Politix Autour de l'autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social pop

Politix Autour de l'autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire Jean-Noël Retière Citer ce document / Cite this document : Retière Jean-Noël. Autour de l'autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire. In: Politix, vol. 16, n°63, Troisième trimestre 2003. pp. 121-143. doi : 10.3406/polix.2003.1295 http://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2003_num_16_63_1295 Document généré le 17/10/2015 Abstract Around Autochtony. Reflections on a Kind of Popular Social Capital Jean-Noël Retière The author calls into question the central role which plays, for the popular classes, the fact and/or the feeling of local rooting in the participation to public life, in the sense of commitment to and the minimal interest expressed for the public thing. He tries to grasp out, from this fact and the tributary feeling of the intrication of social bonds that are most prized according to the local scale of values, what he calls resources of autochtony. These latter, in given situations, operate as a true « capital of autochtony » which is slated, nowadays, by processes of disaffiliation affecting in priority the most vulnerable classes of society. Considered that these are an indispensable resource for these popular classes if they are to take part to social life, how many chances to take part to civic life and to sociable life the latter do manage to preserve when the capital of autochtony is struck by obsolescence? Lessons drawn from two research projects devoted respectively to the system of sociability in a historical working class stronghold (Lanester) and to voluntary service in the firemen squad make it possible to give preliminary answers to these questions. Résumé Autour de l'autochtonie. Réflexions autour d'un capital social populaire Jean-Noël Retière L'auteur interroge la place centrale que revêtent, pour les classes populaires, le fait et/ou le sentiment de l'enracinement local dans la participation à la vie publique, au double sens de l'engagement et de l'intérêt a minima manifesté pour la chose publique. Il tente de dégager de ce fait et de ce sentiment, tributaires de l'intrication de liens sociaux qui comptent dans l'échelle de valeurs locales, ce qu'il appelle des « ressources d'autochtonie ». Ces dernières, en certaines situations, fonctionnent comme un vrai « capital d'autochtonie » que malmènent aujourd'hui les processus de désaffiliation affectant en priorité les classes les plus vulnérables de la société. Ce capital d'autochtonie peut être considéré comme une ressource dont ne peuvent se dispenser les classes populaires pour participer à la vie sociale. Quelles chances ces classes possèdent-elles de poursuivre une telle participation (civique et sociable) quand ce capital est frappé d'obsolescence ? Des enseignements tirés de deux recherches consacrées respectivement au système de sociabilité dans un fief ouvrier historique (Lanester) et au volontariat chez les pompiers permettent d'esquisser des réponses à ces questions. Autour de l'autochtonie Réflexions sur la notion de capital social populaire Jean-Noël RETIÈRE Le chauvinisme n'inspire guère la sympathie. Souvenons-nous de Georges Brassens raillant « les gens qui sont nés quelque part... ». L'autochtonie, il est vrai, sort rarement indemne de l'image que renvoient ses formes les plus décriées : celles, bouffonnes, de la veine cocardière ou encore celles de quelques autonomismes régionaux, parfois xénophobes et violemment spectaculaires1. On ne saurait pour autant réduire le phénomène à ces manifestations, qui en font un objet de sarcasme, suspecté et discrédité. La notion, pour ne pas dire le concept, de « capital d'autochtonie » a été, à ma connaissance, utilisée pour la première fois dans un article particulièrement suggestif de Jean-Claude Chamboredon et Michel Bozon à un moment (aujourd'hui révolu ?) où l'objet « local » bénéficiait, nous y reviendrons, d'une certaine faveur auprès des chercheurs. Il s'agissait, pour ces deux sociologues, de nommer la ressource symbolique que représentait, pour des migrants des classes populaires ayant quitté la campagne pour la ville, leur statut d'originaire du « pays » dans la concurrence pour l'accès aux réserves de chasse2. 1. Sur ce sujet, on (re)lira avec intérêt le pamphlet déjà ancien mais non démodé de Sanguinetti (G.), Du terrorisme et de l'Etat. La théorie et la pratique du terrorisme divulguées pour la première fois, Paris, Le Fin Mot de l'Histoire, 1970. 2. Bozon (M.), Chamboredon (J.