Bruno DURAND Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Nantes
Bruno DURAND Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Nantes, LEMNA – EA 4272 bruno.durand@univ-nantes.fr Au cours de cet article, nous montrons que l’épicerie en ligne connaît désormais un développement significatif en France. Nous y rappellons que le back-office constitue, au sein du canal de distribution, une condition de réussite tout aussi essentielle que le front-office en affirmant précisément que la logistique paraît enfin « trouver ses marques » en France. D’ailleurs, il ne semble plus, contrairement à un passé récent, qu’un modèle unique domine. Différentes alternatives paraissent co-exister, s’appuyant tantôt sur des infrastructures logistiques dédiées et tantôt sur des points de vente. Il semble encore que ces différents modèles soient liés au statut des détaillants en ligne : des différences significatives sont en effet observées entre le grand commerce intégré (Carrefour et Auchan en particulier) et les groupements de commerçants indépendants. Introduction Force est de constater que la distribution enre- gistre de profondes mutations. Comme le sou- lignent Durand et Paché (2005), le concept de l’hypermarché « souffre » aujourd’hui parti- culièrement. Après avoir connu une crois- sance régulière pendant quarante années, son bénéfice a ainsi chuté de 45% en 2008. Quatre raisons majeures semblent l’expliquer : (1) le gigantisme du format de vente ; (2) le renou- veau du format du supermarché ; (3) l’inadé- quation des assortiments (trop larges en alimentaire, trop étroits en textile…) ; (4) la percée du hard-discount, phénomène qui incite Lars Olofsson, le nouveau patron de Carrefour, à calquer sa politique de prix sur ce format low-cost. En pleine crise, le format de l’hypermarché estdonc appelé à se renouveler d’autant que de nouveaux modes de consom- mation, en particulier l’épicerie en ligne, connaissent une progression qui pourrait bien en accélérer le déclin. S’appuyant sur le récent rapport de prospec- tive du GCI (Global Commerce Initiative), Georget et al (2008) partagent ce point de vue, soulignant la tendance actuelle du multi-for- mat et du multi-canal chez les distributeurs. Ils insistent notamment sur le développement attendu de la livraison à domicile (LAD) et des commerces de proximité : la LAD pour- rait ainsi représenter entre 15 et 25% du com- merce total en 2016. De leur côté, Dayan et Heitzmann (2007) estiment que le « B to C » devrait continuer à croître et doubler d’ici 2011. Avec 22 millions de cyber-acheteurs (soit environ deux internautes sur trois) et, selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), une augmentation des ventes de plus de 25% au premier semestre 2009, le commerce électronique français est visiblement entré dans une nou- velle phase. Ainsi, malgré l’ampleur de la crise économique actuelle, la Fevad estime que le chiffre d’affaires du « B to C » devrait Logistique & Management Vol. 17 – N°2, 2009 51 Mutations logistiques de la cyber-épicerie française : quand les groupements d’associés défient la distribution intégrée dépasser, en France et pour l’année 2009, la barre des 25 milliards d’euros. Si le front-office, en particulier l’ergonomie du site Web et son référencement, constitue une composante fondamentale du canal de distribution numérique, le back-office, et plus précisément la logistique, semble tout aussi essentiel. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous concentrer, au cours de cet article, sur la préparation et la distribution physique des commandes en ligne, plus parti- culièrement celles d’épicerie. Le canal de dis- tribution est en effet sujet, dans le cadre de la vente en ligne, à de profondes mutations faites de désintermédiations (Nohra-China, 2007 ; Gratacap et Médan, 2005) et de ré-intermé- diations. Rappelons que, selon Hays et al (2004), trois modèles majeurs dominent en « B to C » : (1) celui des pure-players ; (2) celui des commerçants traditionnels ayant également développé une activité de vente en ligne ; (3) celui de l’association d’un pure-player et d’un commerçant en magasin. Cependant, concernant l’épicerie en ligne, un modèle est omniprésent : le deuxième, celui des distributeurs ayant choisi de se diversifier. Au cours de notre article, nous souhaitons tout d’abord souligner le développement signifi- catif de la cyber-épicerie en France. Puis, à la lumière du cadre théorique du canal de distri- bution, nous voulons préciser en quoi l’épi- cerie en ligne constitue une moindre rupture dans l’univers de la grande distribution fran- çaise. Cela nous amènera, dans un troisième temps, à rappeler les deux modèles de base de la logistique du « B to C » : la préparation de commandes en entrepôt et celle en magasin. Enfin, nous