STRATÉGIES DE LA BANQUE DE DÉTAIL FACE À LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE OLIVIER KL
STRATÉGIES DE LA BANQUE DE DÉTAIL FACE À LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE OLIVIER KLEIN* I l est rare d’avoir un jour au cours duquel on ne voit pas dans la presse d’article alarmiste sur le destin des banques, prédisant leur disparition à court ou moyen terme. Et les comparant à la nouvelle sidérurgie, au nouveau Kodak, ne pouvant faire face à une révolution technologique ayant favorisé l’émergence de nouveaux usages et d’une nouvelle concurrence. La remise en question de la pérennité du modèle bancaire tradition- nel n’est pas nouvelle. Bill Gates disait déjà en 1994 : « Banking is necessary, but banks are not. » Or les banques sont toujours là. Évidemment la question de l’avenir des banques traditionnelles est légitime, parce qu’elles sont aussi sujettes aux grandes mutations actuelles, tant notamment technologiques que démographiques. En outre, les conditions macrofinancières contemporaines pèsent forte- ment sur leur rentabilité, de par la structure des taux d’intérêt aplatie vers zéro. Le digital est une révolution technologique, mais aussi, par consé- quence, une révolution du comportement des clients, y compris dans leurs relations avec les banques. Cette révolution, si elle touche l’ensemble des clients, est bien plus marquée chez les ménages que chez les entreprises qui ont dématérialisé depuis longtemps leurs rela- tions et leurs échanges d’information avec les banques. Les relations entreprises-banques, centrées sur le lien entre le chargé d’affaires et le * Professeur d’économie financière, HEC ; directeur général, Groupe BRED. Contact : olivier.kleinsbred.fr. 193 responsable de l’entreprise et la valeur ajoutée du conseil donné, ne vivent pas de fortes évolutions. Nous nous intéresserons donc ici volontairement davantage aux révolutions touchant plus particulière- ment le secteur de la banque de détail. Ainsi voit-on, par exemple, que le nombre de clients dans les agences a considérablement baissé, ce qui peut laisser penser que l’on n’a plus besoin d’agences, ni de conseillers. Donc la seule possibilité de s’en sortir serait un repli défensif, une réduction de la voilure sur le terri- toire. Pour aborder avec pertinence le sujet de l’avenir des banques de détail dans ce contexte de fortes et rapides mutations, il est important de revenir sur des questions de fond, auxquelles on ne peut répondre simplement. En fait, ni le fatalisme, ni le déni de réalité ne sont de bonnes recettes. Les banques de détail ont en effet des atouts considérables qu’elles peuvent mettre en avant, un potentiel de « sortie par le haut », mais seulement s’il est porté par une vision offensive. Car iI ne s’agit pas de faire preuve de passéisme. Ne pas se transformer et négliger de répondre aux nouveaux usages serait en effet une stratégie perdante. Mais il faut d’abord bien distinguer la question du digital de celle des taux d’intérêt. Nous assistons à la conjonction des deux phénomènes qui impactent l’activité bancaire traditionnelle, mais qui n’ont pour- tant rien à voir l’un avec l’autre. D’un côté, les banques font face à une courbe de taux d’intérêt devenue plate et proche de zéro qui pèse sur la rentabilité des banques de détail. D’un autre côté, l’avènement du digital bouleverse le comportement des clients, leur parcours et l’orga- nisation du travail dans les banques. Il est alors particulièrement intéressant d’étudier les modèles de rupture amenés par cette révolution technologique : la possible évolu- tion vers un modèle quasi unique de banque en ligne, dite « néo- banque », l’apparition de nouveaux acteurs, notamment de start-up telles que les Fintech, mais aussi l’arrivée des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) dans le secteur bancaire, pouvant venir concurrencer les banques commerciales sur des segments rentables de leur chaîne de valeur. Ces modèles sont différents, même si les réponses que les banques traditionnelles peuvent y apporter tendent parfois à se rejoindre. Afin d’éviter la désintermédiation, les banques devront adop- ter une vision offensive de leur activité et apporter toujours plus de valeur ajoutée à leurs clients, dans un modèle renforcé de relation globale. Ce qui passera parfois par des alliances avec ces nouveaux acteurs du secteur bancaire. REVUE D’ÉCONOMIE FINANCIÈRE 194 LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE EST-ELLE UNE OPPORTUNITÉ OU UN DANGER POUR LES BANQUES TRADITIONNELLES ? La révolution technologique est un élément de contexte majeur pour les banques. Faisant appel massivement aux technologies, de nouveaux acteurs bancaires – dits « néobanques » – fleurissent. La dix-neuvième banque sur mobile en France a récemment vu le jour avec le lancement par La Poste de sa banque en ligne. Les innovations digitales, qui peuvent trouver un champ d’applica- tion dans le domaine bancaire, sont de divers ordres : la robotisation, la digitalisation des processus, le big