AUX ORIGINES DE L'ENTREPRENEURIAT SOCIAL. LES AFFAIRES SELON JEAN-BAPTISTE ANDR

AUX ORIGINES DE L'ENTREPRENEURIAT SOCIAL. LES AFFAIRES SELON JEAN-BAPTISTE ANDRÉ GODIN (1817-1888) Sophie Boutillier De Boeck Supérieur | « Innovations » 2009/2 n° 30 | pages 115 à 134 ISSN 1267-4982 ISBN 9782804102715 DOI 10.3917/inno.030.0115 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-innovations-2009-2-page-115.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Le capitalisme managérial galbraithien s’est métamorphosé en une société entrepreneuriale (Audretsch, 2007) où l’entrepreneur se serait subs- titué à la technostruture. Dans ce contexte singulier, l’entrepreneuriat social occupe une place particulière (Bacq et Janssen, 2008, 2008b ; Brouard, 2006 ; Dees, 1998 ; Defourny, 2004 ; Schmitt, 2008 ; Steyaert et Hjorth, 2006). Nouveau héros du capitalisme en ce début de XXIe siècle, l’entrepreneur social investit des secteurs d’activité délaissés aussi bien par le secteur marchand en raison de leur faiblesse rentabilité, que par le secteur public, qui dans un con- texte d’austérité budgétaire cherche à réduire ses dépenses. L’entrepreneur social est ainsi généralement défini comme un entrepreneur qui privilégie des objectifs sociaux sur des objectifs lucratifs. Mais, qu’il soit qualifié ou non de social, l’entrepreneur répond par définition aux opportunités du marché (Kirzner, 1973), ce qui le conduit à innover (Schumpeter, 1935). Or, si nous considérons l’innovation comme une activité de résolution de problèmes à l’image de l’analyse évolutionniste, le développement de l’entrepreneuriat social peut être perçu comme une réponse à un problème posé (réduction des dépenses de l’État, évolution de la famille et des problèmes sociaux en géné- ral – exclusion, pauvreté, vieillissement de la population, etc.). Dans ces conditions, l’entrepreneur est qualifié de social parce qu’il investit dans des secteurs d’activité ainsi qualifiés, et non parce qu’il a placé l’intérêt général DOI: 10.3917/inno.030.0115 © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) Sophie Boutillier 116 innovations 2009/2 – n° 30 avant le profit individuel. Cette définition, commune à certains chercheurs, n’est pas cependant partagée par tous. Pourtant, les entrepreneurs répondant à ces critères ne sont pas nés avec la crise de l’État-providence, comme en témoigne l’exemple de Jean-Baptiste André Godin (1817-1888). L’expérience de Godin nous offre l’opportunité de mener une réflexion sur l’entrepreneuriat social dans l’économie capitaliste d’une manière géné- rale. Godin est un entrepreneur du XIXe siècle, mais son analyse est riche d’enseignements pour définir la place et le rôle de l’entrepreneur social que ce soit aujourd’hui ou pendant la première révolution industrielle. Ces deux périodes ont été (ou sont) marquées par des transformations fondamentales sur les plans économique, technique et social. La révolution industrielle (métallurgie, sidérurgie, chemin de fer) et le développement de la grande entreprise pour Godin, la crise de l’entreprise fordiste, le développement des réseaux et la révolution informationnelle à l’heure actuelle. Nous nous attacherons dans un premier temps à définir l’entrepreneur social d’une manière générale à partir de la littérature contemporaine, car s’il est d’usage courant, il fait aussi l’objet d’une large variété de définitions. Nous soulignerons du même coup que bien que nous ayons qualifié Godin d’entrepreneur social, ce vocable a tout au plus une vingtaine d’années (et s’est donc développé dans un contexte historique précis). Godin avait pour ambition, alors que la révolution industrie était la source d’une grande entro- pie sociale, de concilier efficacité économique et éthique sociale. Ce qui constitue à notre sens les deux ingrédients basiques du vocable « entrepreneur social ». Mais, l’entrepreneur social est d’abord un entrepreneur. Aussi c’est en revenant aux fondements de la théorie économique de l’entrepreneur que nous formulons notre propre définition de l’entrepreneur social. Nous défi- nissons ce dernier comme un entrepreneur schumpétérien, c’est-à-dire comme l’agent économique qui réalise de nouvelles combinaisons de fac- teurs de production, qu’il s’agisse de la création d’un produit ou d’un service nouveau ou bien encore d’une nouvelle forme d’organisation. Dans un second temps, nous décrirons dans ses grandes lignes le parcours professionnel de Godin et son œuvre entrepreneuriale. Il ne s’agit pas de tirer des leçons géné- ralisables à