22/2/2020 Recension : le point de vue de Jean-Claude Michéa sur les réformes sc

22/2/2020 Recension : le point de vue de Jean-Claude Michéa sur les réformes scolaires : L’enseignement de l’ignorance et ses conditions mo… https://journals.openedition.org/pyramides/269 1/5 Pyramides Revue du Centre d'études et de recherches en administration publique 14 | 2007 Les systèmes en réforme : les universités Recension : le point de vue de Jean-Claude Michéa sur les réformes scolaires : L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes JEAN-PAUL NASSAUX p. 175-182 Texte intégral Les débats relatifs au rôle positif ou négatif de mai 68 se sont engagés bien avant la célébration du quarantième anniversaire de ces événements et de sa succession de publications. Les effets de la révolte étudiante sur l’enseignement ont, notamment, été abondamment commentés. Le philosophe et enseignant MICHÉA fait partie de ces auteurs qui associent dans une même critique libéralisme et développement de l’individualisme imputé à mai 68. Ses livres les plus connus, tels Impasse Adam Smith, brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche1ou le plus récent Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale2, entendent mettre en évidence les dégâts humains causés par les transformations qui touchent en profondeur les sociétés modernes, et démontrer que ces transformations procèdent du projet philosophique libéral. Celui-ci s’est progressivement défini depuis le XVIIème siècle et ne pouvait s’accomplir, selon MICHÉA, que dans le « monde sans âme du capitalisme »3. Très attaché au concept « orwellien » de la common decency, MICHÉA conteste la priorité absolue donnée aujourd’hui à la dimension purement économique. Et il souligne l’homogénéité de la doctrine libérale, refusant de distinguer sa face politique et culturelle de sa face économique. 1 Dans son ouvrage L’enseignement de l’ignorance, il se penche plus particulièrement sur les réformes scolaires sous-tendues par les principes libéraux.MICHÉA part de l’hypothèse que les actuels progrès de l’ignorance ne sont pas l’effet d’un 2 22/2/2020 Recension : le point de vue de Jean-Claude Michéa sur les réformes scolaires : L’enseignement de l’ignorance et ses conditions mo… https://journals.openedition.org/pyramides/269 2/5 dysfonctionnement regrettable de notre société, mais qu’ils sont au contraire devenus une condition nécessaire de sa propre expansion. Par progrès de l’ignorance, MICHÉA voit, plus que la disparition de connaissances indispensables, le déclin régulier de l’intelligence critique, c’est-à-dire, de cette aptitude fondamentale de l’homme à comprendre à la fois dans quel monde il est amené à vivre, et à partir de quelles conditions la révolte contre ce monde est une nécessité morale. L’auteur entame sa démonstration par la description de la manière dont le système capitaliste a été conçu et mis en œuvre. Même si l’existence de classes marchandes aux activités développées – et appuyées parfois sur des techniques financières extrêmement sophistiquées – n’est en rien propre aux sociétés de l’Europe moderne – cf. l’ancienne Mésopotamie, l’Irak des Abbassides, la Chine des Song –, c’est seulement dans les conditions de l’Occident moderne que la systématisation capitaliste des activités marchandes antérieures a pu devenir un programme philosophique précis. Et cela n’a pu se faire que grâce à l’invention de l’économie politique, discipline calquée sur l’idéal newtonien des sciences expérimentales de la nature. Pour l’économie politique, c’est l’intérêt égoïste qui constitue l’unique moteur rationnel des conduites humaines. Il suffirait, pour assurer automatiquement la paix, la prospérité et le bonheur, d’abolir tout ce qui, dans les mœurs, les coutumes et les lois des sociétés existantes fait obstacle au jeu « naturel » du marché, c’est-à-dire à son fonctionnement sans entrave ni temps mort. Or, selon MICHÉA, un système, dont les conditions idéales de fonctionnement ne font appel qu’à la logique de l’intérêt bien compris, est dans l’impossibilité constitutive d’élaborer les signifiants-maîtres que toute communauté humaine requiert pour persévérer dans son être. Et MICHÉA rejoint CASTORIADIS4 dans le constat que le système capitaliste n’a pu être expérimenté au sein des sociétés occidentales, puis s’y développer de la manière que l’on sait, que parce qu’à chaque étape de son histoire, il a puisé les valeurs et les habitus qui lui étaient nécessaires dans tout un trésor de civilités – aussi bien anciennes que modernes – qu’il était lui-même par nature incapable d’édifier. Et de citer CASTORIADIS quand celui-ci rappelait que « le capitalisme n’a pu fonctionner que parce qu’il a hérité d’une série de types anthropologiques qu’il n’a pas créés et n’aurait pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et wéberiens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc. ». Pour MICHÉA, un système capitaliste n’est donc historiquement viable, que si les communautés où son règne est expérimenté sont suffisamment solides et vivantes pour contenir d’elles-mêmes les effets anthropologiques destructeurs de l’économie autonomisée. Proposer autre chose que les applications partielles et limitées du système capitaliste, amènerait l’humanité à affronter des nuisances infinies. Or, l’histoire des trente dernières années est précisément pour l’auteur celle « des efforts promothéens que déploient les nouvelles élites mondiales pour réaliser à n’importe quel prix cette société impossible ». Dans cette perspective, le modernisme – comme religion du capital – tend nécessairement, à partir d’un certain seuil, à déconstruire non seulement les fondements anthropologiques de la socialité, mais également, et de plus en plus, toutes les civilités compensatrices ou critiques que la modernité elle-même avait eu la sagesse d’inventer. 