195 LA FACE CACHÉE DE LA FINANCE LE CAS PARTICULIER DE LA FRAUDE FISCALE FRAUDE

195 LA FACE CACHÉE DE LA FINANCE LE CAS PARTICULIER DE LA FRAUDE FISCALE FRAUDE FISCALE : CARACTÉRISATION ET ENJEUX ROBERT BACONNIER* MICHEL TALY** * Président de l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa). ** Associé chez Landwell France. celui-ci devient la partie du revenu national que la collectivité accepte de consacrer au financement des charges collectives. Dans un tel contexte, la fraude apparaît comme le refus de ses auteurs de payer leur quote-part et donc comme une atteinte au pacte social. En bonne logique, du moins dans les pays démocratiques, la fraude devrait donc tendre à devenir un phénomène résiduel. Or, même si les statistiques ne sont pas faciles à établir, il n’en est rien et, jamais dans l’histoire, la fraude n’a mis en œuvre au plan international des sommes aussi impor- tantes. Cela tient tout d’abord au fait qu’en pratique, et quoique à des degrés divers, la tolérance des agents écono- miques vis-à-vis des comportements de fraude reste grande. Des personnes physiques ou morales, par ailleurs par- faitement honorables, n’hésitent pas à L a fraude fiscale est aussi vieille que l’impôt. Pas plus que nous, nos ancêtres n’appréciaient d’être privés de leurs ressources au profit de quelqu’un d’autre, qu’il s’agisse d’une personne physique (le roi, le seigneur) ou d’une collectivité (l’Église, par exemple). Mais la diffusion du modèle démo- cratique et du principe, qui lui est indissociablement lié, du consentement à l’impôt par les citoyens a changé la donne. En effet, historiquement, l’impôt était lié à l’oppression. Il s’agissait d’un « tribut » imposé à des sujets, peuples étrangers vaincus ou populations domestiques. La résistance à l’impôt était donc à la fois une réaction indi- viduelle d’autodéfense et une manifes- tation d’opposition politique. Avec le libre consentement à l’impôt par les citoyens ou leurs représentants, RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE 2005 196 favoriser la fraude d’autres agents économiques, si elles en tirent elles- mêmes un avantage financier. Par exem- ple, une personne physique acceptera (voire sollicitera) un travail sans facture de la part d’un prestataire pour avoir une réduction de prix, alors que cette absence de facture va permettre au prestataire de dissimuler une partie de son chiffre d’affaires et de son béné- fice. De même, certaines compagnies d’assurances proposent-elles aux clients des bons de capitalisation anonymes, dont elles savent pertinemment qu’ils permettront à leurs acquéreurs de recycler l’argent de la fraude. Les États eux-mêmes et leurs émanations ne sont pas à l’abri de ces dérives, puisqu’ils n’ont pas hésité à recourir à la corrup- tion d’agents publics étrangers pour obtenir de grands contrats de fourni- tures de matériels civils ou militaires. À cette tolérance passive ou active vis-à-vis des comportements de fraude, s’ajoute le fait que l’internationalisa- tion de l’économie ouvre à la fraude un champ considérablement accru. On assiste, en effet, à une mutation de la fraude fiscale : - de domestique, elle est souvent deve- nue internationale, avec utilisation de paradis fiscaux purs et simples ou de pays qui, sans être de vrais paradis fiscaux, préservent la confidentialité d’un certain nombre d’opérations (secret bancaire...) ; les grandes entre- prises étaient, depuis longtemps déjà, équipées pour tirer parti de ces possi- bilités, mais désormais les PME y ont également accès. C’est en ce sens qu’on a pu parler d’une « démocratisation de la fraude fiscale internationale » ; - de purement fiscale, elle se combine de plus en plus souvent avec d’autres formes de délinquance financière, voire avec la grande criminalité de droit commun (drogue, par exemple). Elle est même parfois liée au financement du terrorisme ; ce qui explique qu’après le 11 septembre 2001, l’administration républicaine ait totalement changé de position vis-à-vis de la coopération fiscale internationale. Après avoir cessé de participer aux travaux de l’Orga- nisation de coopération et de dévelop- pement économiques (OCDE) sur le sujet, elle y a repris un rôle moteur ! - enfin, les méthodes de la fraude sont devenues beaucoup plus sophistiquées. Même si la fraude « rustique » (dissi- mulation pure et simple de recettes, par exemple) reste efficace, l’utilisation de procédés plus subtils et plus com- plexes, notamment pour les entreprises d’une certaine taille, gagne du terrain. De leur côté, les administrations cherchent à renforcer à la fois leurs dispositifs internes et leur coopération, mais c’est une course de vitesse qui est engagée, tant la mondialisation ouvre sans cesse de nouvelles perspectives. Il faut cependant prendre garde à ne pas voir de la fraude fiscale partout. Toutes les infractions à la législation