1 Événement de corps et avènement de signification Dalila Arpin Dans « Biologie
1 Événement de corps et avènement de signification Dalila Arpin Dans « Biologie lacanienne et événement de corps »1 Jacques-Alain Miller a défini la « biologie lacanienne » comme la reprise des symptômes à partir des « événements de corps ». Cela implique de revoir la façon dont on aborde les symptômes, à savoir : si cet abord va se faire à partir de l’écoute du sens (métaphorique) ou à partir de la lecture de la lettre hors sens du symptôme. Nous allons commenter, plus précisément, le chapitre de ce texte qui s’intitule « Événement de corps et avènement de signification »2. Dans la langue française, un événement est un fait auquel aboutit une situation, ce qui arrive à quelqu’un et qui a une importance pour lui, un fait historique marquant. Un avènement est la promotion à un rôle important, l’arrivée, l’accession, le couronnement, le sacre, la venue, l’arrivage, l’apparition, la livraison. La question est donc de savoir si un événement de corps est corrélé à la production d’une signification ou bien à une satisfaction. Et dans ce cas, de quelle satisfaction s’agit-il ? Le parcours de ce chapitre nous amènera à l’avènement d’une différence cruciale concernant le réel. Dans ce chapitre, J.-A. Miller promeut la définition du symptôme comme « événement de corps », qu’il prélève d’une citation de Lacan dans « Joyce le symptôme »3. C’est une définition essentielle pour l’abord du symptôme dans la cure analytique. Elle permet de cerner que le symptôme vise la production d’une satisfaction, qu’on appelle en psychanalyse « jouissance ». Cette jouissance est une satisfaction d’un type particulier, déjà cerné par Freud comme un au-delà du principe de plaisir. Autrement dit, cette « satisfaction » ne produit pas forcément du plaisir, l’homéostase freudienne, mais un déséquilibre profond et dérangeant. Plus loin, J.-A. Miller dira que dans l’événement de corps, il est question du corps impacté par un événement de discours qui prend la valeur d’un trauma. Cette notion lui permet dès lors de faire valoir les traces que l’événement de corps laisse sur le « parlêtre » : des symptômes et des affects. Dans ce chapitre, la jouissance est définie comme « satisfaction substitutive d’une pulsion ». Ce caractère substitutif n’enlève rien à son authenticité ni à son rapport au réel. Elle est en lien étroit avec le réel et elle sert alors l’une des pulsions partielles de l’être parlant : orale et anale – depuis Freud, scopique et invocante, ajoutées par Lacan. Cette définition du symptôme comme événement de corps a été longtemps occultée par une autre : « le symptôme est un avènement de signification », où le symptôme est pris comme métaphore, chère au premier Lacan. En effet, ce changement de perspective a des conséquences au niveau de l’interprétation : si, avec le premier Lacan, il s’agissait de trouver le sens occulte du symptôme, avec le dernier Lacan, place est faite à la jouissance qui jaillit du corps. On sait depuis Freud que les symptômes du névrosé enserrent une satisfaction. Ainsi, Elisabeth Von R., l’une des patientes de Freud qui commence à avoir des douleurs dans la jambe lors de la mort de sa sœur, au point de l’empêcher de marcher. La satisfaction occulte 1 Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événement de corps », La Cause freudienne, n°44, février 2000, p. 7-59. 2 Ibid., §III « Événement de corps et avènement de signification », p. 24-33. 3 Lacan J., « Joyce le Symptôme », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 565-570. 2 étant qu’elle aurait bien aimé se marier avec son beau-frère, ce qui devenait possible maintenant mais qui la remplissait de culpabilité. Elle est donc empêchée de « faire le pas ». Signification et satisfaction Les formations de l’inconscient isolées par Freud situent justement les « événements » les plus anodins comme significatifs. Ils sont pourvus d’une signification occulte, c’est-à-dire, inconsciente. On peut dire qu’avec lui, les événements de corps sont des avènements de signification. Ainsi, l’analysante qui oublie ses clés chez l’analyste lui dit d’une façon codée que malgré ses plaintes constantes, elle va revenir la voir car elle sait au fond d’elle-même que c’est là qu’elle retrouvera « les clés » de ses problèmes. Un agent immobilier qui voulait dire « on faisait signer les clients », dit « on faisait saigner les clients ». Dans ces cas, Lacan met en relief un fonctionnement inédit entre code et message. Le message nécessite du code pour aboutir à la production de la signification. C’est pourquoi Freud insistait sur le fait que pour rire d’un mot d’esprit, il fallait être de la même paroisse, c’est-à-dire, avoir le même code. Dans le graphe du désir, on peut lire comment le message se produit à l’insu du sujet, dans un niveau différent de celui où le message était proféré. Alors qu’on voulait dire quelque chose, on finit par en dire une autre. Au moment de commencer à écrire ce cours, j’ai mis pour titre « Événement de corps et avènement de satisfaction », au lieu de « signification », me donnant peut-être déjà la réponse à la question que ce texte me posait ? Je faisais déjà la substitution : là où était la signification, la satisfaction doit advenir. Comme le précise J.