EFFICIENCE DES MARCHÉS : UN SIÈCLE APRÈS BACHELIER 1 EFFICIENCE DES MARCHÉS : U

EFFICIENCE DES MARCHÉS : UN SIÈCLE APRÈS BACHELIER 1 EFFICIENCE DES MARCHÉS : UN SIÈCLE APRÈS BACHELIER ALEXANDER S. SANGARE * L a théorie de l’efficience des marchés financiers a été pour la première fois introduite par le mathématicien français Louis Bachelier dans sa thèse publiée en 1900 à Paris. L’observation de Bachelier était basée sur des mouvements « bizarres » à la hausse suivis des variations similaires à la baisse qu’il dénomma martingales. Ce concept donnera plus tard la notion de marche aléatoire (random walk) des cours boursiers dans la théorie moderne de la finance. Cependant, après l’éclipse de la grande dépression1, il a fallu attendre les années 1950 avec les travaux économétriques de Kendall (1953) pour voir l’éveil des chercheurs pour la théorie de l’efficience des marchés financiers2. Cet intérêt fut définitivement ravivé par la thèse d’Eugène Fama dont un large extrait fut publié en 1965 dans le Journal of Business, et surtout de la revue désormais classique de ce dernier en 1970 dans le Journal of Finance qui ouvrira un vaste champ d’investiga- tion empirique à cette théorie3. Nombreuses ont été par la suite des tentatives de revue de cette prolifique littérature sans pour autant remettre en cause fondamentalement les caractérisations définies par Fama (1970)4. Pour autant, l’évolution de la littérature de l’efficience des marchés s’accommode difficilement avec cette classification traditionnelle. L’objectif de cet article est de générer une typologie générale qui ressort de la synthèse d’un siècle de travaux sur l’efficience des marchés. Cette typologie inclut, bien entendu, la stratification traditionnelle. Comme discutée ci-dessous, la classification que nous proposons présente ainsi la théorie de l’efficience des marchés sous trois para- * Chercheur, Paris - Jourdan sciences économiques, Bodø, Graduate School of Business (Norvège), et Université de Turin (Italie). REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE 2 digmes : l’efficience informationnelle, l’efficience fondamentale et l’efficience allocationnelle. Ces paradigmes ne sont certes pas indépendants, mais ils se basent sur des approches différentes pour répondre à la même question : l’hypothèse d’efficience des marchés. Les défis récents essuyés par cette hypothèse semblent plutôt liés à l’utilisation de l’approche d’un paradigme pour contredire les résultats d’un autre paradigme. Par exemple, l’efficience informationnelle est actuellement mise à l’épreuve par les résultats venant de l’efficience fondamentale. Sans dénier l’intérêt d’une telle démonstration transversale, il serait aussi utile d’utiliser la méthodologie au sein d’un même paradigme pour discuter les résultats contradictoires. Comme nous le verrons par la suite, de telles tentatives ont eu lieu déjà au sein de l’efficience allocationnelle et elles ont été longtemps un phénomène accélérateur de la recherche sur l’efficience informationnelle. Nous concluons sur cette perspective avec des interrogations sur les approches analytiques de l’efficience des marchés. EFFICIENCE INFORMATIONNELLE L’efficience informationnelle a pour ancêtre le concept de marche aléatoire qui est apparu en 1905 après la publication de la thèse de Bachelier (1900). Cette notion due à deux naturalistes britanniques est née de la problématique de retrouver une personne ivre abandonnée au niveau d’un champ en supposant que l’investigateur en charge de l’affaire avait uniquement connaissance de l’état de la personne et de sa dernière position. Pearson et Raleygh (1905) sont arrivés à la conclusion que le meilleur moyen de retrouver cette personne est de partir de sa dernière position qui serait une estimation non biaisée de sa position future dans la mesure où son état d’ébriété rend ses déplacements parfaitement aléatoires. Le choix de la dernière position comme une estimation non biaisée de la position future de l’individu recherché répond à la logique mathématique d’une marche aléatoire, et donc d’une martingale. L’hypothèse martingale des cours boursiers émise par Bachelier (1900) est aussi un concept voisin de la théorie des mouvements browniens qui servira de base pour les travaux d’Albert Einstein (1905). Mais les premières applications de cette hypothèse en finance furent celles des tenants de la loi normale5, selon lesquels les prix des actions suivent des marches aléatoires arithmétiques dont les innovations sont distribuées selon une Loi de Laplace-Gauss d’espérance nulle et de variance finie. Pt = Pt-1 + εt (1) EFFICIENCE DES MARCHÉS : UN SIÈCLE APRÈS BACHELIER 3 Toute marche au hasard impliquant une martingale, la meilleure prévision que l’on peut faire des cours boursiers conditionnelle à toute l’information disponible est le niveau des cours antérieurs. E (Pt⎟φt-1) = Pt-1 (2) Cette martingale des prix peut à son tour s’écrire de manière parfaite- ment équivalente sous la forme d’un jeu équitable (fair game) par la normalité de la distribution des innovations. E (εt⎟φt-1) = 0 (3) Cette théorie fut ensuite étendue par Mandelbrot (1963) sous l’hypothèse de