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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/286452651 'Mathiness' et Assurance Article · December 2015 CITATIONS 0 READS 111 2 authors, including: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Kernel density estimation based on Ripley’s correction View project prediction View project Arthur Charpentier Université du Québec à Montréal 104 PUBLICATIONS 779 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Arthur Charpentier on 11 December 2015. The user has requested enhancement of the downloaded file. Risques n° 104 111 Clarification ou complexification suspecte du discours économique C herchant une explication à l’absence de consensus entre les théoriciens de la croissance malgré vingt ans de débats, Romer [2015] accuse certains de ses collègues d’utiliser le langage mathématique comme un écran de fumée. Formuler les modèles de croissance dans une « novlangue » – pour reprendre l’expression de Georges Orwell – d’équation permettrait à certains économistes d’utiliser des hypothèses frauduleuses et d’en tirer des conclusions non valides : « Like mathematical theory, mathiness uses a mixture of words and symbols, but instead of making tight links, it leaves ample room for slippage between statements in natural versus formal language and between statements with theoretical as opposed to empirical content. » Ce faisant, ils légitimeraient le constat de Tim Harford [2015] – « economics has a reputation for producing rigorous nonsense » – et alimenteraient la suspicion de nombreux critiques, qui voient les modèles économiques comme des chevaux de Troie d’idéologies variées. Et de même que la réponse à la novlangue n’est pas d’arrêter de parler, la réponse de Romer au problème de « mathiness » n’est pas d’arrêter d’utiliser un formalisme mathématique. Il s’agit plutôt de défendre une éthique scientifique à l’image de celle de Richard Feynman. La critique de Romer est d’autant plus significative que la mathématisation des modèles économiques au XXe siècle fut fondée sur la conception partagée que « les mathématiques sont un langage » permettant « MATHINESS » ET ASSURANCE Au printemps dernier, l’économiste Paul Romer lançait une discussion passionnante autour de la notion de « mathiness (1) ». Son essai très remarqué a réactivé des débats plus larges sur la place du formalisme mathématique en économie, les stratégies de modélisation (réalisme des hypothèses, etc.) et les liens entre théorie et travail empirique. Ces débats méthodologiques ont ressurgi périodiquement au cours du XXe siècle, et l’écho qu’ils trouvent en ce moment auprès des assureurs, qui s’interrogent eux aussi sur les modèles actuariels, n’a probablement rien d’une coïncidence. Arthur Charpentier Professeur, Université du Québec, Montréal Béatrice Cherrier Maître de conférences, Université de Caen Risques n° 104 112 de rendre les raisonnements plus clairs, moins ambigus et plus testables. De Paul Samuelson à Kenneth Arrow, nombreux sont les économistes qui reprennent cette formule souvent attribuée à l’un des fondateurs de la thermodynamique, Josiah W. Gibbs. En particulier, cette formule trouve un écho chez les émigrés, qui, comme Jacob Marschak ou John Von Neumann, ont cruellement besoin d’un langage universel pour s’établir aux États-Unis. Mais à y regarder de plus près, c’est bien leur seul point d’accord. Gérard Debreu, formé à l’école bourbakiste, considérait l’économie comme une branche des mathématiques appliquées et déclarait ainsi : « The full understanding of a problem required no compromise whatsoever with rigor » [Düppe et Weintraub, 2014]. Tel n’était pas l’avis de ceux qui comme Irving Fisher, formé par Gibbs, ou Samuelson, influencé par le prix Nobel de physique Percy W. Bridgman, prenaient exemple sur la physique. En introduction de sa thèse Foundations of Economic Analysis (1947), Samuelson développait ainsi l’idée que le travail de l’économiste consiste à dériver des « operationally meaningful theorems », c’est-à-dire des énoncés empiriquement testables. Langage universel des sciences ? L es débats autour de la mathématisation sont, on le voit, étroitement liés aux discussions sur le réalisme des modèles. Pour les écono- mistes qui souhaitaient modeler la science économique comme les sciences physiques, ce point était central. Les agents économiques correspondent aux particules, les dépenses à l’énergie cinétique, la contrainte de budget à la conservation de l’énergie. Les droites tangentes et perpendiculaires que l’on trace sur les courbes d’iso-utilité font penser aux champs de force en physique, comme le note Philip Mirowski [1989]. Mais la physique est une science dont les variables correspondent à des gran- deurs réelles, observables, quantifiables. Ses équations décrivent, par exemple, la trajectoire d’objets, que des expériences permettent de vérifier. La conquête spatiale est la preuve que l’on peut prévoir la trajectoire de satellites, et ce de manière très fine (comme en a