Introduction Cette brochure est le résumé d’un résumé. Sa prétention est d’évoq

Introduction Cette brochure est le résumé d’un résumé. Sa prétention est d’évoquer la pensée politique de Cornelius Castoriadis, une pensée qui s’est étendue, tournée et retournée dans des milliers de pages de tomes divers et nom- breux. Il ne faut donc pas espérer trouver ici un condensé fidèle et concis des méandres de cette réflexion, il faut lire cette brochure en se disant et en se ré- pétant qu’elle n’est pas un résumé (oublions la première phrase ci-dessus) mais davantage une présentation, une introduction aux théories castoria- diennes. Les notes en fin de brochure fourniront une bibliographie complète pour qui veut s’enfoncer dans les écrits made in Casto. Castoriadis est né en Grèce en 1922 ; il émigre en France à la fin de la guerre à cause de son dangereux engagement politique, s’y fait naturaliser, et y meurt en 1997. Dans sa jeunesse, il passe de la gauche du marxisme à la gau- che du trotskysme, puis rompt avec ce dernier et énonce une critique en rè- gle de toute la pensée marxiste, démontrant son ancrage dans l’imaginaire capitaliste. Il fonde la revue Socialisme ou Barbarie, qui marque les années 50 ainsi que de plus ou moins recommandables figures du mouvement so- cial (Guy Debord, Daniel Cohn-Bendit…). La particularité de Castoriadis est peut-être celle d’être un penseur touche-à-tout, philosophe, psychanalyste, économiste à l’OCDE, érudit en Histoire, en musique, en épistémologie, en mathématiques… Sa pensée politique se ressent d’une telle approche glo- bale. Elle nous semble riche car, d’autre part et sous plusieurs aspects, elle nous paraît pouvoir alimenter les réflexions libertaires de manière fine et ap- profondie, même si Castoriadis lui-même ne s’est jamais revendiqué de ce bord-là. En l’an 2000 paraît une intéressante « introduction » à sa pensée politique, par Gérard David et aux éditions Michalon, qui s’appelle Cornelius Casto- riadis, le projet d’autonomie (son prix prohibitif méritera la plus grande créativité de votre part pour vous le procurer). C’est cet ouvrage que cette brochure ambitionne de résumer. Les citations évoquées sont donc soit de Gérard David, soit de Castoriadis lui-même, soit du premier citant le second dans sa citation. Voilà. Bonne lecture. Pour toute remarque : Iosk éditions 10 traverse des 400 Couverts 38000 Grenoble iosk@inventati.org La modernité occidentale Castoriadis a beaucoup étudié l'Antiquité grecque : c'est dans cette période-là qu'il voit la naissance de la société occidentale. Il le démontre de différentes façons, no- tamment en comparant l'imaginaire politique de l'époque à celui de la nôtre. Le pro- cessus essentiel qu'il voit dans la société grecque, c'est l'avènement de la Raison : pour la première fois dans l'Histoire (ou du moins de ce que nous en connaissons), les humain-e-s discutent et décident de leur vie sur des fondements rationnels, qu'ils peuvent maîtriser totalement, et pas sur des fondements d'ordre divin, magi- que, transcendant. La Raison qui éclot en Grèce, rappelons-le, s'exprime dans l'ap- parition de la philosophie, de la science, de la démocratie, de « la mise en question des institutions établies »... Dans les siècles qui ont suivi, explique Castoriadis, les progrès de la Raison ont sui- vi deux chemins, ont servi deux projets, qui s'entremêlent tout en s'opposant : le projet d'autonomie d'une part, et le projet capitaliste de l'autre, projet « démentiel, d'une expansion illimitée d'une pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle qui depuis longtemps a cessé de concerner seulement les forces productives et l'économie pour devenir un projet global (...), d'une maîtrise totale des données physiques, biologi- ques, psychiques, sociales, culturelles. »1 Le projet d'autonomie sera décrit plus amplement plus loin. Mais d'ores et déjà on peut dire qu'il consiste à rendre les humain-e-s entièrement maîtres-se-s de leur vie et de leur société, entièrement conscient-e-s et responsables de ce qui leur arrive et de ce qu'illes construisent. C'est un projet marqué par l'usage de la rationalité, mais aussi de l'auto-limitation* : pour que les humain-e-s puissent vivre ensemble sans qu'une autorité supérieure les contraigne et les punisse, illes doivent être capable de se fixer elleux-mêmes des limites. Le projet capitaliste, lui, utilise la rationalité mais sans limites : son but est bien une « expansion illimitée », une croissance sans fin, des profits toujours plus grands, une maîtrise maximale de ce qui existe sur la pla- nète, « l'expansion illlimitée des forces productives ; la préoccupation obsédante avec le « développement » ; le « progrès technique » pseudo-rationnel ; la produc- tion ; « l'économie » ; la « rationalisation » et le contrôle de toutes les activités ; la di- vision de plus en plus poussée des tâches ; la quantification universelle, le calcul, la « planification » ; l'organisation comme fin en soi, etc. » 