La rareté chez les classiques Jean-Marie Harribey Corrigé de dissertation, Prép
La rareté chez les classiques Jean-Marie Harribey Corrigé de dissertation, Préparation à l’agrégation de sciences économiques et sociales La question de la rareté est sous-jacente à toutes les analyses économiques, de façon implicite ou explicite, et particulièrement chez les classiques. Définie comme un écart entre les besoins et des ressources limitées, il est difficile de savoir si cette rareté est une hypothèse ou bien reflète une réalité incontournable. Aborder cette question supposerait d’avoir résolu celle des besoins dont la définition n’est pas assurée ou est, en tout cas, sujette à plusieurs interprétations qui peuvent rejaillir sur la conception de la rareté. Pour les classiques, véritables fondateurs de l’économie politique, la prise en compte de la rareté va se ressentir de la contradiction terrible qui traverse l’économie politique : l’économie est pensée comme résultant de lois naturelles, dont celle des rendements décroissants est le plus bel exemple, et pourtant elle est inscrite dans un contexte social et historique. Est-ce pour cette raison que la rareté reste assez souvent en filigrane chez les classiques ? Ce serait risqué de l’affirmer brutalement. Plus vraisemblable est l’hypothèse selon laquelle la révolution industrielle qui se déroula sous les yeux des classiques leur apparut comme pouvant faire reculer les limites de la rareté. Celle-ci ne reste plus alors que comme cadre dans lequel se déroule l’activité humaine (I) et comme condition de la valeur (II). I- La rareté comme cadre de l’activité humaine L’activité humaine transforme la réalité et les conditions mêmes de cette réalité. De ce fait, la rareté est tour à tour subie, éloignée mais aussi organisée. A- La rareté subie Elle est vécue comme l’expression d’une pure loi naturelle. 1. La rareté est relative à l’écart qui sépare les besoins des ressources Cet écart est irréductible puisque les besoins sont posés comme illimités et les ressources comme limitées. Or cela mérite au moins deux nuances ou restrictions. a) Les besoins sont vus par les classiques, certes comme physiologiques et donc naturels, mais aussi comme sociaux. S’ils sont naturels, ils sont limités et les tensions sur la rareté des ressources est atténuée. S’ils sont sociaux, ils sont constamment évolutifs, donc potentiellement illimités et la tension sur les ressources s’approfondit. b) Le caractère potentiellement illimité des besoins sociaux ne tient-il pas au fait que ce que l’économie politique considère comme besoins correspond en réalité aux désirs ? Si cette hypothèse est crédible, le rôle de l’économie politique est de légitimer la transformation d’un être de désir en être de besoins, et ensuite de légitimer la recherche de l’accroissement des richesses chère à Adam Smith. 2 2. La rareté s’étend à tous les domaines a) La terre reste au début du XIXe siècle le moyen de production sur lequel vivent encore une majorité d’individus et qui est à la base de la production essentielle des biens consommés. Or la terre est en quantité limitée. Au fur et à mesure de la mise en culture, les rendements décroissent. Cela sera à la base de la théorie de la surpopulation de Malthus et de celle de la rente différentielle de Ricardo. b) Le raisonnement est étendu à tous les domaines. La rareté des ressources naturelles a des conséquences sur la production des biens finaux. Au bout du compte, les rendements d’échelle décroissants finissent par frapper tous les domaines d’activité. B- Cependant, la rareté peut être éloignée 1. La rareté est réductible Elle l’est avec l’augmentation de la productivité qui résulte d’une meilleure division du travail : - soit interne (Smith) ; - soit internationale (Smith, Ricardo, Mill) Le recul des limites est-il lui-même sans limites ? C’est tout le débat autour de la tendance vers l’état stationnaire (Ricardo puis Mill). 2. La recherche d’un accroissement de la richesse pour reculer les limites de la rareté est l’expression de la rationalité des individus Aussi le couple rareté-rationalité permet-il de définir l’homo œconomicus qui va constituer l’idéal-type fondamental de l’économie politique classique et plus tard de la théorie néo-classique. L’ homo œconomicus est un être maximisateur ou plutôt optimisateur compte tenu des contraintes qui s’imposent à lui (notamment les ressources naturelles, les revenus, ...). Chacune de ses décisions implique le calcul d’un coût d’opportunité car l’affectation d’une ressource rare à un emploi quelconque suppose de renoncer à un autre emploi. C- La rareté organisée ? 