témoigné la mission Rosetta, et l’atterrisseur Philae, pendant l’été 2014). En économie, le lien entre la théorie et l’expérience ou l’empirisme est plus complexe. On cherche, par exemple, à prévoir le prix qu’un assuré est prêt à payer pour s’assurer ou celui qu’un assureur est prêt à débourser lors de ventes aux enchères de banderoles publicitaires, et ces données sont subjectives. On souhaite également comprendre les conséquences macroéconomiques de ces comportements, ce qui pose des problèmes d’agrégation. La correspondance entre les symboles mathématiques utilisés et les observations empiriques est source de controverses, comme le montre l’exemple de la croissance cher à Romer. Les modèles de croissance font, comme la majorité des modèles économiques, l’hypothèse que les agents cherchent à maximiser une utilité inter- temporelle de la forme sous une contrainte de budget. Cela permet de ramener le problème de la croissance à un programme d’opti- misation, dont la résolution se fait classiquement en utilisant l’équation d’Euler. En mathématiques, celle-ci donne une condition suffisante pour trouver l’optimum x*(t) d’un programme d’optimisation dynamique, de la forme sous une contrainte de la forme x (t0) donnée. Dans ce cas, l’optimum vérifie une relation de la forme si la fonction f (.) est suffisamment régulière (2). Les modèles classiques de croissance constituent donc une version très simple du programme d’optimisation précédent (dans une version en temps discret) et où u « Mathiness » et assurance Risques n° 104 113 « Mathiness » et assurance est l’utilité de l’agent. Si r est le taux sans risque, on obtient alors l’équation d’Euler (telle qu’elle est enseignée en économie depuis des décennies) u’(Ct) = [1+r]u’(Ct+1) Cette équation permet – si on connaît l’utilité d’un agent – d’obtenir son processus de consommation. La modélisation mathématique du problème de la croissance permet donc d’en fournir une résolution dont la validité théorique, qui dérive de l’utilisation de l’équation d’Euler, n’est pas contestable (3). En revanche, la validité empirique de ce modèle est bien plus difficile à établir. Premièrement, l’interprétation des objets mathématiques – leur « opérationnali- sation », pour reprendre les termes de Samuelson – fait débat. À quoi correspond ce « taux sans risque », par exemple ? L’opérationnalisation des objets dont la contrepartie empirique n’est pas contestable n’est pas problématique : comment mesure C t ? Quel est le meilleur agrégat statistique pour rendre compte de la consommation ? Comment effectuer le passage d’une grandeur théorique microéconomique à un agrégat statistique macroéconomique ? L’utilisation de la fiction d’un « agent représentatif » est-elle perti- nente ? Enfin, les techniques qu’ont développées les économistes pour confronter ces modèles théoriques et ces agrégats statistiques – l’économétrie – font l’objet de controverses acharnées depuis presque un siècle. Mathématiques financières et finance de marché O n pourrait être ainsi tenté de croire que les mathématiques ne sont utilisées en économie qu’à des fins théoriques, et donc que cela est relativement inoffensif pour le monde réel. Mais nombreux sont ceux qui ont affirmé que les mathématiques ne furent pas neutres dans les récentes crises financières. Dans son rapport de 2013, la Commission parlementaire britannique sur les normes bancaires [2013] pointait du doigt certaines firmes qui auraient utilisé les mathématiques « to pull the wool over the eyes of the regulator » (que l’on pourrait traduire de manière moins imagée par « pour duper le régulateur »), et les régulateurs américains ont critiqué de semblables tours de passe-passe mathématiques [United States Senate, 2013]. Se cacher derrière la sophistication des modèles pour ne pas avoir à se justifier ne date pas d’hier. Comme le rappelle Tim Johnson, citant Levy [2012], en 1877, un gros assureur américain se défendait de détruire la mutualisation entre assurés face au régulateur en expliquant : « There are certain fundamental rules […] which can only be understood by actuaries, and it is impossible for me to go into here. » On retrouve ici la critique de Romer, qui sou- ligne à plusieurs reprises que, au-delà de la question du réalisme des modèles, c’est bien l’utilisation des mathématiques pour créer un écran de fumée qui est dangereuse. Mais, pour Ivar Ekeland [2010], la crise financière ne remet en rien en question les modèles de finance mathématique. L’article de Black et Scholes, dont la formule semble visée, commence par l’affirmation « it should not be possible to make sure profits » [Black & Scholes, 1973], et cette règle d’absence d’opportu- nité d’arbitrage est fondée. S’il est possible, dans les faits, de faire uploads/Finance/arthur-charpentier-y-beatrice-cherrier-x27-x27-mathiness-x27-x27-et-assurance.pdf
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- Publié le Nov 09, 2022
- Catégorie Business / Finance
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