QUEL AVENIR POUR L'ASSURANCE VIE EN FRANCE ? Laurent Clerc * Directeur d'étude

QUEL AVENIR POUR L'ASSURANCE VIE EN FRANCE ? Laurent Clerc * Directeur d'étude et d'analyse des risques, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Contact : laurent.clerc2@acpr.banque-france.fr. Anne-Lise Bontemps-Chanel ** Cheffe du Service d'analyse des risques en assurance, ACPR.Contact : Anne-Lise.BONTEMPS-CHANEL@acpr.banque-france.fr. Mohammed Ouriemchi *** Adjoint à la Cheffe du Service d'analyse des risques en assurance, ACPR.Contact : Mohammed.OURIEMCHI@acpr.banque-france.fr. Les vues exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Banque de France ou de l'ACPR. Nous remercions également Denis Marionnet, Saïda Baddou et Gaëlle Capitaine pour leur aide dans la préparation de cet article. Après une décennie durant laquelle la collecte de l'assurance vie avait bien résisté à la baisse continue des taux d'intérêt, leur entrée en territoire négatif en 2019 a révélé quelques limites de son modèle d'affaires. En effet, l'apparition de taux d'intérêt nominaux négatifs accroît la baisse du taux de rendement de l'actif des assureurs vie ; les engagements passés pris en matière de taux techniques limitent les baisses du taux de revalorisation ; la rémunération annuelle de ces contrats d'assurance vie est un facteur d'attractivité de la clientèle et de concurrence, ce qui réduit, toutes choses égales par ailleurs, le potentiel de baisse du taux de revalorisation. Dans cet article, nous analysons les mécanismes, par lesquels la baisse et l'environnement durable de bas taux d'intérêt ont affecté le bilan des assureurs vie, affectent la viabilité de leur modèle d'affaires, et les défis auxquels ils sont confrontés pour le faire évoluer. Avec un encours voisin de 1 760 Md€1 à la fin de septembre 2020, l'assurance vie représente le premier placement financier des Français. Son attractivité réside dans sa double nature : tout d'abord, en tant que produit d'assurance, elle couvre, selon les contrats, différents risques de première importance pour les individus : risque de décès et/ou divers risques de la personne « en cas de vie » (incapacité, dépendance, etc.) ; ensuite, en tant que produit de placement, elle permet aux épargnants de constituer un capital de long terme qui, à l'issue du contrat, peut être versé sous la forme d'une rente viagère ou d'un capital à l'assuré ou à ses bénéficiaires. L'un des principaux motifs de souscription des épargnants est la préparation de la retraite. L'assurance vie dispose également d'une fiscalité avantageuse : abattement forfaitaire sur l'impôt sur le revenu au- delà d'une durée de détention de huit ans, défiscalisation d'une partie des capitaux transmis en cas de décès. Enfin, les contrats d'assurance vie sont très liquides : bien qu'il soit fiscalement plus intéressant de les conserver pendant au moins huit ans, il est possible d'effectuer des retraits ou de clôturer ces contrats à tout moment, avec une garantie du capital pour les fonds en euros. Les contrats d'assurance vie reposent sur deux supports. Le principal, qui représente environ 80 % des encours, est le fonds en euros : le capital investi est garanti à tout moment et les intérêts de l'année sont définitivement acquis. Du fait de ces différentes garanties, c'est l'assureur qui porte le risque financier. Pour revaloriser chaque année les sommes versées, les assureurs investissent dans des produits de taux jugés sans risque, principalement des obligations d'États européens ou d'entreprises bien notées. Le reste des contrats se présente sous divers supports, mais majoritairement des unités de compte (UC). Dans ce cas, l'assureur garantit non pas la valeur de ces unités, qui varie en fonction de la valorisation des actifs sous-jacents, mais leur nombre. Contrairement aux contrats en euros, c'est cette fois l'assuré qui porte le risque financier. Toutefois, ces placements peuvent être assortis d'une garantie plancher aux termes de laquelle, en cas de décès, le capital initialement versé serait restitué aux bénéficiaires. Afin d'offrir une rémunération suffisante aux souscripteurs, les assureurs privilégient des titres plus risqués : obligations d'entreprises, actions, parts dans des fonds, etc. En termes de flux nouveaux, l'offre est actuellement principalement composée de contrats multisupports composés, d'une part, en euros et, d'autre part, en UC. Les contrats monosupports ne représentent plus qu'un quart des portefeuilles des assureurs vie français (FFA, 2020). Du fait de cette double nature de produit d'assurance et d'épargne, les engagements liés à la gestion des risques biométriques (longévité, mortalité, etc.) et ceux liés à celle des risques financiers sont donc étroitement liés dans le cadre de la gestion actif/passif (ALM) des compagnies d'assurance vie (Lissowski et Nessi, 2017). La baisse des taux d'intérêt et leur niveau durablement bas agissent comme un poison lent sur le modèle d'activité de