, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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