Actes de la recherche en sciences sociales Les trois états du capital culturel
Actes de la recherche en sciences sociales Les trois états du capital culturel Pierre Bourdieu Citer ce document / Cite this document : Bourdieu Pierre. Les trois états du capital culturel. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 30, novembre 1979. L’institution scolaire. pp. 3-6; doi : 10.3406/arss.1979.2654 http://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654 Document généré le 12/05/2016 Résumé Les trois états du capital culturel. La notion decapital culturel a été construite pour rendre compte de l'inégalité des performances scolaires, en mettant d'emblée l'accent sur l'inégale distribution entre les classes des instruments nécessaires à l'appropriation des biens culturels (e.g. œuvres d'art). Les propriétés du capital culturel existant à l'état incorporé, i.e. intériorisé sous forme de disposition permanente et durable (habitus), sont pratiquement réductibles au fait qu'il s'agit d'une forme de capital identifié aux individus : son accumulation demande du temps, bien social difficile à s'approprier par procuration; il demande un investissement personnel; son accumulation est limitée par les limites biologiques de son support, etc. Ces propriétés spécifiques qui, étant perçues comme liées à la personne, ajoutent aux avantages de l'héritage les apparences de l'inné et les vertus de l'acquis, et font du capital culturel incorporé le moyen de transmission légitime par excellence du patrimoine lorsque les formes directes et visibles de transmission tendent à être socialement considérées comme illégitimes. Les biens culturels (livres, tableaux, machines), capital culturel à l'état objectivé, sont transmissibles instantanément et appropriables formellement dans leur matérialité, mais les conditions de leur appropriation spécifique sont soumises aux mêmes lois de transmission que le capital culturel à l'état incorporé. Le capital culturel peut exister enfin sous la forme institutionnalisée de titres scolaires, qui, comme la monnaie, sont relativement indépendants par rapport au porteur du titre. Cette forme certifiée et garantie du capital culturel permet de poser le problème des fonctions sociales du système d'enseignement et d'appréhender pratiquement les relations qu'il entretient avec le système économique. Abstract The Three Stages of Cultural Capital. The concept of cultural endowment was developed to account for inequalities in academic performance, by stressing the inequality in the way in which the tools for the appropriation of cultural assets such as works of art were distributed. The diverse properties of this cultural endowment are literally 'incorporated'; that is, interiorised in the form of a set of permanent and lasting attitudes. The capital itself is in a sense identified with individuals; its accumulation requires time, which is a social asset that can not be acquired by proxy; it demands a personal investment of energy; the biological limitations of its System of maintenance are the limitations to its own capacity for accumulation. These specific properties, which are seen as being linked to the individual, enhance the advantages of the system of inheritance by having both the appearance of something in-born and at the same time acquired. This means that 'incorporated' cultural capital becomes the predilect means of the legitimate transmission of the human heritage at times when direct and visible forms of transmission fall into disfavour. Cultural assets (books, paintings, machines), which are the objectified counterpart to cultural capital, are transmissible immediately and may be appropriated formally as material objects. But in any one case of their transmission, they are subject to the same strictures as apply to 'incorporated' cultural capital. A last instance of cultural capital is that of academic qualifications. These, like coins, are relatively independent in value of their bearers. This certified and guaranteed form of cultural capital raises the whole question of the social functions of the educational system and may lead into a practical awareness of the relationship between cultural capital and the economic system. Zusammenfassung Die drei Zustände des kulturellen Kapitals. Der Begriff des 'kulturellen Kapitals' wurde entwickelt in Hinblick auf die Erhellung und Darlegung ungleicher schulischer Performanzen; dabei wurde der Akzent von Anbeginn auf die klassen- spezifische ungleiche Verteilung der zur Aneignung kultureller Güter (z.B. Kunstwerke) notwendigen Instrumente gelegt. Die in inkorporiertem Zustand, d.h. in der verinnerlichten Form einer ständigen und dauerhaften Disposition (Habitus) vorliegenden Eigenschaften des kulturellen Kapitals sind praktisch darauf zuruckzuführen, daß es sich dabei um eine an das Individuum gebundene Form von Kapital handelt : seine Akkumulation erfordert Zeit, ein soziales Gut, das nur schwer kraft Vollmacht zu erlangen ist; es erfordert persönliche Investition; seine Akkumulation ist begrenzt durch die biologischen Grenzen seines Trägers, etc. Diese als persongebunden wahrgenommenen besonderen Eigenschaften, die zu den Vorteilen des Erbes noch den Schein des Angeborenen und die Tugenden des Erworbenen hinzufügen, lassen das inkorporierte kulturelle Kapital gerade in Zeiten, da die direkten und sichtbaren Formen der Weitergabe