l'assurance vie2. En outre, ils les exposent à un risque de remontée brutale des taux. Pour autant, les placements en assurance vie ont progressé au cours des dernières années. L'entrée dans une configuration nouvelle de taux d'intérêt négatifs, à partir du milieu de 2019, marque une nouvelle étape, qui accélère les tendances antérieures et pourrait mettre en cause le modèle d'affaires sur lequel repose l'assurance vie en France. Dans une première partie, nous revenons sur les effets mécaniques de la baisse et de l'environnement durable de taux d'intérêt bas sur l'évolution de quelques paramètres clés de l'assurance vie au cours de la dernière décennie. Nous analysons ensuite les mécanismes par lesquels cette baisse des taux d'intérêt affecte le bilan des assureurs vie. Les enjeux et les défis auxquels ces derniers font face pour faire évoluer leur modèle d'affaires sont abordés dans une troisième partie. LES EFFETS MÉCANIQUES DE LA BAISSE DES TAUX SUR QUELQUES PARAMÈTRES CLÉS À l'instar du système bancaire pour lequel la baisse des taux d'intérêt observée au cours de la dernière décennie a affecté la marge nette, elle a, ainsi que l'environnement durable de taux bas, aussi pesé sur la rentabilité des assureurs vie. En effet, elle agit de façon mécanique sur certains postes de leur bilan. Le graphique 1 présente l'évolution du taux de rendement de l'actif des assureurs vie, du taux de revalorisation moyen (cf. annexe) et celle de l'écart entre ces deux taux sur la dernière décennie. Graphique 1 Taux de rendement de l'actif (TRA), taux de revalorisation moyen (TRM) et écart entre les deux Sources : ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) ; états nationaux spécifiques et enquête revalorisation. Plus que le niveau des taux, c'est en effet la dynamique de l'écart entre le taux de rendement de l'actif et le taux de valorisation qui importe. L'environnement durable de taux bas crée également une contrainte croissante sur la capacité des assureurs de maintenir cet écart au cours du temps, d'autant que le passage à des taux d'intérêt négatifs depuis 2019 affecte, de façon asymétrique, le taux de rendement de l'actif. UNE BAISSE CONTINUE DU TAUX DE RENDEMENT DE L'ACTIF DEPUIS DIX ANS L'environnement de taux a un impact différent sur les assureurs en fonction de la maturité de leurs engagements. Pour des engagements à long terme, qui concernent principalement les contrats d'assurance vie (ainsi que les contrats d'assurance non-vie à déroulé long du type assurance construction ou responsabilité civile), les assureurs sont contraints par leur capacité à tirer un revenu financier suffisant des sommes placées au regard de ces engagements. Les placements des assureurs vie et mixtes représentent environ 91 % des actifs détenus par les assureurs. L'allocation d'actifs sous-jacente diffère selon qu'il s'agisse de placements en représentation d'engagements présentant des garanties en capital (supports en euros) ou de placements en représentation de supports en UC. En 2019, les assureurs détenaient 2 145 Md€ d'actifs pour couvrir les contrats en euros offrant des garanties en capital ou en termes de rendement. Pour satisfaire ces engagements, les assureurs privilégient les investissements à revenus réguliers, à valeur de remboursement stable et très liquide. Ces supports sont donc principalement investis en obligations, à hauteur de 75 % en 2019 après mise en transparence (c'est-à-dire réallocation aux assureurs des actifs placés dans des fonds), dont environ 31 % d'obligations d'État. Le reste des placements est composé pour 12 % d'actions (y compris les participations dans les filiales), d'environ 8 % d'immobilisations corporelles auxquelles s'ajoutent 4,2 % de parts d'OPC non résidents. Les placements en représentation des contrats en UC (402 Md€) constituent quant à eux une part croissante des actifs des assureurs vie et mixtes (15,8 % en 2019). Les obligations représentent 33 % des placements dans les supports en UC après mise en transparence (Arias et al., 2020). Du fait de cette composition du portefeuille, le résultat des assureurs vie est donc largement déterminé par les revenus tirés des actifs obligataires. Ainsi, le taux moyen de rendement de l'actif a diminué continûment et corrélativement avec la baisse des taux d'intérêt, passant de 3,9 % en 2010 à 2,6 % en 2019. Ce modèle d'activité conduit par ailleurs les assureurs vie à conserver une allocation d'actifs stable au cours du temps, et donc relativement inélastique à la baisse des rendements. UNE BAISSE PLUS RAPIDE DU TAUX MOYEN DE REVALORISATION PERMETTANT D'ASSURER UNE DOTATION IMPORTANTE À LA PARTICIPATION AUX BÉNÉFICES Face à cette évolution défavorable du taux de rendement de leur actif, les assureurs vie uploads/Finance/ quel-avenir-pour-l.pdf

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  • Publié le Jul 21, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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