// Par Guillaume de Morant et Jacques Duplessy Illustrations : Luc Brahy et Syl
// Par Guillaume de Morant et Jacques Duplessy Illustrations : Luc Brahy et Sylvaine Scomazzon ENQUÊTE business Des millions engloutis dans des projets vaseux 44 // SANG-FROID N°9 • Printemps 2018 Depuis 2009, tout souriait à cette biotech de Libourne qui devait inonder le marché avec des compléments alimentaires, des produits cosmétiques, des biocarburants… Aujourd’hui, malgré plus de 110 millions d’investissements, son usine neuve ne produit rien, certains brevets sont douteux ou bidons et la justice s’intéresse de près à ses curieuses pratiques. FERMENTALG Printemps 2018 • SANG-FROID N°9 // 45 ENQUÊTE business 46 // SANG-FROID N°9 • Printemps 2018 Printemps 2018 • SANG-FROID N°9 // 47 récompense : Alain Rousset lui remet le prix Aquitaine Océan, assorti d’une dotation en fonds propres d’un million d’euros. En 2015, nouvelle distinction, le prix du doyen Jean de Feytaud décer- né par l’Académie de Bordeaux, qui distingue l’au- teur de travaux sur la biologie et l’environnement. La belle histoire est savamment mise en scène à coups de communiqués de presse. Cocorico ! Un nouveau champion français serait-il né ? Derrière la success story, l’envers du décor La réalité est moins enthousiasmante. Derrière l’apparence green tech prometteuse se cache une entreprise en proie à des difficultés persistantes. Premier signe, les pertes se creusent d’année en année : -2,8 millions d’euros en 2013, -4,2 en 2014, -6,3 en 2015 et -9,7 en 2016. « Rien de bien grave Après l’entrée en Bourse vient le grand moment de la construction de l’UDI, l’unité de développement industriel. La Région Aquitaine subventionne le projet à hauteur de 509 000 €. Si la seconde tranche d’un montant identique est pour le moment blo- quée, la première pierre est néanmoins posée le 12 février 2015 en présence du président de la Région Aquitaine, Alain Rousset. L’UDI représente 10 mil- lions d’investissement, sans compter l’équipement prévu. Trois imposants bâtiments gris, bleus et verts avec un habillage bois sortent de terre. Fermentalg promet « une production initiale de 400 tonnes d’huiles de microalgues par an ». Les premières ventes sont annoncées cette fois pour 2016. L’entreprise cumule aussi prix et distinctions. En septembre 2012, Calleja reçoit le prix Pierre- Potier des mains d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif pour sa « technolo- gie de rupture ». Deux mois plus tard, nouvelle il aurait investi une modeste somme au départ avant d’acheter des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), c’est-à-dire des actions à un tarif très préférentiel. Les principaux financements viendront d’un spécialiste du capital-risque, Bernard Maître, avec son fonds Emertec et celui de capital- investissement Demeter Partners. La caution scientifique, elle, est apportée par le professeur Claude Gudin, docteur en biologie végétale, retraité de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Viennent s’ajouter CEA Investissement et Aquitaine Création Investissement. Fermentalg écrit la belle histoire d’une green tech française à qui tout semble sourire. L’équipe raconte avoir développé une nouvelle technique pour produire des microalgues en quan- tité industrielle, la « mixotrophie à dominante hétérotrophe ». Dans des fermenteurs clos, elle permettrait, en ajoutant de la lumière, de produire des microalgues ou des molécules d’intérêt plus efficacement que dans le noir, le milieu naturel de ces microalgues. Fermentalg dépose des bre- vets à tour de bras. À propos de l’un d’entre eux, le « brevet princeps sur la technologie », Pierre Calleja déclare en novembre 2013 : « La techno- logie de mixotrophie est de loin la plus promet- teuse […]. Depuis sa création, Fermentalg a mis en œuvre une politique dynamique de dépôts de brevets qui lui permet de renforcer sa position de leader européen de la culture de microalgues et de leader mondial sur la technologie de mixotro- phie. » Dans les années qui viennent, pas moins de 26 familles de brevets, soit plus de 100 brevets, dont « 7 délivrés sur la technologie » sont déposés. Fermentalg revendique aussi des partenaires pres- tigieux. Mi-2011, elle crée avec Sofiprotéol une coentreprise pour commercialiser un « produit à haute valeur ajoutée de la nutrition humaine (oméga-3) », puis se lance également dans les bio- carburants. En décembre 2012, elle dit ainsi être parvenue à faire rouler un véhicule de série avec un carburant partiellement obtenu à partir de microalgues. Il y a aussi ce partenariat avec Suez pour le puits de carbone, matérialisé par une colonne Morris implantée place d’Alésia à Paris et bourrée de microalgues censées absorber la pollution des voitures. L a cloche sonne pour Fermentalg, comme le veut