3 Jusqu’à une date récente, le mode de production capitaliste devait composer avec un vaste ensemble de conditions écologiques, anthropologiques et morales qui avaient rendu possible un degré déjà élevé de production capitaliste, mais cela dans la mesure même où elles permettaient d’en limiter ou d’en amortir les effets les plus dévastateurs. C’est ce dispositif historique compliqué qui rend intelligible l’ambiguïté constitutive de la plupart des institutions du temps, à commencer par l’école républicaine. Si MICHÉA considère qu’une fonction décisive de cette dernière était de soumettre la jeunesse aux contraintes du règne naissant de l’universalité marchande et de ses conditions techniques et scientifiques, il note également que cette école républicaine se souciait réellement de transmettre un certain nombre de savoirs, de vertus et d’attitudes qui étaient en eux-mêmes particulièrement indépendants de l’ordre capitaliste. Mais, pour lui, ce « fragile compromis historique » s’est trouvé progressivement brisé au cours des années soixante. MICHÉA souligne à cet égard la responsabilité des événements de mai 68. Il y voit « la Grande Révolution libérale-libertaire » qui eut pour effet de 4 22/2/2020 Recension : le point de vue de Jean-Claude Michéa sur les réformes scolaires : L’enseignement de l’ignorance et ses conditions mo… https://journals.openedition.org/pyramides/269 3/5 délégitimer d’un seul coup et en bloc les multiples figures de la société précapitaliste. En décrétant partout leur égal archaïsme, on se donna les armes intellectuelles nécessaires pour exiger leur disparition. « C’est ainsi que », note MICHÉA, « par une de ces ruses dont la raison marchande est visiblement prodigue, l’abolition de tous les obstacles culturels au pouvoir sans réplique de l’économie se trouva paradoxalement présentée comme le premier devoir de la révolution anticapitaliste ». L’auteur voit dans le mouvement qui, depuis trente ans, transforme l’Ecole dans un sens toujours identique, la mise en place de « l’Ecole du Capitalisme total », c’est-à- dire, l’une des bases logistiques décisives à partir desquelles les plus grandes firmes transnationales pourront conduire avec toute l’efficacité voulue la guerre économique mondiale du XXIème siècle.Il fait état d’une réunion tenue sous l’égide de la fondation Gorbatchev en septembre 1995, à l’Hôtel Fairmont de San Francisco, où cinq cents hommes politiques, dirigeants économiques et scientifiques de premier plan confrontèrent leur vue sur le destin de la nouvelle civilisation. L’assemblée ayant diagnostiqué que, dans le prochain siècle, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale, la question fut posée pour l’élite mondiale de la manière de maintenir la gouvernabilité des 80 % d’humanité surnuméraire dont l’inutilité a été programmée par la logique libérale. La solution qui s’imposa comme la plus raisonnable fut le « tittytainment » proposé par ZBIGNIEW BRZEZINSKY. Il s’agit en l’occurrence de définir un cocktail de divertissement abrutissant et d’alimentation suffisante permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. Pour MICHÉA, une telle analyse cynique et méprisante permet de définir le cahier des charges que les élites mondiales assignent à l’école du XXIème siècle. Et, en se fondant sur elle, l’auteur déduit les formes a priori de la réforme qui serait destinée à reconfigurer l’appareil éducatif, selon les seuls intérêts politiques et financiers du Capital. Ainsi, un tel système devrait conserver un secteur d’excellence, destiné à former au plus haut niveau les différentes élites scientifiques, techniques et managériales qui seront de plus en plus nécessaires, à mesure que la guerre économique deviendra plus dure et plus impitoyable. Ces pôles d’excellence, aux conditions d’accès très sélectives, devront continuer à transmettre de façon sérieuse – c’est-à-dire, pense MICHÉA, probablement, quant à l’essentiel, sur le modèle de l’école classique – les savoirs sophistiqués et créatifs, ainsi qu’un minimum de culture et d’esprit critique. Une autre voie est probable pour les compétences techniques moyennes, « savoirs jetables –- aussi jetables que les humains qui en sont le uploads/Finance/ recension-le-point-de-vue-de-jean-claude-michea-sur-les-reformes-scolaires-l-x27-enseignement-de-l-x27-ignorance-et-ses-conditions-modernes.pdf

  • 18
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jan 24, 2021
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1786MB