Revue économique Les échanges internationaux comme dynamisme de la croissance M
Revue économique Les échanges internationaux comme dynamisme de la croissance Monsieur Raymond Barre Citer ce document / Cite this document : Barre Raymond. Les échanges internationaux comme dynamisme de la croissance. In: Revue économique, volume 16, n°1, 1965. pp. 105-126; doi : https://doi.org/10.3406/reco.1965.407642 https://www.persee.fr/doc/reco_0035-2764_1965_num_16_1_407642 Fichier pdf généré le 27/03/2018 LES ECHANGES INTERNATIONAUX COMME DYNAMISME DE LA CROISSANCE Au cours de ces dernières années, l'évolution économique mondiale a été dominée par deux faits : d'une part, la mise en œuvre, dans les pays sous-développés aussi bien que dans les pays économiquement avancés, de politiques de développement ; d'autre part, une intensification des échanges internationaux favorisée par l'abandon des restrictions quantitatives, la consolidation et l'abaissement des droits de douane, la constitution de vastes aires au sein desquelles circulent avec une liberté de plus en plus grande marchandises, services et capitaux. La croissance économique, dont le monde a bénéficié de façon continue, a stimulé les échanges en suscitant notamment un accroissement des exportations ; mais l'expansion des échanges a, de son côté, favorisé la croissance. Ce fut en particulier le cas pour les pays d'Europe occidentale. On a pu soutenir que les effets de la création de la Communauté économique européenne sur la croissance des pays membres étaient négligeables et qu'en fait c'était cette croissance qui avait permis l'établissement sans difficultés majeures du Marché commun. Certes, la détermination des causes et des effets en économie ne s'accompagne jamais de certitude ; mais il est difficile de contester que le développement des échanges intra-communautaires, les transformations des structures de production provoquées par l'élimination des contingents et l'abaissement régulier des droits de douane, l'adaptation par les firmes de leurs programmes de développement et de leurs plans d'investissement aux exigences d'un grand marché européen, l'élargissement des perspectives des agents économiques, ont été déjà et seront dans l'avenir des facteurs puissants de progrès économique et social. S'il fallait une confirmation de l'importance qui peut être attachée au développement des échanges comme stimulant de la croissance, on la trouverait dans la politique du Trade Expansion Act : « Nos industries, déclarait en 1962 le président Kennedy, seront stimulées par 106 REVUE ECONOMIQUE de nouvelles possibilités d'expansion et par une concurrence plus libre avec les industries d'autres pays ; elles seront en mesure d'accroître leurs efforts en vue du développement d'un système économique plus efficace et plus productif ; de tels résultats conditionneront une ère nouvelle d'expansion dynamique ». De leur côté, les pays en voie de développement ont montré à la Conférence mondiale du commerce, qui s'est tenue à Genève de mars à juin 1964, qu'ils ne désiraient pas seulement la disparition des obstacles que l'évolution du commerce international dresse, à leur avis, à l'encontre de leur développement, mais aussi une organisation et une orientation de ce commerce telles qu'il puisse contribuer de façon positive à la croissance de leurs économies. Cette relation entre les échanges internationaux et le développement, que l'on discerne dans les faits et qu'admettent les politiques économiques contemporaines, n'est pas ignorée par l'analyse théorique de la croissance ; mais elle n'est guère étudiée de manière privilégiée ni systématique1. Les modèles modernes de croissance, qui ont été élaborés dans la ligne de pensée post-keynésienne, reposent presque généralement sur l'hypothèse d'une économie close. Certes, Sir Roy Harrod prend en considération les échanges internationaux dans son analyse de l'économie dynamique et H. G. Johnson a étendu le modèle Harrod-Domar au cas d'une économie internationale comportant deux pays : mais il s'agit pour ces deux auteurs de définir les conditions d'une croissance équilibrée et de rechercher les modifications que l'introduction des exportations et des importations apporte aux conclusions d'un modèle fondé sur la relation entre l'investissement et la demande effective d'une part, et sur la relation entre l'investissement et la capacité productive d'autre part 2. De leur côté, les modèles néo-classiques de croissance, qui recourent à des fonctions de production, comme les modèles de Solow et de Meade, ne font aucune référence au rôle des échanges internationaux. Ainsi, dans un monde d'économies ouvertes, les modèles de croissance, dont nous disposons aujourd'hui, sont-ils des modèles d'économie close. 1. Ceci est souligné par H. Denis dans «Le rôle des débouchés préalables dans la croissance économique de l'Europe occidentale et des Etats-Unis d'Amérique », Cahiers de l'I.S.E.A., n° 113, mai 1961. 