montrerons que les alternatives retenues par les cyber-épiciers français sem- blent a priori liées au statut même de chaque distributeur : les choix logistiques semblent en effet assez différents selon que l’on appar- tient à un groupe de la distribution intégrée ou bien à un groupement de commerçants indé- pendants. Nous nous efforcerons, au cours de cette dernière partie, de dresser un panorama des évolutions en cours. Précisons que notre démarche, qui se veut exploratoire, s’est déroulée en deux temps majeurs. Lors d’une première étape, nous avons entrepris une recherche documentaire, académique et managériale, afin de dégager les caractéristi- ques logistiques des cyber-marchés français. Puis au cours d’une deuxième étape, qualita- tive, nous avons conduit dix entretiens semi-directifs auprès d’acteurs de la cyber-épicerie : cinq auprès de commerçants en ligne, issus en particulier du commerce associé, et cinq auprès de prestataires de ser- vices e-logistiques (e-PSL). La cyber-épicerie en France : un développement incontestable Depuis l’arrivée d’Internet, tout ou presque s’achète et se vend sur la toile : la vente en ligne constitue assurément un précieux levier dans la conquête de nouveaux marchés. Rap- pelons à ce propos quelques données fonda- mentales du « B to C » en France. Selon Berchtikou et Peltier (2007), ce chiffre d’affaires devrait dépasser les 32 milliards d’euros en 2010. La croissance du « B to C » connaît donc un rythme soutenu en France : la population de consonautes progresse désor- mais plus vite que celle des internautes et, avec seulement un Français sur trois à acheter en ligne, la marge de croissance demeure encore importante. Sur certains segments de marché (culture, voyages, informatique, habillement…), comme l’atteste le tableau 2, la part des cyber-acheteurs approche déjà les 50%. Sur d’autres segments (hygiène, équipe- ment de la maison…), le e-commerce occupe une part plus modeste, mais en progression régulière. Même la cyber-épicerie paraît enfin « décoller » ! Force est d’admettre que la « prophétie » de Moati et al (2003), annonçant que le dévelop- pement du « B to C » est comparable à celui de Logistique & Management 52 Vol. 17 – N°2, 2009 Tableau 1 : L’évolution du « B to C » en France Année CA total en milliards € Nombre de sites marchands Nombre d’internautes en millions Nombre de consonautes en millions Consonautes en % 2002 2,2 2004 5,3 7.500 22 9 39% 2006 12,3 17.500 27 15 57% 2009 + 25 60.000 + 32 + 22 67% Source : à partir de données de Benchmark Group et de la Fevad (2009) l’hypermarché, se révèle donc assez exacte. Qu’en sera-t-il dans trente ans ? Le « B to C » connaîtra-t-il les mêmes difficultés ? La cyber-épicerie française représentait, en 2006, un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros, soit un peu plus de 2% du chiffre d’affaires total de l’alimentaire. En décembre 2008, une enquête conduite par Médiamétrie et la Fevad a évalué à 2,4 millions de person- nes, soit plus d’un consonaute sur dix, le nombre d’internautes à avoir fréquenté le « Top 5 » des cyber-marchés français. Après des débuts laborieux, l’épicerie en ligne semble donc entrer dans une ère nouvelle (Chétochine, 2005). Rappelons, pour com- mencer, que les premiers cyber-marchés fran- çais se sont développés dès 1998 sous l’impulsion des enseignes du commerce inté- gré : Auchandirect pour Auchan, Ooshop pour Carrefour, Houra pour Cora et Telemar- ket pour les Galeries Lafayette.Toutes les enseignes s’y intéressent désormais : les grou- pements d’associés ont eux aussi choisi de s’y positionner, emboîtant ainsi le pas aux « défri- cheurs » de la distribution intégrée. C’est le cas de Système U, qui déploie en 2009 son site Coursesu. Si l’Hyper U de Parthenay (79) est pourtant le premier magasin du commerce associé à s’être lancé dans la cyber-épicerie dès la fin des années 90, le groupement ven- déen est en revanche longtemps resté en retrait, se contentant d’initiatives individuel- les et locales très caractéristiques des mouve- ments d’indépendants. Leclerc semble, pour sa part, rentrer plus prudemment dans la « danse » : le 26 février 2008, Michel-Edouard Leclerc affirmait qu’il était sur le point de lancer son site. Cependant, le Président du groupement se demande encore aujourd’hui s’il doit bien prendre le risque d’altérer l’image de son enseigne, leader au niveau des prix pratiqués en magasin, tant qu’il ne peut offrir la même performance sur le Net… Quant à Intermarché, c’est incontes- tablement, à ce jour, le plus avancé des trois mouvements d’indépendants dans ce domaine. Le Groupement des Mousquetaires n’a pourtant uploads/Finance/ re-fe-rence-20.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Business / Finance
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