fiscale ne sont pas frauduleuses, par exemple l’application d’un taux d’amor- tissement trop élevé ; ce qui n’empêche d’ailleurs pas que le redressement doive être effectué, sinon à quoi bon une réglementation ? A fortiori, lors- qu’il s’agit de questions complexes, le contribuable peut tout à fait se tromper en toute bonne foi. Enfin, comme l’avait indiqué un commissaire du gouvernement au Conseil d’État, « le contribuable n’est pas un philan- thrope », et le fait de choisir, entre deux solutions, la plus favorable n’est pas 197 LA FACE CACHÉE DE LA FINANCE LE CAS PARTICULIER DE LA FRAUDE FISCALE répréhensible en soi. Même s’il ne faut pas faire preuve d’angélisme face à l’ampleur et à l’impact de la fraude fiscale, il convient également d’éviter le catastrophisme ! Les développements qui suivent ont pour objet d’analyser de manière plus approfondie les différents types d’infractions fiscales, dont la fraude stricto sensu, et de présenter les enjeux des actions de contrôle menées par les administrations fiscales. CARACTÉRISATION DE LA FRAUDE FISCALE La fraude fiscale suscite un niveau de réprobation variable selon les pays et les cultures. Dans beaucoup de pays, la fraude est un délit pénal, mais ce n’est pas le cas partout. Même dans les pays où elle constitue un délit, elle bénéficie souvent d’une plus grande indulgence que les autres délits. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette spécificité du délit de fraude fiscale : - il est susceptible d’être commis par tout le monde. On retrouve ce phéno- mène d’indulgence pour un délit que tout le monde peut être amené à commettre dans le cas des accidents de la route ; - la frontière est peut-être plus difficile à faire que pour d’autres délits entre la simple habileté et la véritable mal- honnêteté ; - l’État n’est pas une victime « ordi- naire ». La relation entre les deux partenaires (le contribuable et le fisc) n’étant pas contractuelle, certains citoyens ressentent confusément comme de la légitime défense le fait de se soustraire partiellement à un rapport de forces jugé léonin ; ce qui les amène à repousser un peu trop loin la frontière entre l’optimisation fiscale admissible et la véritable fraude. On retrouve ce type de réactions avec certains partenaires économiques jugés trop puissants : par exemple, il peut arriver que l’escroquerie à l’assurance entraîne moins de réprobation que l’escroquerie aux dépens d’un parti- culier. Cette difficulté de frontière entre l’habileté et la malhonnêteté ne concerne, toutefois, pas tous les types de fraude. Il faut, en effet, distinguer : - la dissimulation pure et simple de recettes ou d’activités. Cette situation recouvre en fait deux cas différents : • la dissimulation partielle par des contribuables « ordinaires » : particu- liers ne déclarant pas tous leurs reve- nus, notamment par la dissimulation d’avoirs à l’étranger, commerçants ou professions libérales ne déclarant pas toutes leurs recettes ; • on peut aussi classer dans cette caté- gorie les sous-estimations « grossières » de valeur d’un bien : le désaccord entre l’administration et le contribuable sur la valeur d’un bien est une situation normale en cas de contrôle fiscal, qui n’implique pas, en principe, de situa- tion de fraude potentielle. Il en va tout autrement dans le cas où la sous- estimation est tellement grossière qu’il est impossible qu’elle ait été commise de bonne foi, et que le seul espoir d’échapper au rappel réside dans la probabilité de ne pas être contrôlé ; - la dissimulation totale d’une activité : commerces non déclarés, ateliers clan- destins... On est alors dans le domaine de l’économie souterraine ; RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE 2005 198 - la déduction de TVA à partir de fausses factures ou en interposant des entités sans surface financière appelées à disparaître rapidement (techniques dites de « carrousel »). On est alors dans une situation de grande délinquance financière ; - la sous-estimation d’une base d’im- position grâce à « l’habillage » d’une situation pour bénéficier d’un traite- ment fiscal plus favorable que celui qui aurait dû être appliqué. Pour sim- plifier, nous rangerons ces situations dans la catégorie des « abus de droit ». Les deux premières catégories ne posent pas de problème de qualifica- tion : le contribuable concerné sait très bien qu’il est en marge de la loi. Il y a simplement une gradation entre la sim- ple dissimulation et l’utilisation de faux documents. L’arsenal répressif français fait d’ailleurs bien la distinction, puis- que le Code des impôts prévoit deux niveaux de pénalités : les pénalités pour « mauvaise foi uploads/Finance/fraude-fiscale-23 1 .pdf

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  • Publié le Oct 02, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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