toute la population des entrepreneurs sociaux (ou définis comme tels), mais de mieux souligner l’ancienneté de la pratique « sociale » des entrepreneurs, que la grande variété d’application de ce concept. © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) Aux origines de l’entrepreneuriat social n° 30 – innovations 2009/2 117 QU’EST-CE QU’UN ENTREPRENEUR SOCIAL ? La théorie économique de l’entrepreneur ou les fondements de la fonction entrepreneuriale Bien qu’au centre de l’économie capitaliste, l’entrepreneur (paradoxale- ment) a relativement peu préoccupé les économistes, lesquels se sont princi- palement focalisés soit sur des analyses macroéconomiques (depuis A. Smith sur la dynamique d’ensemble du capitalisme combinant division du travail et mécanismes autorégulateurs du marché), soit sur des analyses microécono- miques (depuis Walras sur l’individualisme méthodologique) (Boutillier et Uzunidis, 1995, 1999, 2003, 2006, 2009). La théorie économique de l’entre- preneur se dessine avec l’analyse de R. Cantillon au début du XVIIIe siècle qui distingue les « gens à gages certains » et les « gens à gages incertains », l’entrepreneur appartenant à la seconde catégorie. Un siècle plus tard environ, J.-B. Say définit l’entrepreneur comme l’intermédiaire entre le savant qui produit la connaissance et l’ouvrier qui l’applique à l’industrie. Say introduit de cette façon un élément nodal de la définition de l’entrepreneur. Au début du XXe siècle, Schumpeter développe cette idée pour pallier aux lacunes du modèle walrasien (qu’il admire cependant), incapable d’expliquer le progrès technique, la croissance ou même les crises économiques. L’entrepreneur walrasien est inséré dans un environnement économique où l’information est parfaite (ce qui signifie que l’incertitude et le risque sont absents), et en situation d’équilibre général, le profit est nul. Ce schéma explicatif ne cor- respond nullement à la réalité économique. Schumpeter définit ainsi l’entre- preneur comme l’agent économique qui innove. Mais, quel est le mobile de l’entrepreneur ? Ce n’est pas comme l’affirme Walras la maximisation du profit en tant qu’agent économique rationnel. Le mobile de l’entrepreneur schumpetérien réside plutôt dans le défi, le changement. Son objectif est d’aller contre l’ordre économique établi. L’entre- preneur est ainsi instrumentalisé pour expliquer la dynamique du capitalisme ou « l’évolution économique ». L’idée majeure que nous retenons est celle de l’innovation par opportunisme. L’innovation ne se limite pas pour Schumpeter à la création d’un nouveau bien ou encore par l’introduction de la machine dans les ateliers. L’innovation est, grossièrement, ce qui permet à l’entrepre- neur d’accroître son chiffre d’affaires et sa position de marché. Aussi, bien que l’entrepreneur ne soit pas résolument certain de l’effet de sa trouvaille sur le marché, elle peut devenir (en cas de réussite) un moyen de lui conférer provisoirement (en raison des rapports de concurrence) une position de monopole. Par le pouvoir de l’innovation, l’entrepreneur délimite son pro- pre marché, il fixe ses propres règles, afin de maîtriser l’incertitude propre au © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 197.234.223.238) Sophie Boutillier 118 innovations 2009/2 – n° 30 fonctionnement du marché. Les mobiles humains ne sont jamais strictement individuels, mais s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et historique. En d’autres termes, l’entrepreneur investit dans tel ou tel secteur d’activité parce que l’état de l’économie, de la société, des sciences et des techniques le lui permet, et en apportant ainsi des solutions aux problèmes posés. À partir des années 1980, l’entrepreneur redevient un sujet d’intérêt, alors qu’à la fin de la décennie 1960, Baumol (1968) écrivait qu’il ne consti- tuait plus un sujet d’analyse pour les économistes au profit des managers. L’entreprise et l’entrepreneur occupent aujourd’hui le devant de la scène éco- nomique et sociale (Audretsch, 2007). Un nouveau champ de recherche se développe celui de l’entrepreneuriat sur la base notamment d’une analyse combinatoire entre les travaux de Schumpeter sur l’innovation et de Kirzner sur la capacité de l’entrepreneur à saisir les opportunités d’investissement (Shane, 2003). Mais, la saisie des uploads/Finance/inno-030-0115.pdf

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  • Publié le Aoû 02, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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