RAPPORT ROCHER Repenser la place des entreprises dans la société : bilan et per
RAPPORT ROCHER Repenser la place des entreprises dans la société : bilan et perspectives deux ans après la loi Pacte Dirigé par Bris Rocher, président-directeur général du Groupe Rocher Rapporteur : Anselme Mialon, Direction générale du Trésor 3 RAPPORT ROCHER // OCTOBRE 2021 Rapport remis le 19 octobre 2021 à Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance et à Olivia Grégoire, Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable L’entreprise est nativement responsable Touchée par une grave crise de légitimité, l’entreprise doit redoubler d’efforts pour recréer les conditions de la confiance auprès de ses communautés. Afin de relever de manière pérenne ce défi de taille, elle dispose désormais d’outils pour asseoir le bien-fondé de son existence. Si elle pouvait jusque-là se prévaloir d’une certaine éthique, elle est désormais en mesure d’endosser un rôle beaucoup plus ambitieux : celui d’œuvrer au nom de l’utilité publique, une fonction traditionnellement réservée aux États. L’entreprise n’a certes pas vocation à se substituer aux politiques mais, en l’absence de gouvernance mondiale efficiente sur les grands enjeux de société (environnement, inégalité, santé, citoyenneté…), elle peut largement participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de solutions. D’autant que l’entreprise est nativement responsable et que les engagements qui lui sont aujourd’hui demandés lui permettent de se réapproprier le sens de ce qu’entreprendre signifie. L’étymologie du mot (le latin inter prehendere, littéralement « prendre entre ses mains ») suggère ainsi que le sens profond de l’activité entrepreneuriale consiste à tenir quelque chose entre ses mains pour le maîtriser sans cependant l’accaparer (1). Le sens fixé par l’usage dès le XVe siècle associe quant à lui le mot à la prise de risque commune et solidaire : entreprendre, c’est prendre un risque entre soi, c’est-à-dire ensemble (2). La responsabilité des entrepreneurs est donc partagée et totale car, en cas d’échec, c’est la ruine ! Au XIXe siècle, l’innovation juridique que constitue la société anonyme a signé l’émergence de l’actionnariat, lequel encourage les entrepreneurs à rassembler d’autres capitaux que les leurs auprès de banques et d’investisseurs privés ou publics pour financer le développement de leurs entreprises. C’est alors une autorisation gouvernementale qui acte la fondation d’une société anonyme : il faut justifier d’un intérêt pour le pays et la société civile à développer une activité enrichissant potentiellement les personnes privées ayant pris le risque de la financer. La responsabilité des actionnaires s’exerce ainsi officiellement d’emblée en regard d’un intérêt collectif élargi. Quand cette autorisation gouvernementale est supprimée en 1867, affranchissant définitivement (1) Prehendere n’a en effet pas le sens prédateur de captere qui signifie quant à lui « prendre pour capter ». (2) Voir, par exemple, Alain Chartier, Le Quadrilogue invectif, livre publié en 1422. Repenser la place des entreprises dans la société : bilan et perspectives deux ans après la loi Pacte INTRODUCTION 5 4 RAPPORT ROCHER // OCTOBRE 2021 RAPPORT ROCHER // OCTOBRE 2021 la liberté d’entreprendre, les entrepreneurs intériorisent cette double, voire triple responsabilité, à l’égard de leurs actionnaires, de leur corps social et de la société de façon plus large. Ainsi au début du XXe siècle, Henry Ford déclare que la poursuite du profit est évidemment un réquisit à la soutenabilité de toute activité économique, car c’est ce qui permet d’investir pour innover et surtout soutenir l’emploi, mais que si c’est là l’unique raison d’être (reason for existence) de l’activité, l’entreprise périclitera bien vite. Les actionnaires doivent être remis au centre du jeu La capacité à injecter du capital a permis un développement sans précédent, mais cela a aussi distendu le rôle des actionnaires qui sont devenus au fil du temps des investisseurs. La société de capitaux limite la responsabilité des apporteurs de capitaux, car ils ne sont plus responsables sur leurs biens propres, mais c’est cela qui a permis de libérer l’esprit d’entreprise. Puisque l’investisseur n’est plus responsable sur ses biens propres et que sa responsabilité se limite à son apport financier, la responsabilité s’est naturellement déplacée vers les entreprises. En effet, la responsabilité de l’entreprise n’a jamais cessé de croître. En passant de la qualité totale à la gouvernance d’entreprise pour arriver in fine à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), la nouvelle qualité de société à mission ne fait que répondre aux attentes des citoyens et traduit bien ce transfert de responsabilité. Même si la responsabilité des apporteurs de capitaux est limitée, cela ne doit pas les déresponsabiliser pour autant. En effet, toutes décisions engageant l’entreprise