la tradition lors de l’entrée en Bourse d’une société. Ce 16 avril 2014, c’est le grand jour pour son P-DG, Pierre Calleja. « Fermentalg est spécialisée dans l’exploita- tion industrielle des microal- gues, déclare-t-il sous les applaudissements dans la vidéo souvenir. Notre technologie brevetée nous permet de produire des microalgues en très grande quantité et à faible coût. Ces microal- gues, nous allons les retrouver dans la nutrition humaine, l’alimentation animale, la cosmétolo- gie, la santé, la chimie verte et peut-être un jour, les biocarburants. » Et il promet : « Dès 2015, notre unité de production va nous permettre de mettre nos premiers produits sur le marché. » Fermentalg lève un peu plus de 40 millions auprès d’investisseurs institutionnels et particuliers. La Banque publique d’investissement (BPI) apporte de l’argent frais en achetant des actions au cours de 9 € et en s’engageant à déposer une offre sur 30 % des actions nouvelles émises. Bpifrance, fi- liale de la Caisse des dépôts et consignations, avec son fonds Ecotechnologies, prendra un peu plus de 13 % des parts avec un investissement de 4,6 mil- lions d’euros sur un total de 12 millions d’euros en 2013, et devient même en 2017, à la faveur de la dernière levée de fonds, le premier actionnaire de l’entreprise. Un horizon de promesses s’ouvre devant le champion de l’algue microscopique. Fermentalg a été fondée en 2009 à Libourne, en Gironde, par Pierre Calleja. D’abord technicien en aquaculture en 1983, il travaille ensuite dans la nutrition animale, le plus souvent comme di- recteur scientifique. L’homme a de solides ré- seaux, un passé qui inspire confiance. Selon un ancien dirigeant qui s’est confié à Sang-froid, À la faveur de la dernière levée de fonds, Bpifrance devient premier actionnaire de l’entreprise. Un horizon de promesses s’ouvre devant le champion de l’algue microscopique ENQUÊTE business 48 // SANG-FROID N°9 • Printemps 2018 Printemps 2018 • SANG-FROID N°9 // 49 alisation ». Transalg, c’est aussi 905 000 € reçus par Fermentalg au titre d’avances remboursables de Bpifrance Innovation (ex-Oséo). Selon le même document interne, le budget Transalg a été sures- timé dès l’origine : « les montants reçus en août 2015 ont été surévalués de 46 % environ. De plus, au regard du marché de la chimie verte mondiale […], il ne semble pas rentable avec la technique actuelle avant une quinzaine d’années ». Problème, jamais ces partenariats abandonnés n’ont fait l’objet d’une réelle communication, sauf dans le document de référence de l’AMF en 2017. Nul communiqué de presse n’est venu annoncer ces renoncements ou échecs. Ces alliances stra- tégiques avaient pourtant été largement mises en valeur au moment de leur signature. Côté recherche, la situation est aussi préoccupante et de drôles de méthodes sont mises au jour. La pertinence de certains brevets est remise en cause. Dans un mémorandum du 10 février 2016, le direc- teur scientifique de Fermentalg, Hywel Griffiths, après le réexamen complet de chaque brevet se dit « consterné ». « La plupart, si ce n’est la totalité des brevets déposés avant 2013 étaient moins so- lides que ce que l’on imaginait. Les exemples utili- sés pour rendre les inventions possibles n’étaient pas basés sur des expériences réelles. » Le scien- tifique procède alors « au retrait de six brevets qui risquaient de causer de graves préjudices à la réputation scientifique ou commerciale de la so- ciété ». Il émet ensuite un vœu : « Nous ne soumet- trons plus des brevets dans le simple but d’avoir des brevets. » Un salarié qui travaille à la propriété intellectuelle à Fermentalg témoigne par écrit de curieuses directives du management du mois d’août 2011 à la mi-2012 : « Il fallait occuper le terrain, garantir une liberté d’exploitation par la tech- nologie de mixotrophie ou élargir le portefeuille […]. Sur certaines rédactions, des valeurs ont été corrigées avant le dépôt. » Le projet Polaralg s’est terminé de la même ma- nière : par lettre recommandée. Fermentalg a signé en octobre 2013 une simple lettre d’intention avec la société Polaris, visant à produire et commercia- liser des oméga-6 pour la nutrition humaine. Les pourparlers n’ont pas abouti, mais visiblement les deux ex-partenaires n’en avaient pas la même lecture. Dans la communication de Fermentalg, la lettre d’intention s’est transformée en « partena- riat » (La Tribune du 18 septembre 2014). Puis un communiqué du 8 octobre 2015 vante un accord « conclu avec Polaris afin de produire et com- mercialiser une forme sûre, pérenne et naturelle d’huiles riches en oméga-6 ». uploads/Finance/ sf09-fermentalg.pdf
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- Publié le Fev 12, 2022
- Catégorie Business / Finance
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