-A. Miller, la signification n’est pas tout de la découverte freudienne. Chez lui, la signification est constamment doublée de la satisfaction que ces formations apportent à l’appareil psychique. Le texte qui met le plus en valeur cette double appartenance des formations de l’inconscient, c’est Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient. Car, parmi les formations de l’inconscient, le Witz est ce qui montre plus clairement la satisfaction qui s’ensuit à l’émission du message. On raconte que Barack Obama dîne avec Michelle. Elle se lève et va vers le patron du restaurant. Elle est dans une certaine intimité avec lui. Puis, elle retourne à table et explique à son mari que c’est l’un de ses ex. Barack lui dit alors : « Tu vois, si tu t’étais mariée avec lui, aujourd’hui tu serais la femme d’un restaurateur. Elle répond : « Non, si je m’étais mariée avec lui, aujourd’hui il serait Président des États-Unis. » Dans ce rapport entre la signification et la satisfaction que peuvent avoir les événements de corps, et par extension, les formations de l’inconscient, il y a deux distinctions importantes à faire : Des événements qui se présentent comme dépourvus de signification et que l’analyse révèle comme en ayant une. À l’intérieur de cette catégorie, il y a la distinction à faire entre événement et phénomène de corps. Pour ma part, il me semble que le phénomène de corps signe une manifestation qui apparaît comme pathologique ou en tout cas, discordante, mais qui n’est pas forcément repérée comme telle par le sujet. C’est toute la liste de signes que l’on trouve dans des manuels de psychopathologie, DSM ou autre. Une femme que je commence à recevoir me dit avoir vécu un phénomène paranormal concernant son grand-père paternel : alors qu’il est mort depuis un an, elle l’entend, avec sa démarche singulière, monter les escaliers de la maison familiale. En l’attribuant au domaine paranormal, elle fait l’impasse sur son implication subjective, sur la singularité que ce phénomène a pour elle. Elle va jusqu’à dire que sa famille a aussi entendu des bruits cette nuit-là, bien que ce ne soient pas les mêmes. L’événement de corps lui, indique, comme la définition française le pointe bien, un fait qui prend une importance pour un sujet, même si pour d’autres – de la même famille, par exemple, ou du même groupe – ce fait n’a pas une importance particulière. 3 Des événements qui sont vécus comme déplaisants et pour lesquels l’interprétation révèle une satisfaction cachée. Ce mouvement de l’insatisfaction à la satisfaction est particulièrement repérable dans la clinique de l’hystérie. L’opération freudienne a donc une double incidence : sémantique et économique, le dit J.-A. Miller. Il importe, dans la clinique, de n’en négliger aucune. La perspective du prochain Congrès de l’AMP pointe justement cet aspect économique dans le rapport du symptôme au corps du « parlêtre ». En revanche, le parti pris par le premier Lacan est de privilégier l’aspect sémantique sur l’économique, bien que dans son « Rapport de Rome », il s’interroge sur le rapport de la libido et de la parole dans l’action de l’analyste. Pour ce qui est de la notion de libido, il est important de préciser, comme le fait ici J.-A. Miller, qu’il y a un Lacan avant le premier Lacan, « avant d’être obnubilé par le structuralisme linguistique », comme il le dit, qui déduisait les pulsions de vie et de mort à partir du narcissisme. Ainsi, le dualisme freudien était remplacé par un monisme. La conséquence principale était que la pulsion de mort était réduite à l’agressivité. Les événements – non pas de corps, mais nationaux récents ‒ pourraient démontrer cette thèse. C’est le Lacan d’avant le « Discours de Rome » et encore celui du stade du uploads/Finance/ 3-d-arpin.pdf
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- Publié le Dec 03, 2022
- Catégorie Business / Finance
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