marche aléatoire géométrique des cours boursiers. Cette hypothèse suppose que les prix en différence première possédaient des densités de probabilité leptokurdique. Cette leptokurdité serait due au fait que les innovations dans le processus des prix provenaient des lois Pareto (1909) - stables en espérance et de variance infinie. Lorsque la période d’échantillonnage est relativement brève, ces distributions peuvent être confondues à des Lois de Laplace-Gauss, tandis qu’elles se présentent leptokurdiques stables en variance pour de longue période d’échantillonnage. Samuelson (1965, 1973) présenta ces différentes hypothèses de mar- ché efficient dans un modèle d’équilibre de concurrence pure et parfaite, de neutralité par rapport aux risques et de rationalité des anticipations. Ce modèle est connu sous le nom de modèle des rendements espérés constants parce qu’il suppose la stabilité et l’unicité des rendements d’une période à l’autre. Il suppose ainsi que l’espérance des rendements d’un titre conditionnelle à l’information disponible est égale à une constante ρ : E (Rt⎟Φt-1) = ρ (4) Où E (Rt⎟Φt-1) est l’espérance de rendement du titre à la période t conditionnelle à l’information disponible à t - 1. Les premiers travaux économétriques qui ont supporté cette hypo- thèse sont dus à Fama (1965) et Fama, Fisher, Jensen et Roll (1969). Cependant, il a fallu attendre la revue désormais classique de Fama (1970) pour poser les fondements théoriques des tests empiriques de l’hypothèse des marchés informationnellement efficients. Selon Fama (1970), un marché est dit informationnellement efficient si les prix des actifs intègrent toutes les informations pertinentes et disponibles à la date t dans l’économie. Cette propriété résulte de la rationalité des anticipations faites par les intervenants sur les marchés boursiers. La rationalité des anticipations6 est la pierre angulaire de la théorie des marchés informationnellement efficients. REVUE D'ÉCONOMIE FINANCIÈRE 4 Cependant dans l’impossibilité de tester empiriquement cette affirmation générale, Fama (1970) distinguera trois formes d’efficience : efficience de forme faible, efficience de forme semi-forte et efficience de forme forte. Ces différentes formes d’efficience se prêtent respective- ment à des vérifications empiriques spécifiques : tests de prévisibilité des cours, études d’événement et tests d’information privilégiée7. Efficience de forme faible Un marché est dit efficient de forme faible si les prix des actifs financiers reflètent toutes les informations historiques. S’il existait un schéma d’évolution des cours passés, les agents pourraient s’en servir pour prédire les cours. Cependant, comme les stratégies des agents éliminent les schémas d’évolution des cours, il devient impossible de prédire les cours futurs à partir des cours passés. Pour tester la forme faible de l’efficience des marchés financiers, il suffit de démontrer qu’un investisseur ne peut anticiper avec profit les cours boursiers futurs en utilisant la séquence des prix passés. Cette situation existe si le niveau d’autocorrélation dans la dite séquence est négligeable. L’hypothèse dite de marche aléatoire est compatible avec une telle situation. Comme discutée plus haut, l’hypothèse de marché aléatoire peut être représentée de la manière suivante : Rit = µi + εit (5) Où Rit représente le taux de rentabilité escomptée du titre i pendant la période t, µi est un terme constant et εit une variable aléatoire de moyenne nulle et de variance finie et dont le coefficient d’autocorrélation est nul pour tour retard k supérieur ou égal à 1. De ce fait : E (Rit⎟µi) = µ (6) Ce qui veut dire que la meilleure prévision du taux de rentabilité du titre i pour une période future est son taux de rentabilité passé moyen sur une période de même durée. Afin de tester l’hypothèse de marche aléatoire des cours boursiers, trois types de tests ont été effectués. Les premiers types testent directe- ment l’indépendance des variations successives des cours boursiers. Les seconds vérifient dans quelle mesure les méthodes d’analyse technique (ou chartisme) fondées sur l’évolution des cours passés permettent aux investisseurs d’obtenir des résultats supérieurs à ceux qui résulteraient d’une stratégie naïve d’investissement. Enfin, le troisième type de tests, relativement récents, vérifie l’hypothèse d’un cheminement chaotique des séries boursières. EFFICIENCE DES MARCHÉS : UN SIÈCLE APRÈS BACHELIER 5 L’hypothèse d’indépendance des variations des prix des actifs finan- ciers a été, pour la première fois, testée par Kendall (1953) sur l’indice des actions cotées à Londres entre 1928 et 1938. Ce résultat a été confirmé par d’innombrables études sur le marché américain, notam- ment les tests d’autocorrélation statistique de Cootner (1964), et Fama (1965). Les résultats de ces différentes études ont montré qu’invaria- blement les coefficients d’autocorrélation entre les changements des cours successifs sont très faibles. 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  • Publié le Fev 17, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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