IMPÔT - Histoire de l'impôt Article écrit par Jean-Claude MAITROT, Universalis
IMPÔT - Histoire de l'impôt Article écrit par Jean-Claude MAITROT, Universalis Prise de vue Phénomène social à multiples facettes dont la complexité n'est plus à démontrer, l'impôt fait partie intégrante de la vie publique et rythme tous les instants de la vie du citoyen. Sans doute l'impôt a-t-il varié dans son poids, dans sa répartition, dans ses justifications, mais de tout temps le prélèvement fiscal a été utilisé comme mode de financement des dépenses publiques. Depuis la IIe dynastie de l'ancienne Égypte jusqu'à nos jours – à l'exception peut-être de l'époque féodale, qui se présente comme un monde sans impôt au sens moderne du mot –, la technique fiscale a évolué et a épousé très fidèlement l'essor politique, économique, social et démographique des sociétés, comme l'ont souligné les travaux de G. Ardant établissant clairement la corrélation entre les structures des collectivités humaines et leurs impôts. Présenté comme une technique libérale de financement des dépenses publiques à la suite de ceux qui, comme le proclamait le révolutionnaire Barrère, pensaient que « la liberté du peuple est toute dans l'impôt », l'impôt, dont le caractère obligatoire et inéluctable est associé à la spoliation, est souvent ressenti comme une intrusion inique qui peut entraîner des résistances ou des révoltes. Bien que critiqués, les impôts sont pourtant payés spontanément sans que les puissants pouvoirs de contrainte dont dispose l'État suffisent à expliquer le comportement des contribuables. En fait, le fisc répugne à agir par voie d'autorité, il compte plus sur la participation volontaire des contribuables que sur l'usage des prérogatives dont il dispose. C'est pourquoi les idéologies dominantes ont cherché à justifier l'impôt et à le faire accepter par les citoyens. L'idée que l'impôt est un aspect essentiel de la souveraineté est ancienne. Dès l'Antiquité, l'impôt a été considéré comme un attribut de la puissance du prince, fondé sur les droits régaliens. Systématisée par les légistes du roi, cette théorie implique que le pouvoir de créer de nouveaux impôts est une compétence exclusive du monarque. Cependant, à partir du XVIe siècle et surtout du XVIIe siècle va se développer, inspirée de l'exemple anglais et de l'évolution qui a suivi la grande charte de 1215, la théorie du consentement à l'impôt, qui trouvera sa consécration avec l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ce texte précise que « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement... » Puisque l'impôt ne peut, pour des raisons pratiques, être consenti individuellement, il doit l'être par des représentants élus, qu'il s'agisse du magnum concilium du Moyen Âge britannique, des États généraux de l'Ancien Régime ou du Parlement contemporain. Si le contribuable adhère à l'impôt qu'il n'a pas directement consenti, c'est parce qu'il pense que l'impôt est nécessaire. Ainsi, l'impôt est justifié par sa nécessité, mais il est également admis. Toutefois, l'opinion publique n'adhère à l'impôt que si elle l'estime juste. Dans toute analyse de l'impôt, l'aspect psychologique doit être pris en considération. Chacun d'entre nous présente face à l'impôt un double visage. Le contribuable veut que l'État lui épargne des charges financières trop lourdes. Mais, si le contribuable désire une charge fiscale aussi légère que possible, le citoyen entend voir accroître les prestations dont il pourra bénéficier, prestations fournies par les personnes publiques et financées par l'impôt. Ce qui peut paraître irrationnel dans un tel comportement tient au caractère trop souvent ésotérique de la fiscalité qui apparaît à la plupart d'entre nous comme un monde secret aux mécanismes complexes et au vocabulaire obscur. I- Théorie de l'impôt Phénomène social lié à l'existence du pouvoir politique, l'impôt est une obligation qui pèse sur les citoyens et dont la nature et l'étendue dépendent de l'idée qu'ils se font du devoir civique et de la justice. Pour mettre en évidence toutes les implications politiques, économiques et sociales que comporte la notion d'impôt, il convient de présenter une théorie d'ensemble qui permettra d'envisager successivement la définition de l'impôt, les classifications possibles des prélèvements fiscaux et enfin les divers éléments de la technique fiscale. Définition de l'impôt Composante essentielle mais non exclusive des ressources publiques, qui comprennent également les emprunts et les produits domaniaux, l'impôt occupe aujourd'hui une place prépondérante au sein des « prélèvements obligatoires ». À la suite de Gaston Jèze, il est désormais classique de définir l'impôt comme « une prestation pécuniaire, requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ». Prestation pécuniaire, le prélèvement fiscal se distingue de certaines prestations forcées que la puissance publique peut exiger des citoyens, comme l'obligation