UNE BRÈVE HISTOIRE DU LTCM Gabriel Zucman La Découverte | « Regards croisés sur

UNE BRÈVE HISTOIRE DU LTCM Gabriel Zucman La Découverte | « Regards croisés sur l'économie » 2008/1 n° 3 | pages 157 à 158 ISSN 1956-7413 DOI 10.3917/rce.003.0157 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-1-page-157.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. . Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) Une brève histoire du LTCM 157 Regards croisés sur l’économie n° 3 – 2008 © La Découverte Une brève histoire du LTCM Gabriel Zucman (RCE) E n 1994, John Meriwether, ancien directeur du département fixed income de Salomon Brother, bat le rappel des meilleurs physiciens, mathématiciens et experts en finance quantitative des États-Unis. Son dessein : opérer la jonction des scientifiques et des traders les plus doués du New York Stock Exchange, pour fonder le Long Terme Capital Manage- ment (LTCM), qui allait devenir le hedge fund* le plus célèbre de l’histoire financière. Là où flair et instinct passaient pour vertus cardinales, en particulier chez les vieux loups de Wall Street, Meriwether un des premiers mise sur l’appli- cation systématique de modèles statistiques à l’évaluation des actifs (ce qu’il avait fait avec succès chez Salomon Brother, avant de devoir démissionner à cause d’un scandale financier). Pour sa nouvelle création, l’enfant chéri de la Bourse réunit 125 docteurs d’université, une pléiade de professeurs et de jeunes mathématiciens. Il s’associe surtout les deux plus grands noms de la théorie financière contemporaine : Robert Merton et Myron Scholes, tous deux à l’origine du modèle de Black & Scholes, récompensés par le prix « Nobel » en 1997 [« Les principaux modèles de prévision des cours », p. 141]. Comme tous les hedge funds, le LTCM n’est pas ouvert au premier qui- dam. Chaque investisseur doit apporter un minimum de 10 millions de dollars, bloqués pendant trois ans, sans droit de regard sur les transac- tions, avec des commissions deux fois plus importantes que la norme du moment : 2 % des fonds investis et le quart des gains. Ce qui ne l’empêche pas d’attirer des clients prestigieux dans le monde entier (PDG, banques d’affaires, banques centrales…). La stratégie fondamentale du LTCM consiste à traquer des opportuni- tés d’arbitrage* sur les marchés des taux d’intérêt, puis à en tirer profit. Comme les opportunités d’arbitrage ne sont pas légions (à Wall Street, « on ne trouve pas de billet de 100 dollars par terre » dit l’adage), le LTCM utilise des montages financiers parmi les plus complexes jamais créés. Théoriquement peu risquée, cette stratégie nécessite peu de fonds pro- pres. Quand une opportunité d’arbitrage est décelée, par exemple deux obligations* fondamentalement identiques mais valorisées différemment par le marché, il suffit de vendre à découvert* l’actif survalorisé, et avec © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) 158 Comprendre la finance contemporaine Regards croisés sur l’économie n° 3 – 2008 © La Découverte l’argent ainsi récupéré d’acheter l’actif sous-valorisé. Ainsi, La gestion du LTCM repose-t-elle avant tout sur l’utilisation d’un important effet de levier* : pour un dollar possédé, le LTCM place plus de 35 $, ce qui lui permet d’afficher des résultats remarquables les quatre premières années (40 % de rendement* annuel en 1995 et 1996). La possibilité de succès de la stratégie du LTCM, comme de tout hedge fund, reposait sur deux hypothèses : 1) les marchés sont tendanciellement à l’équilibre, c’est-à-dire que les erreurs d’évaluation faites par les acteurs sont systématiquement corrigées ; 2) les marchés sont liquides, c’est-à- dire qu’on peut toujours y vendre ou acheter n’importe quelle quantité de l’actif au prix où il s’échange. Deux hypothèses habituellement vérifiées en situation « normale », mais qui deviennent pure fiction quand des chocs de grande importance frap- pent l’économie. Meriwether, Merton et Scholes (par ignorance ? Négli- gence ? Calcul ?) ne prennent pas en compte la probabilité que de tels chocs extraordinaires surviennent. Or en août 1998, la Russie se trouve dans l’impossibilité d’honorer sa dette. À la grande surprise du monde financier (estimant que nul n’oserait laisser aller à la dérive un pays aussi « nucléa- risé » que la Russie), aucun accord n’est trouvé avec le FMI pour renflouer les caisses. Dans les quatre derniers jours d’août, Wall Street perd 12 %. La panique fige les marchés qui deviennent illiquides. Du jour au lendemain, le LTCM perd 5 milliards de dollars, 90 % du capital qui avait été accumulé depuis sa création. Son sauvetage demeure l’un des épisodes les plus rocambolesques de l’histoire de Wall Street. Devant le risque de crise systémique encouru si le LTCM était contraint d’écouler précipitamment ses actifs sur les marchés, le président de la Banque centrale de New York réunit les principaux res- ponsables des seize banques et sociétés d’investissements les plus puissan- tes du monde dans une pièce, les enjoint à faire le nécessaire pour sauver le fonds d’un naufrage brutal, et éviter ainsi l’effondrement des bourses. Après trois jours de négociation, chacun ayant réalisé où se trouvait son intérêt bien compris, 3,5 milliards de dollars sont injectés dans le LTCM, permettant sa liquidation en bon ordre. Les réactions sont virulentes. Mais au-delà du problème évident d’aléa moral*, qui se pose en vérité à chaque crise financière (doit-on sauver les coupables pour éviter une aggravation de la crise ?), le naufrage du LTCM soulève toujours, dix ans après sa chute, la question des limites de la théo- rie financière contemporaine. © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) © La Découverte | Téléchargé le 04/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.71.20.109) uploads/Finance/ rce-003.pdf

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  • Publié le Jan 03, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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