2 Or, « l'autonomie (...) en tant qu'auto-limitation, ne saurait exister avec une expan- sion illimitée de quoi que ce soit, fût-ce d'une prétendue « rationalité ». » 3 L'expansion rationnelle illimitée qui anime le projet capitaliste aboutit logiquement à diverses catastrophes. La techno-science est bien l'expression d'un contrôle expo- nentiel sur le monde, d'un contrôle qui lui-même ne se contrôle plus et qui n'est donc qu'un contrôle illusoire. L'impérialisme reflète l'extension dans l'espace, vio- lente, écrasante, du projet capitaliste. Le totalitarisme pousse à l'extrême la logique du contrôle absolu sur une planète et ses habitant-e-s. Ces démesures capitalistes sont bel et bien marquées de raison, mais ni l'auto-limitation ni l'autonomie, elles, n'y sont présentes. Ne serait-ce que parce qu'elles sont menées par une partie large- ment minoritaire de l'espèce humaine, dans ses seuls intérêts. A l'heure actuelle il semblerait que le projet capitaliste prenne le dessus sur le projet d'autonomie4. Mais notre « modernité occidentale » est complexe et il faut bien com- prendre que les deux projets, bien qu'ils soient antinomiques, coexistent encore, voire interagissent, se contaminent l'un l'autre. Le projet d'autonomie s'exprime en- core dans les luttes sociales, dans les révoltes et les révolutions récentes. Il faut d'ail- leurs bien voir que le libéralisme actuel est « un régime social bâtard, basé sur la coexistence entre le pouvoir des couches dominantes et une contestation sociale et politique presque ininterrompue »5. Enfin, le projet capitaliste ne survivrait pas s'il n'était alimenté par les comportements mêmes qui caractérisent le projet d'autono- mie et qu'il s'évertue à détruire : les luttes sociales, le souci du bien commun, les va- leurs de responsabilité (chez certain-e-s juges, profs, ouvrier-e-s, etc., qui mettent du coeur à l'ouvrage)6... Castoriadis ne préconise évidemment ni de se contenter de la « modernité occiden- tale », ni de revenir à l'Antiquité grecque. Il propose de dépasser ces deux formes de société et d'oeuvrer pour l'application du projet d'autonomie7. Le capitalisme Castoriadis s'est livré à une analyse précise des différentes formes du capitalisme moderne. Il en distingue principalement deux : le capitalisme bureaucratique et le capitalisme occidental. Le premier n'est autre que ce que l'on nomme à tort le « communisme », tel qu'il a été appliqué par exemple en Union Soviétique. Le s e- cond est le capitalisme de marché, qui a régné en Europe occidentale et en Améri- que ces dernières décennies, et qui aujourd'hui « se mondialise ». Mais Castoriadis insiste : les sociétés à « l'Est » et à « l'Ouest » du Mur étaient « dominées par deux variétés du même régime social. »8 Dans les sociétés « communistes », Castoriadis remarque « l'apparition de la bureau- cratie comme couche sociale tendant à supplanter la bourgeoisie » et « l'émergence concomitante de nouvelles formes de propriété, d'économie et d'exploitation. »9 La bureaucratie socialiste devient donc la classe dominante. Elle « dispose des moyens de production, gère le procès de production, et décide de la répartition du produit social. » Et son pouvoir est « renforcé par sa maîtrise des moyens de coercition. »10 « L'opposition entre possédants et non-possédants tend à être remplacée par la divi- sion entre dirigeants et exécutants. »9 Par l'analyse de ces sociétés, Castoriadis souligne l'insuffisance des visées révolu- tionnaires qui se limitent à l'abolition de la propriété privée. L'abattement de la classe économiquement dominante ne sert à rien si elle implique l'avènement d'une classe bureaucratiquement dominante...11 Quant au capitalisme occidental, Castoriadis y observe la prédominance de deux normes : la norme hiérarchique-bureaucratique et la norme de l'argent. Ces normes gouvernent l'imaginaire capitaliste et le peuplent des valeurs de hiérarchie, « d'expertise rationnelle », d'accumulation, de compétition, de « maîtrise » sur la na- ture et l'humain. Elles se concrétisent par des « motivations adéquates » inculquées aux individus, « les induisant à reproduire continuellement des comportements co- hérents entre eux et avec la structure et le fonctionnement du système social. »12 Quand le système social cherche une productivité maximale et une destruction de la responsabilité, il forge des attitudes qui tendent à la privatisation, au conformisme, à la compétition, à l'irresponsabilité, à la passion pour le « divertissement », à une mentalité acquisitive (consommation), à un désinvestissement des affaires commu- nes.13 Il forge un individu « défini par l'avidité, la frustration, le conformisme géné- ralisé, (...) la fuite dans la consommation, (...) le fatalisme, (...) uploads/Finance/la-pensee-politique-de-cornelius-castoriadis-le-projet-d-x27-autonomie 1 .pdf

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  • Publié le Fev 19, 2022
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