tendenziell der gesellschaftlichen Ächtung als illegitim verfallen, als legitimstes Mittel der Weitergabe des Erbes erscheinen. Die kulturellen Güter (Bücher, Bilder, Maschinen), kulturelles Kapital in objektiviertem Zustand, sind zwar sofort vermittelbar und in ihrer Materialität förmlich aneigenbar, doch unterliegen die Bedingungen ihrer spezifischen Aneignung den gleichen Gesetzen der Weitergabe wie das inkorporierte kulturelle Kapital. Schließ1ich kann das kulturelle Kapital auch in institutionalisierter Form als schulische Titel vorliegen, die wie Geld gegenüber den jeweiligen Titelträgern relativ unabhängig sind. Diese in Zertifikaten und Diplomen niedergelegte und gesicherte Form des kulturellen Kapitals ermöglicht nun die Thematisierung der gesellschaftlichen Funktionen des Bildungssy stems und erlaubt dariiberhinaus, die Beziehungen zwischen Bildungs- und Wirtschafts System praktisch zu erfassen. pierre bourdieu les trois étals du capital culturel La notion de capital culturel s'est imposée d'abord comme une hypothèse indispensable pour rendre compte de l'inégalité des performances scolaires des enfants issus des différentes classes sociales en rapportant la «réussite scolaire», c'est-à-dire les profits spécifiques que les enfants des différentes classes et fractions de classe peuvent obtenir sur le marché scolaire à la distribution du capital culturel entre les classes et les fractions de classe. Ce point de départ implique une rupture avec les présupposés inhérents aussi bien à la vision ordinaire qui tient le succès ou l'échec scolaire pour un effet des «aptitudes» naturelles qu'aux théories du «capital humain» (1). Les économistes ont le mérite apparent de poser explicitement la question du rapport entre les taux de profit assurés par l'investissement éducatif et par l'investissement économique (et de son évolution). Mais, outre que leur mesure du rendement de l'investissement scolaire ne prend en compte que les investissements et les profits monétaires ou directement convertibles en argent, comme les frais entraînés par les études et l'équivalent en argent du temps consacré à étudier, ils ne peuvent rendre raison des parts relatives que les différents agents ou les différentes classes accordent à l'investissement économique et à l'investissement culturel, faute de prendre en compte systématiquement la structure des chances différentielles de profit qui leur sont promises par les différents marchés en fonction du volume et de la structure de leur patrimoine (Cf. en particulier G. S. Becker, Human Capital, New York, Columbia University Press, 1964). Plus, en omettant de replacer les stratégies d'investissement scolaire dans l'ensemble des stratégies éducatives et dans le système des stratégies de reproduction, ils se condamnent à laisser échapper, par un paradoxe nécessaire, le mieux caché et le plus déterminant socialement des investissements éducatifs, à savoir la transmission domestique de capital culturel : leurs interrogations sur la relation entre l'«aptitude» {ability) aux études et l'investissement dans les études témoignent qu'ils ignorent que l'«aptitude» ou le «don» est aussi le produit 1— En parlant des concepts pour eux-mêmes, comme ici, au lieu de les faire fonctionner, on s'expose toujours à être à la fois schématique et formel, c'est-à-dire «théorique», au sens le plus ordinaire et le plus ordinairement approuvé de ce terme. d'un investissement en temps et en capital culturel {Id., pp. 63-66). Et l'on comprend que, s'agissant d'évaluer les profits de l'investissement scolaire, ils ne puissent s'interroger que sur la rentabilité des dépenses d'éducation pour la «société» dans son ensemble {social rate of return) {Id., p. 121) ou sur la contribution que l'éducation apporte à la «productivité nationale» {the social gain of education as measured by its effects on national productivity) (Id., p. 155). Cette définition typiquement fonctionnaliste des fonctions de l'éducation qui ignore la contribution que le système d'enseignement apporte à la reproduction de la structure sociale en sanctionnant la transmission héréditaire du capital culturel se trouve en fait impliquée, dès l'origine, dans une définition du «capital humain» qui, malgré ses connotations «humanistes», n'échappe pas à l'économisme et qui ignore, entre autres choses, que le rendement scolaire de l'action scolaire dépend du capital culturel préalablement investi par la famille et que le rendement économique et social du titre scolaire dépend du capital social, lui aussi hérité, qui peut être mis à son service. Le capital culturel peut exister sous trois formes : à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la forme de dispositions durables de l'organisme; à l'état objectivé, sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines, qui sont la trace ou la réalisation de théories ou de critiques de ces théories, de problématiques, etc. ; et enfin à l'état institutionnalisé, forme d 'object ivation qu'il faut mettre à part parce que, comme on le voit avec le titre scolaire, elle confère au capital culturel qu'elle est censée garantir des propriétés tout uploads/Finance/bourdieu-les-trois-etats-du-capital-culturel-arss-0335-5322-1979-num-30-1-2654-pdf.pdf
Documents similaires
-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 27, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.6838MB