M. Jean-Michel Adam Décrire des actions : raconter ou relater ? In: Littérature
M. Jean-Michel Adam Décrire des actions : raconter ou relater ? In: Littérature, N°95, 1994. Récit et rhétorique / Tynianov. pp. 3-22. Abstract It is necessary to redefine the criteria involved for a text to ,be telling a story, rather than recounting events or actions, or drawing a dynamic portrait. Contemporary difficulties with narration then appear symptomatic not of an ambition to tell stories better, but as disguised poetic constructions. Citer ce document / Cite this document : Adam Jean-Michel. Décrire des actions : raconter ou relater ?. In: Littérature, N°95, 1994. Récit et rhétorique / Tynianov. pp. 3- 22. doi : 10.3406/litt.1994.2336 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1994_num_95_3_2336 Jean-Michel Adam, université de Lausanne DECRIRE DES ACTIONS : RACONTER OU RELATER ? Dans « Frontières du récit » (Communications n° 8, 1966 ; article repris dans Figures II), Gérard Genette se fondait sur une dichotomie établie et souvent reprise depuis : Tout récit comporte [...], quoique intimement mêlées et en proportions très variables, d'une part des représentations d'actions et d'événements, qui consti tuent la narration proprement dite, et d'autre part des représentations d'objets ou de personnages, qui sont le fait de ce que l'on nomme aujourd'hui la description. L'opposition entre narration et description, d'ailleurs accentuée par la tradition scolaire, est un des traits majeurs de notre conscience littéraire. (Genette, 1969, p. 56) Un quart de siècle plus tard — en dépit des remarques et nuances introduites par Philippe Hamon — , dans Poétique n° 91 (1992), sous le titre « Logiques de la description », Jean Molino réaffirme la même ontologie. Pour lui (1992, p. 363), la description porte sur des person nes et des objets situés dans l'espace (ordre leibnizien des coexistenc es), tandis que la narration a pour objet des actions et des événements inscrits dans le temps (ordre des successions). Cette idée tiaversait déjà toute la tradition stylistique et rhétorique. Égli, pour ne prendre qu'un exemple, écrit dans sa Rhétorique : « II y a deux ordres de faits qu'on pourrait appeler les uns permanents et simultanés, les autres passagers et successifs. Les premiers fournissent les éléments de la description, les autres ceux de la narration » (1912, p. 37). En le prolongeant et en le développant, Gérard Genette a nuancé ce point de vue classique (je souligne) : Toutes Jes différences qui séparent description et narration sont des différences de contenu, qui n'ont pas à proprement parler d'existence sémiologique : la narration s'attache à des actions ou des événements considérés comme purs procès, et par là même elle met l'accent sur l'aspect temporel et dramatique du récit ; la description au contraire, parce qu'elle s'attarde sur des objets et des êtres considérés dans leur simultanéité, et qu 'elle envisage les procès eux-mêmes comme des spectacles, semble suspendre le cours du temps et contribue à étaler le récit dans l'espace. (1969, p. 59) En introduisant la possibilité, pour la description, de porter sur des procès, Gérard Genette a le mérite d'envisager un type de procès non plus narratif, mais descriptif, présentant des actions plus simultanées que chronologiques, à la manière d'un tableau ou d'une scène. Philippe Hamon va plus loin en soulignant que, dans une phrase comme -< L'enfant traverse la rue » , « "enfant" et "rue" peuvent devenir Récit et rhétorique va dans le même sens à propos de Dos Passos, de L'Étranger de. Camus et de la temporalité particulière de certains romans de Faulkner. Comme Dos Passos, Faulkner transforme le récit en simple addition : « Les actions elles-mêmes, même lorsqu'elles sont vues par ceux qui les font, en pénétrant dans le présent éclatent et s'éparpillent. » (1949, p. 87.) Dans L'Étranger de Camus, au lieu de relier causalement des événements, les phrases semblent juxtaposées : « En particulier on évite toutes les liaisons causales, qui introduiraient dans le récit un embryon d'explication et qui mettraient entre les instants un ordre différent de la succession pure. » (1949, p. 143.) Camus, dont on sait qu'il admirait — comme aujourd'hui Claude Oilier — le James Cain du Facteur sonne toujours deux fois, a contesté, dès L'Exil et le Royaume, la base anecdotique narrative de la nouvelle et l'on distingue facil ement les textes narratifs (Jonas, Le Renégat) des textes émancipés du substrat anecdotique et qui ne sont plus que des évocations d'une, deux ou trois journées ou d'une nuit (La Femme adultère, Les Muets, L'Hôte, La Pierre qui pousse). René Godenne montre bien que — dans la lignée du Flaubert d'Un cœur simple — l'intention fondamentale de Camus n'est pas de raconter et que « l'élément anecdotique, primordial dans la nouvelle-histoire, est [...] réduit à sa plus simple expression » (1985, p. 286). Pour ne prendre, plus près de nous, que l'exemple des narrateurs de Claude Simon, il est sans cesse précisé que ceux-ci sont dans l'incapacité de raconter. Au début de Tentative de restitution d'un retable baroque, la connaissance des événements est clairement déclarée fragmentaire, incomplète, faite d'une addition de brèves images, incomplètement appréhendées par la vision, de paroles, mal saisies, de sensations mal définies. À tout ce vague, ces trous, ces vides, l'imagination et une approximation logique s'efforcent de remédier. Mais tenter ainsi, à tout prix, d'établir des suites logiques de causes et d'effets n'est présenté que comme un moyen désespéré d'éviter la folie. On comprend mieux ainsi pourquoi Camus peut, dans Le Mythe de Sisyphe, présenter la description comme « la dernière ambition d'une pensée absurde ». Se contenter de décrire et de relater des actions sans opérer de mise en intrigue, refuser le récit, c'est prendre une position poétique qui est l'expression d'une vision du monde. Tel est l'enjeu de distinctions techniques que je crois utile d'introduire dans la théorie du récit 4. 4. Les arguments que je développe ici ont été élaborés avec Françoise Revaz, dans le cadre d'une recherche financée par le FNRS suisse (requête n° 1214-031059-91). 21 Décrire des actions : raconter ou relater ? BIBLIOGRAPHIE Adam (Jean-Michel), 1992, Les Textes: types et prototypes, Paris, Nathan- Université. — 1993 : La Description, Paris, P. II. F., coll. « Que sais-je ? » n° 2783. — 1994 : Le Texte narratif, Paris, Nathan-Université (nouvelle édition). Adam (Jean-Michel) & Petitjean (André), 1989, Le Texte descriptif, Paris, Nathan-Université. Aristote, 1980 : Poétique, traduction de R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Le Livre de Poche. Bataut (Bérardier de), 1776, Essai sur le récit ou Entretiens sur la manière de raconter, Paris, Ch.-P. Breton libraire. Bremond (Claude), 1966, « La logique des possibles narratifs », Communications n° 8, Paris, Le Seuil. — 1973, Logique du récit, Paris, Le Seuil. 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- Publié le Mai 01, 2021
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