Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2018 p.1611 Procédure pénale juillet 2017 - juill
Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2018 p.1611 Procédure pénale juillet 2017 - juillet 2018 Jean Pradel, Professeur émérite de l'Université de Poitiers, Ancien juge d'instruction L'essentiel La jurisprudence de la chambre criminelle reste fidèle à sa tradition d'équilibre entre efficacité et équité. Des précisions utiles sont apportées notamment à propos de l'action fiscale, des enregistrements clandestins (au sujet de l'affaire dite du « roi du Maroc ») et des fichiers des empreintes digitales. La question des box vitrés n'est pas forcément réglée définitivement. I - Action publique et action fiscale A - Suspension de la prescription de l'action publique. Obstacle insurmontable Une personne dénonce le 15 mars 2015 un meurtre commis par A et B sur la personne de Z en décembre 2001 ou début janvier 2002. Une information est ouverte le 21 octobre 2015 des chefs de meurtre, recel de cadavre et non- dénonciation de crime. A et B sont mis en examen des chefs respectivement de meurtre et de complicité de meurtre. C qui avait reconnu avec A et B avoir immédiatement dissimulé le cadavre après l'avoir enterré dans le sous-sol d'une maison d'habitation, a été mis en examen pour recel de cadavre commis entre le 9 décembre 2001 et le 16 juin 2016. A et B déclarèrent avoir déplacé seuls le corps de la victime pour l'enterrer en 2010 en forêt. Le corps de la victime Z est découvert le 21 juin 2016. Par requêtes devant la chambre de l'instruction, A et B soulèvent la prescription décennale du crime, tandis que C soutient la prescription triennale du délit. On rappellera que les faits se situaient avant la réforme du 27 février 2017 qui a doublé les délais en matière criminelle et correctionnelle. 1° La chambre de l'instruction répond que, pour le délit de recel de cadavre, la prescription n'était pas acquise, C n'ayant pas agi pour faire cesser la prescription (Lyon, ch. instr., 13 avr. 2017). La chambre criminelle rejette le pourvoi en décidant qu'en matière de recel de cadavre, « le délai de prescription ne court qu'à compter du jour où la dissimulation a cessé », le déplacement ultérieur du corps étant sans intérêt (Crim. 13 déc. 2017, n° 17-83.330, D. 2018. 11 ; AJ pénal 2018. 97, obs. M. Lacaze ; RSC 2018. 129, obs. R. Parizot ). Le corps ayant été découvert le 21 juin 2016, c'est à cette date que l'infraction (qui est continue) cesse et que commence à courir le délai de la prescription qui sera de six ans en application de la réforme de 2017 (art. 8, al. 1er, c. pr. pén.). Avant cette date de juin 2016 il y avait « un obstacle de fait incontestable et assimilable à la force majeure qui rendait impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique et suspendait la prescription » (art. 9-3 c. pr. pén.). Cette solution découle directement de l'arrêt célébrissime rendu par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 novembre 2014 dans l'affaire des huit infanticides (n° 14-83.739, D. 2014. 2498 , note R. Parizot , 2469, point de vue L. Saenko , 2015. 1738, obs. J. Pradel , et 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ pénal 2015. 36, note A. Darsonville ; RSC 2014. 777, obs. Y. Mayaud , 803, obs. D. Boccon-Gibod , et 2015. 121, obs. A. Giudicelli ). 2° Plus délicate est la question du crime de meurtre. La chambre de l'instruction soutenait que les auteurs de ce crime ont dissimulé leur acte en cachant, puis en enterrant le cadavre et balayait l'argument d'un signalement par la famille pour fugue, ce qui, à ses yeux, ne pouvait être vu comme un indice de crime. Dès lors, il s'agissait « d'un crime occulte s'accompagnant de manoeuvres de dissimulation », en sorte que « le point de départ du délai de prescription de l'action publique devait être reporté à la date à laquelle l'infraction a pu être révélée, le ministère public ignorant du crime ne pouvant exercer l'action publique dans le temps de la prescription ». Les juges de la chambre de l'instruction ont, de façon transparente, fait appel au concept, d'abord jurisprudentiel, puis légalisé en 2017, de dissimulation. Aujourd'hui l'article 9-1 du code de procédure pénale dispose que la prescription est suspendue « jusqu'au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique... » et vise, à cet égard, les infractions occultes et dissimulées, ces dernières étant celles « dont l'auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte » (art. 9-1 in fine ; Lyon, préc.). L'argument, à première vue séduisant, n'a pas convaincu la chambre criminelle qui a cassé la décision lyonnaise (Crim. 13 