data, l’intelligence artificielle, les paie- ments et bien d’autres. À l’évidence, ces innovations provoquent des ruptures majeures dans le comportement des clients, qui deviennent de plusenplusexigeantsàdeuxniveaux.D’unepart,l’exigencedepraticité, de facilité, de simplicité de parcours, a considérablement augmenté. D’autre part, les clients sont devenus beaucoup plus exigeants sur la qualité et la valeur ajoutée du conseil qui leur est fourni, bien mieux informés par internet. Ces évolutions majeures peuvent être perçues comme un danger pour les banques traditionnelles, mais elles créent au contraire avant tout de nombreuses opportunités à bien analyser autour desquelles il faut forger les nouvelles stratégies bancaires. Afin d’analyser les atouts et les opportunités des banques tradition- nelles face à l’émergence de ces nouveaux modèles et acteurs, il faut alors revenir à l’essence même de ce qu’est une banque de détail, en distinguant les invariants des points contextuels, qui évoluent en fonc- tion de la technologie en vigueur et de leur utilisation par les clients. Danslabanquededétail–dontlemodèlepeutd’ailleursêtredifférent suivant les pays en fonction des us et coutumes qui sont propres à chacun –, il y a deux grands domaines : la banque transactionnelle, celle du « quotidien », et la banque relationnelle et du conseil, celle des « pro- jets de vie ». Ce sont bien deux demandes de banques distinctes, même si naturellement elles peuvent se recouper et s’articuler l’une à l’autre. La banque au quotidien est celle des transactions courantes : retrait d’un chéquier, réalisation d’un virement, retrait ou dépôt d’argent liquide, etc. Le développement d’internet, des smartphones et des automates implique que cette banque transactionnelle n’a pratiquement plus besoin de réseau pour réaliser ces opérations courantes. La baisse de fréquentation des agences liée à ces opérations de banque au quotidien est très forte, entraînant une diminution drastique du besoin de « gui- chetiers ». La banque relationnelle, quant à elle, est celle des projets de vie et du conseil, mais aussi celle qui accompagne les moments difficiles que chacun peut rencontrer tôt ou tard. Elle caractérise la relation la plus STRATÉGIES DE LA BANQUE DE DÉTAIL FACE À LA RÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE 195 profonde des particuliers avec leur banque, bien au-delà de la gestion des moyens de paiement. Cette banque est celle qui traite du temps long avec les clients. Ce temps long est lié au fait que l’on s’occupe de leurs projets de vie, dans leur préparation comme dans leur déroulement. Ces projets peuvent être très importants : financer ses études, sa première installation professionnelle, acheter un logement, préparer sa retraite, etc. Il peut aussi s’agir de petits projets de vie qui s’enchaînent comme préparer un voyage ou acheter une voiture. Une longue et forte relation de confiance se crée entre le client et le banquier. L’univers de besoin auquel répond la banque relationnelle est donc celui du temps long, de même que les produits qu’elle propose, à savoir le crédit, l’épargne ou l’assurance, sont des produits de temps long. La moindre fréquentation des guichets peut alors être une oppor- tunité pour les banques afin de mieux répondre aux nouvelles exigences de leurs clients. Les personnes se déplacent donc de moins en moins pour la banque au quotidien. Mais ont-elles pour autant une moindre appétence pour la banque relationnelle ? Depuis déjà une dizaine d’années, les modes de relation avec les réseaux bancaires ont évolué : présence physique, téléphone, e-mail, visio, tchats et autres. Ils ne suppriment cependant pas le besoin du conseiller bancaire, car il n’y a pas de baisse de demande de banque pour les projets de vie, bien au contraire. Le nombre de rendez-vous a augmenté, que les entretiens soient téléphoniques ou physiques. Or s’il y a toujours autant besoin, voire davantage, de conseillers bancaires, il faut bien savoir où ils peuvent être positionnés. Les clients désirent, à intervalle régulier, fréquemment ou rarement, voir physiquement leur conseiller, soit pour traiter de sujets structu- rants, soit par simple réassurance. Avoir des agences proches n’est donc pas complètement incongru. Alors puisque les agences de proximité existent déjà, pourquoi se priver de cet atout ? Celles-ci offrent de surcroît des kilomètres de vitrines publicitaires que bien des banques en ligne envient. Ainsi, pour la banque relationnelle, les modes de relation évoluent et se complètent, mais ils ne se suppriment pas. In fine, ils sont essentiellement fondés sur la relation avec le conseiller de clientèle. Avec internet, les clients sont en outre de plus en plus exigeants sur la qualité du conseil, car ils savent très bien naviguer pour s’informer, uploads/Finance/ strategies-de-la-banque-de-detail-face-a-la-revolution-technologique.pdf
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- Publié le Mai 29, 2021
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