-C..), « L'organisation sociale de la chasse en France et la signification de la pratique », Ethnologie française, 1, 1980. Politix. Volume 16 - n° 63/2003, pages 121 à 143 122 Politix n° 63 Mais c'est, pour ma part, la recherche déjà ancienne effectuée dans le cadre de ma thèse3 qui m'avait incité à réfléchir autour de cette notion me paraissant receler de fécondes perspectives pour saisir la réalité de mon terrain. Ensuite, une partie de mes travaux ultérieurs, loin de me détourner de cette question, m'ont amené à interroger de nouveau la place centrale que revêtent, pour les classes populaires, le fait et/ ou le sentiment d'appartenir à l'espace local dans la participation à la vie publique, au double sens de l'engagement et de l'intérêt a minima manifesté pour la chose publique. Le présent article n'a néanmoins pas vocation à devenir un bilan. Il se veut, au contraire, une occasion d'ouvrir une piste de réflexion sur le thème général de ce numéro, à savoir les sociabilités (militantes). En premier lieu, je décrirai comment j'ai progressivement, en menant mes investigations, ressenti ce poids de l'enracinement. J'en viendrai ensuite à une tentative de définition de la notion de capital d'autochtonie, et enfin j'en terminerai, une fois n'est pas coutume, par les enjeux scientifiques et sociaux que pose, selon moi, la question de l'autochtonie : d'une part, comme objet légitime à penser et, de l'autre, comme fait en butte aujourd'hui au déni et à la disqualification. Enracinement et sociabilité populaire Quand l'objet local était sociologiquement prisé. . . En guise de préambule, il importe de préciser le contexte scientifique dont mon approche était largement tributaire. De nombreux travaux parus au début des années 1980 avaient insisté sur la prégnance des liens au territoire dans les actes et les visions du monde censés être constitutifs de la culture ouvrière4. C'est ainsi que parmi les principes qui formaient, selon lui, les « régulateurs de vie autant que les analyseurs d'expériences » de la classe ouvrière, Michel Verret devait retenir le principe de proximité reposant sur le localisme et le familialisme5. Dans un article court mais lumineux, Guy Barbichon allait confirmer cette appréciation en recentrant autour de trois registres de comportements et de valeurs ce qui lui paraissait fondamentalement caractériser la culture des classes populaires : le 3. Retière Q.-N.), Identités ouvrières. Histoire sociale d'un fief ouvrier en Bretagne. 1909-1990, Paris, L'Harmattan, 1994. 4. Dans la foulée du texte pionnier d'H. Coing (Rénovation urbaine et changement social. L'îlot n° 4 (Paris XIIIe), Paris, Les Editions ouvrières, 1966), citons Bozon (M.), Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province : la mise en scène des différences, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984. Du même auteur, on lira avec intérêt le compte rendu critique « Trois images de la culture ouvrière » dans la Revue française de sociologie, 30 (2), 1989 ; Segalen (M.), Nanterriens, familles dans la ville, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1990. 5. Verret (M.), L'espace ouvrier, Paris, Armand Colin, 1979 et, du même auteur, La culture ouvrière, Saint-Sébastien s /Loire, ACL, 1986. Autour de l'autochtonie 123 localisme, le familialisme et la sociabilité directe6. La réflexion proposée ici doit évidemment beaucoup, dans son inspiration, à ces deux auteurs dont les œuvres peuvent servir à baliser les champs de la recherche de l'époque : le premier sur le monde ouvrier, le second sur la sociabilité. Pour compléter le tableau, il importe de rappeler l'ensemble des études menées entre 1977 et 1981 dans le cadre du vaste programme de TOCS (Observatoire du changement social) placé sous l'égide du CNRS7. Au moment du bilan de cette opération, l'enjeu scientifique y était posé en ces termes : « Pour le sociologue [...], la question reste pendante : la localité peut-elle être un objet scientifique suffisamment abstrait des réalités diverses pour qu'on puisse en esquisser une théorie ? Ces diverses études induisent à répondre oui. Elles s'accordent pour donner une définition nouvelle de la localité, non plus en termes de réalité visible bornée par des frontières, mais en termes de systèmes d'action ». Bon nombre de ces études montraient en quoi et comment les formes de sociabilité et de socialite très diverses étudiées sur ces divers terrains ne pouvaient se dispenser d'une problématique de la localité et d'une saisie des modes d'inscription des pratiques et des symboliques dans l'espace habité, en fonction des ambitions sociales et des atouts professionnels et culturels des acteurs y résidant8. On peut d'ailleurs regretter qu'un tel programme soit tombé dans l'oubli et n'ait pas été, par exemple, exhumé par les chercheurs mobilisés en 2000 et 2001 (commémoration de la loi de 1901 obligeait !) par plusieurs appels d'offre (à l'initiative, entre autre, de la Mire et du Plan urbain) consacrés aux formes de l'engagement et de l'associationnisme. Des études prenant aujourd'hui pour objet les faits de sociabilité et d'identité pourraient, me semble-t-il, tirer le plus grand profit, à uploads/Finance/autour-de-l-x27-autochtonie-jean-noel-retiere.pdf

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  • Publié le Mar 12, 2021
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