déc. 2017, n° 17-83.330, préc.). En visant l'article 7 du code de procédure pénale d'où il résulte, dit-elle, que « seul un obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites peut entraîner la suspension du délai de prescription de l'action publique », elle en déduit que « la seule dissimulation du corps ne caractérise pas un obstacle insurmontable à l'exercice des poursuites pouvant justifier la suspension de la prescription », en sorte que les magistrats lyonnais ont méconnu l'article 7 et son principe. En somme, ne s'attacher qu'à la dissimulation du cadavre procédait d'une vue trop sommaire des choses. Les juges lyonnais l'avaient devinée et avaient, comme il a été dit plus haut, minimisé l'hypothèse de la fugue pour en déduire qu'elle « ne pouvait laisser supposer l'existence d'un crime ». Une fugue est un fait par nature inquiétant et peut évidemment cacher un crime. Sans citer expressément l'article 9-3 du code de procédure pénale, l'arrêt de cassation en retient l'esprit et notamment l'expression « obstacle insurmontable », c'est-à-dire supprimant toute possibilité de recherches probatoires. C'est pour n'avoir pas ouvert une enquête, voire une information fondée sur l'article 74-1 du code (disparition d'un majeur présentant un caractère inquiétant ou suspect eu égard aux circonstances, d'autant plus que la victime était toxicomane), que les magistrats du fond ont laissé se prescrire un crime affreux. L'arrêt du 13 décembre 2017 apparaît comme un coup d'arrêt à la politique de la Cour de cassation très expansionniste. B - Nature propre de l'action fiscale Face à l'action publique et à l'action civile, l'action fiscale marque son autonomie à l'occasion du procès pénal. Dans une poursuite pour fraude fiscale, X avait été condamné comme gérant de fait d'une société de gardiennage. Le prévenu et le ministère public font appel de cette condamnation et la direction générale des finances publiques, qui n'était pas intervenue devant le tribunal, se porte partie civile devant la cour d'appel. Les juges d'appel accueillent cette nouvelle partie (Paris, 29 mars 2012). Sur pourvoi de X, fondé sur l'impossibilité de recevoir une constitution de partie civile pour la première fois en appel, la chambre criminelle rend un arrêt de rejet (Crim. 8 nov. 2017, n° 17- 82.968). Elle approuve la cour d'appel, selon laquelle « l'administration fiscale ne saurait être assimilée à une victime se constituant partie civile pour obtenir la réparation d'un préjudice personnel et direct occasionné par une infraction, la nature spécifique de l'action fiscale trouvant son fondement, non pas dans les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, mais dans l'article L. 232 du livre des procédures fiscales, cette action ne lui ouvrant pas, comme en droit commun, le droit de demander une réparation distincte de celle assurée par les majorations et amendes fiscales, mais ayant pour but de lui permettre de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats, étant rappelé qu'il incombe à l'administration fiscale, aux côtés du ministère public, d'apporter la preuve de l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale, délit pour lequel elle est seule à pouvoir par sa plainte, déclencher la mise en mouvement de l'action publique ». Cette formule, longue et précise, avait déjà été exprimée dans le passé (Crim. 17 avr. 1989, n° 88-81.189, Bull. crim. n° 156), à ceci près cependant que l'arrêt du 8 novembre 2017 y ajoute ab initio « la nature spécifique de son action (de l'administration fiscale), qui n'est ni une action civile ni une action publique ». Cette action est donc une institution à part, n'entrant pas dans les catégories classiques de l'action, un peu comme l'amende fiscale qui est « à la fois une peine et une réparation du préjudice causé à l'État » (Crim. 6 juill 1976, n° 75-93.250 ; J. Pradel et A. Varinard, GADPG, Dalloz, 11e éd., 2018, n° 48). Or ce particularisme de l'action fiscale emporte des conséquences assez considérables sans être absolues, toutes indiquées dans la formule ci-dessus évoquée de l'arrêt de 1976. En premier lieu, l'objet de l'action fiscale n'est pas du tout celui de l'action civile : celle-ci à une fonction réparatrice avant tout, alors que celle-là « permet de suivre la procédure et d'intervenir dans les débats ». À vrai dire, la différence avec l'action civile se réduit si l'on rappelle que « l'action civile permet également de uploads/Finance/j-pradel-proce-dure-pe-nale-juillet-2017-juillet-2018.pdf
Documents similaires







-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 26, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.1444MB