restent assumées par les organes de gestion et d’administration comme le conseil d’administration et les résolutions votées par les actionnaires en assemblée générale s’imposent à elle. Notre rapport repose sur une conviction forte : il n’y a pas d’entreprise responsable sans investisseur responsable. Quoi qu’il en soit, l’innovation juridique que constitue la société anonyme et qui permet de rassembler des capitaux ne suffit pas à déterminer l’entreprise. Celle-ci ne saurait exister sans développer d’autres formes de capitaux que l’on obtient grâce à la création collective, la production innovante, la réinvention des organisations et la culture des valeurs. Ainsi, au-delà du capital financier, il faut aussi considérer le capital humain. Les chiffres et les organisations ne dirigent pas une entreprise, ce sont les femmes et les hommes – qui la composent – qui sont en mesure de bâtir un projet collectif. Pour ce faire, il faut remettre le sens du travail au cœur du fonctionnement de l’entreprise. Or, il se trouve que la qualité de société à mission permet de rendre explicite ce qui parfois est beaucoup trop implicite. Au-delà de la raison d’être, il faut surtout des preuves de cette raison d’être La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), notamment à travers la qualité de société à mission représente donc un virage législatif important, qui va inciter l’entreprise à expliciter publiquement son apport à la communauté, la mission qu’elle se donne, ses objectifs sociaux et environnementaux, tout en reprécisant ses valeurs. Ainsi, la raison d’être inscrite dans les statuts doit être déclinée de manière opérationnelle. Car il n’y a pas de raison d’être sans preuve de raison d’être. Et, cette garantie de réalité de la raison d’être commence par sa transcription dans un statut juridique incluant les objectifs déterminés par l’entreprise pour donner du corps à la mission qu’elle s’est fixée. Inscrire la mission dans les statuts de la société permet de lui donner un caractère opposable qui la distingue des politiques RSE conventionnelles. Cette notion d’opposabilité est à la fois juridique et médiatique. Si l’entreprise inscrit sa mission et les objectifs correspondants dans ses statuts, elle est tenue juridiquement de les remplir, mais le risque d’image l’expose davantage. Cela étant, en prenant un peu de recul, on se rend vite compte qu’il y a, d’un côté, la loi qui réglemente et établit des règles qui s’imposent à toute la société et, de l’autre, le citoyen qui élève son niveau d’exigence au regard des enjeux sociaux et environnementaux. En effet, la libre concurrence oblige l’entreprise à se gendarmer, car elle se doit de répondre aux attentes des citoyens même en l’absence de cadre juridique ou de contraintes réglementaires. Les individus considèrent donc que les entreprises peuvent faire davantage pour régler les problèmes de la société. En cela, les dirigeants doivent initier le changement plutôt que d’attendre les décisions des institutions qui nous gouvernent. Ainsi, la loi Pacte représente une avancée majeure pour l’entreprise. Celle-ci tient au fait que le modèle français met la définition du sens du projet collectif au cœur de la stratégie des entreprises et au fondement de tous les engagements sociaux et environnementaux que celles-ci peuvent adopter. On n’a sans doute pas assez souligné la puissance et l’originalité d’un modèle qui, au lieu de contraindre d’abord, invite chaque entreprise à se réapproprier et à réaffirmer le sens de son activité et de sa contribution pour le monde. La loi française a su démontrer qu’elle faisait confiance aux entreprises pour porter une responsabilité, dont elles avaient elles-mêmes à définir l’orientation et les axes de combats spécifiques. 7 6 RAPPORT ROCHER // OCTOBRE 2021 RAPPORT ROCHER // OCTOBRE 2021 Définir des combats En effet, être une entreprise à mission ne permet pas d’être de tous les combats. En ce sens, une entreprise doit faire des choix et se focaliser pour avoir de l’impact. Il ne s’agit pas d’être responsable de tout mais d’apporter sa pierre à l’édifice sur un domaine ciblé pour développer sa propre singularité, là où les valeurs et les savoir- faire peuvent être les plus utiles à la collectivité. Les solutions aux enjeux sociaux et environnementaux apportées par les entreprises doivent à présent se déployer simultanément au développement économique de leurs activités. Les deux vont de pair et s’articulent dans un jeu à somme positive : la seule façon de créer de l’impact durable est d’aligner son modèle d’affaires sur l’impact positif que l’on veut créer. Autrement dit, une entreprise doit désormais pouvoir se dire que plus son chiffre d’affaires augmente, plus son impact est grand – et vice versa. uploads/Finance/ rapport-rocher.pdf
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- Publié le Mar 20, 2022
- Catégorie Business / Finance
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