militaire. C'est ainsi que, sous l'Ancien Régime, le privilège fiscal dont bénéficiait la noblesse était justifié par le fait qu'en portant les armes et en « payant l'impôt du sang » les nobles contribuaient, à leur manière, à la couverture des charges publiques. L'impôt s'acquitte en argent et non en nature. Il n'en a pas toujours été ainsi. Dans les économies non monétarisées, le paiement en nature est la règle, les citoyens remettent une partie de leur récolte ou de leur production aux pouvoirs publics. Dans l'Antiquité, au Moyen Âge et jusqu'à la Révolution en France, la rareté du numéraire et la difficulté à trouver des sommes suffisantes expliquaient le recours à l'impôt en nature défendu, au XVIIIe siècle, par certains théoriciens comme Vauban ou Dubois-Crancé. Toutefois, les problèmes posés par le transport ou la conservation des denrées, le caractère largement monétaire de l'économie contemporaine ont fait écarter le paiement en nature. On pouvait cependant trouver en France jusqu'au début des années 1970 une survivance de cette pratique avec la taxe des prestations, impôt local qui pouvait être acquitté en journées de travail et qui apparaissait comme un lointain prolongement des corvées ou du champart de l'Ancien Régime. La dation en paiement constitue, dans notre droit positif, le dernier exemple de paiement en nature. Inspirée du modèle britannique, cette procédure, introduite dans la fiscalité française en 1968, a pour objet de permettre le paiement des droits de mutation à titre gratuit et du droit de partage par la remise au fisc d'œuvres d'art, d'objets de collections de haute valeur artistique ou historique. Les dations consenties à l'État ont permis aux musées français de s'enrichir d'un certain nombre d'œuvres dues à des artistes aussi célèbres que P. Picasso ou M. Chagall. Manifestation de la souveraineté de l'État, l'impôt est perçu par voie d'autorité. Le caractère obligatoire de l'impôt peut paraître contradictoire avec le principe démocratique du consentement à l'impôt. En fait, la contradiction n'est qu'apparente : le consentement dont il s'agit est collectif, l'impôt étant consenti par les parlementaires représentant la nation dans son ensemble et non par les contribuables individuellement. Il est d'ailleurs significatif, à cet égard, que la Constitution italienne, qui prévoit le référendum d'abrogation, exclut les lois fiscales du champ d'application de cette procédure. Toutefois, dans certains États des États-Unis, le référendum a été utilisé dans la dernière décennie comme un moyen de résistance à l'impôt. Le recouvrement de l'impôt suppose l'exercice de prérogatives de puissance publique, et tout un arsenal de contraintes et de sanctions est prévu pour obliger le contribuable à s'exécuter. L'élément de contrainte permet de distinguer l'impôt et les versements effectués spontanément par les particuliers au profit de l'État comme les emprunts ou les contributions volontaires. L'emprunt est une ressource publique comme l'impôt, mais qui se caractérise par son aspect volontaire. En contrepartie du versement d'intérêts ou de primes et de la certitude d'être remboursés, les citoyens souscripteurs remettent spontanément des fonds à la collectivité publique. Il peut arriver, en période de crise, qu'on utilise la technique de l'emprunt forcé, comme en 1976 ou en 1983, mais le souscripteur se voit reconnaître une créance sur l'État et perçoit des intérêts. Le caractère contraignant de l'impôt conduit également à distinguer de la fiscalité les contributions volontaires que les citoyens peuvent verser à l'État pour faire face à certaines situations (contribution volontaire de 1871 pour payer l'indemnité de guerre, contribution volontaire de 1926 pour amortir la dette à court terme). L'aspect définitif du prélèvement fiscal oppose également l'impôt à l'emprunt, le contribuable n'étant jamais remboursé, sauf erreurs commises à son encontre. Mais c'est surtout l'absence de contrepartie qui est le trait le plus spécifique de l'impôt. Le contribuable qui remplit son obligation fiscale ne reçoit pas, en échange, de prestations directes ou immédiates, même si, en tant que citoyen, il bénéficie du fonctionnement des services publics. Pour justifier l'existence de l'impôt, certains théoriciens ont développé l'idée de l'impôt-contrepartie. Pour certains auteurs, comme Montesquieu, le citoyen donnerait à l'État une partie de son revenu en échange de la garantie de jouir du reste en toute sécurité. Pour Mirabeau, le paiement de l'impôt serait une avance consentie, par le citoyen, pour obtenir, dans sa personne et dans ses biens, la protection de l'autorité publique. On retrouve la même idée chez É. de Girardin pour qui l'impôt représente le versement d'une prime d'assurance garantissant la uploads/Finance/impot-histoire-de-l-x27-impot.pdf
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- Publié le Dec 07, 2022
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