1. Le paradoxe de l’économie politique traduit une contradiction du capitalisme Pour pouvoir justifier la recherche de l’abondance, c’est-à-dire le recul de la rareté, il faut recréer celle-ci en permanence ou bien nourrir constamment le sentiment de la rareté. La rareté est alors autant fantasme que réalité. Chez qui peut-on trouver ce paradoxe, bien sûr dissimulé inconsciemment ? Ricardo redoute l’état stationnaire, mais il refuse toute création monétaire qui impulserait une dynamique économique. Il reste arc-bouté sur le currency principle. En d’autres termes, il raréfie la monnaie par souci de stabilité de la valeur de celle-ci. Cette vision s’est perpétuée jusqu’à nos jours. Toute une tradition ricardienne fait du taux d’intérêt le signe de la rareté de l’épargne préalable. Il faut renoncer à la consommation pour pouvoir investir. La satisfaction immédiate des besoins ne peut, selon cette tradition, qu’accélérer le rapprochement de la malédiction de la rareté. Cette vision du taux d’intérêt sera systématisée par Irving Fisher : le taux d’intérêt traduit la rareté des ressources que l’on voudrait affecter pour préparer l’avenir. C’est contre cette vision que Keynes mènera une bataille théorique en remettant en cause une hypothèse des classiques dénuée de fondement. Quelle est cette hypothèse ? 3 2. La perpétuation de la rareté, voire son approfondissement, sont dus à l’hypothèse d’atomicité des agents économiques Les individus sont isolés et prennent des décisions de manière autonome. Aucune coopération n’existe entre eux. Il n’y a jamais d’externalités positives qui rendraient possible une « croissance endogène. Sans externalités positives, les rendements d’échelle des facteurs utilisés par chaque individu isolé sont obligatoirement décroissants. S’il y en avait, l’accumulation du capital et la mise en œuvre des ressources de tout ordre réduiraient les coûts unitaires et conduiraient à produire toujours davantage jusqu’au point où une entreprise monopoliserait tout le marché. Le progrès technique, considéré comme exogène, ne modifie pas la situation évoluant vers l’état stationnaire. A la rareté naturelle des ressources (et pas seulement des ressources du même nom) s’ajoute la rareté ou l’inexistence des relations sociales hors marché et donc des interactions positives entre les agents. Une mention particulière doit être faite toutefois pour Smith qui n’est pas loin de l’idée des conventions avec sa notion de sympathie, car l’individu a besoin des autres, le self love ne pouvant provenir que de la reconnaissance des autres. II- La rareté condition de la valeur Economie de production à l’origine des richesses (les seules qui en soient pas données à l’homme et qui résultent d’un travail) et économie d’échange sont les deux réalités liées entre elles que les classiques prennent en compte. Travail et échange sont les deux moments-lieux présidant à la formation et à la réalisation de la valeur dans un univers de rareté (réelle ou supposée-fantasmée, peu importe maintenant). A- La rareté, condition préalable de la valeur Cette condition est commune à tous les classiques par delà leurs approches différentes de la valeur. 1. Pour Smith et Ricardo La rareté est la condition nécessaire pour que l’homme se mette au travail. Dès lors, le travail implique la rareté (travail ⇒ rareté). Et la loi de la valeur-travail ⇒ la loi dite de la rareté selon laquelle plus un bien est rare, plus il est cher. Contrairement à ce qui est souvent affirmé à tort, il n’y a donc pas d’opposition entre ces deux lois : la première ci-dessus est inscrite dans la seconde. De même, utilité ne s’oppose pas à travail. Pour les classiques anglais, la valeur d’usage (VU) est une condition nécessaire de la valeur d’échange (VE) : VE ⇒ VU. Il existe donc chez eux un triptyque conceptuel tout à fait cohérent : travail rareté utilité 4 « En tant qu’elles possèdent une utilité, les marchandises tirent leur valeur d’échange de deux sources : leur rareté et la quantité de travail nécessaire pour les obtenir », nous dit Ricardo (Principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, GF-Flammarion, 1992, p. 52). On peut même faire la suggestion suivante. Même quand Ricardo excepte les œuvres d’art et tous les biens non reproductibles de la loi de la valeur des marchandises gouvernée par la quantité de travail incorporé, et bien il a encore en tête la quantité de travail. On lit en effet : « Quelques marchandises ont une valeur déterminée par leur seule rareté. Aucun travail ne pouvant accroître leur quantité, leur valeur ne peut être réduite par un accroissement de leur offre. » (Principes…, p. 52, souligné par moi). Cela signifie que, si l’œuvre d’art atteint un prix astronomique, c’est parce que, pour la reproduire, il n’y aurait jamais assez de travail pour y parvenir, c’est-à-dire en langage logique et mathématique, cette quantité de travail qui serait nécessaire tendrait vers l’infini, d’où le prix uploads/Finance/ rarete.pdf
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- Publié le Fev 01, 2021
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