2. Cf. R.F. Harrod, Towards a dynamic economics, Londres, 1948, et H.G. Johnson, International trade and economic growth, Londres, 1958, 2e partie, notamment chap. V. LES ECHANGES INTERNATIONAUX ET LA CROISSANCE 107 En revanche, les théoriciens du commerce international commencent à étudier les effets de la croissance sur les échanges internationaux : ils s'inspirent ainsi de la suggestion de J.H. Williamms, selon laquelle « la relation entre le commerce international et le développement de nouvelles ressources et de nouvelles forces productives est une partie plus importante de l'explication de la situation présente des nations, des prix, des revenus et du bien-être, que l'analyse des économistes classiques, reposant sur l'hypothèse de quantités données de facteurs déjà existants et employés 3 ». Ainsi s'élabore une théorie de la spécialisation internationale liée au développement ; ainsi sont mis en relief les effets de la croissance sur le volume des échanges et sur les termes de l'échange ; ainsi se précise une typologie de la croissance, selon qu'elle est favorable aux échanges (pro-trade biased growth), qu'elle est neutre par rapport aux échangés (neutral growth) ou qu'elle est défavorable aux échanges (anti-trade biased growth) 4. Sur le plan théorique, une analyse des relations entre les échanges internationaux et la croissance doit donc se développer dans deux directions : elle doit porter d'une part sur l'influence des échanges internationaux sur la croissance d'une économie et les voies par lesquelles s'exerce cette influence ; elle doit concerner d'autre part les effets de la croissance d'une économie sur la nature, l'orientation et les conditions de ses échanges avec l'étranger. Notre propos est d'examiner seulement le rôle des échanges internationaux comme dynamisme de la croissance. Sur ce sujet, on rencontre dans la pensée économique des prises de position diverses. Les auteurs qui ont analysé les sources de la croissance ont été la plupart du temps discrets au sujet de la contribution des échanges internationaux à la croissance. Il n'en est question ni dans les propensions à la croissance de W.W. Rostow, ni dans les dynamismes de la croissance de F. Perroux, ni même dans la longue liste des « forces motrices » établie par J. Âkerman : pourtant celui-ci n'est guère restrictif dans son enumeration, puisqu'il retient des facteurs 3. J.H. Williamms, « The theory of international trade reconsidered », The Economic journal, juin 1929, p. 196. 4. Cf. H. G. Johnson, op. cit. On se reportera aussi à R.F. Harrod et D.C. Hague, ed., International trade in a developing world; proceedings of a conference held by the International Economic Association, 1963, notamment à la contribution de M. Byé (chap. VI). Pour une vue d'ensemble de la question, cf. C.P. KiNDLEBERGER, Foreign trade and the national economy, Yale University press, 1962, et G.M. Meier, International trade and development. Harper and Son, 1963. 108 REVUE ECONOMIQUE aussi nombreux et aussi divers que les progrès de la technique, l'accroissement de la population, la transformation des mobiles, les changements politiques, le développement du crédit, la croissance des groupes, l'évolution des rapports entre l'industrie et l'agriculture, lès modifications dans la répartition des revenus. La position d'Âkerman est d'autant plus singulière que l'histoire économique de la Suède montre comment les échanges internationaux ont contribué à la croissance de ce pays : à partir de 1860 en effet, le commerce du bois se développa et permit à la Suède de transformer son économie, à un moment où la Grande-Bretagne et la France abaissaient leurs tarifs douaniers et offraient des débouchés en expansion. D'autres économistes, au contraire, orientent la réflexion vers l'importance des échanges internationaux. A. Marshall écrit dans les Principles que « les causes qui déterminent le progrès des nations appartiennent au commerce international ». Sir Dennis Robertson souligne de son côté que « les spécialisations du xixe siècle ont été avant tout ... un moteur, un mécanisme de croissance » 5. Développant cette idée, Ragnar Nurkse montre que le commerce international transmettait au xixe siècle la croissance des centres développés de l'Europe aux régions en voie de développement et que son rôle en ce domaine s'est affaibli depuis la fin de la première guerre mondiale 6. Tout récemment, le développement économique rapide de certains pays européens (notamment de l'Allemagne) et du Japon a été interprété comme « une croissance menée par les exportations » {export-led growth). Cependant, un fort courant de pensée, relatif aux problèmes du sous-développement, attribue un rôle négatif aux échanges internationaux : ceux-ci seraient à l'origine d'un processus cumulatif d'appauvrissement et de stagnation dans les pays sous-développés. Cette thèse a été largement soutenue et débattue au cours des dix dernières années T Des attitudes aussi différentes peuvent inciter à l'agnosticisme en ce qui concerne l'influence du commerce extérieur sur la croissance. C.P. Kindleberger, par exemple, adopte une position nuancée et pru- uploads/Finance/ reco-0035-2764-1965-num-16-1-407642.pdf
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- Publié le Mar 20, 2021
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