28 ■ KAIER AR POHER N°72 - Mars 2021 Christian Souchon Christian Souchon Dans l

28 ■ KAIER AR POHER N°72 - Mars 2021 Christian Souchon Christian Souchon Dans le Kaier ar Poher n°69 de juin 2020, un article consacré aux « Prophètes de Basse- Bretagne » commençait par des considérations inspirées par Les pérégrinations de saint Vouga que l’on doit à l’intérêt que porte Pierre-Yves Quémener aux prénoms en général et aux prénoms bretons en particulier. Dans le présent numéro, il se propose d’inaugurer une rubrique trimestrielle, Histoires de prénoms, dans laquelle il nous guidera à travers cette passionnante province de la linguistique qu’est l’onomastique. Il a eu l’aimable imprudence de me demander, pour faire écho à cette entreprise, d’aborder dans le présent numéro la genèse et le contenu du plus long des Chants populaires de la Bretagne de Théodore de La Villemarqué, le chant « Lez-Breizh ». Il lui semblait que ce sujet s’imposait, dès lors que de son côté, il s’attelait à un des prénoms les plus populaires de Basse-Bretagne, Morvan. La double identité du héros, Morvan Lez-Breizh, n’est qu’un des multiples problèmes que pose ce redoutable poème tout au long de ses 271 distiques octosyllabiques. Cette pièce a fait l’objet d’une première publication partielle, en 1839, dans la première édition du Barzhaz Breizh : il s’agit de la partie III du poème définitif, « Le Chevalier du Roi ». Dans la 2e édition du Barzhaz Breizh, en 1845, l’ensemble du cycle est publié, sachant toutefois que les parties I, « Le départ » et II, « Le retour » parurent en traduction respectivement dès 1842 dans les Contes populaires des anciens Bretons de La Villemarqué et en 1843, dans la Revue de l’Armorique. La gwerz de Morvan Lez-Breizh Chef et guerriers francs – Gravure de L. Deghouy d’après un dessin d’Henri Philippoteaux – Musée de Bretagne KAIER AR POHER N°72 - Mars 2021■ 29 Le Lez-Breizh du premier Barzhaz Dans le premier Barzhaz, celui de 1839, Lez-Breizh est un héros du bas Moyen Âge, défenseur non encore identifié de la patrie bretonne. Certains, nous apprend l' « Argument » page 201, le confondent avec Jean de Lannion, seigneur des Aubrays mais, ajoute La Villemarqué, cela n'est guère possible car la Bretagne décrite dans ce chant était indépendante, ce qui en situe l'action avant la fin du XVIe siècle. Dès 1836, ce nom était apparu sous la plume du jeune barde sous la forme Lesambreiz, dans un article de L’écho de la jeune France intitulé « Un débris du bardisme ». En 1839, seul le poème " Le chevalier du roi " (III) est publié sous le titre « Lez-Breizh, chant national des Bretons / Lez-Breizh, Barzhoneg ar Vretoned ». Il ne contient aucune indication d'origine et la mère de La Villemarqué qui rédigea des Tables des matières des chanteurs, à l'intention de son fils, note : " Les-Breis : donné par je ne sais qui ". En voici le résumé, emprunté au site de Pierre Quentel1 , où l'on pourra lire l'intégralité de ce long chant : « Un combat singulier est organisé entre Lez-Breizh et un chevalier du roi, Lorgnez. Avant le combat, le Breton remet son sort entre les mains de sainte Anne, en promettant des dons pour son église en cas de victoire. Le combat commence, après un échange d'invectives entre les adversaires. La scène suivante montre le page de Lez-Breizh racontant comment son maître a tué treize Français, et Lorgnez le premier. Puis Morvan va remercier sa sainte protectrice. » Ce chant se termine par cette édifiante conclusion : « Il n'eût pas été bon Breton au fond de son cœur Celui qui n'eût pas ri de bon cœur En voyant l'herbe rougie du sang des Français maudits Et le seigneur Lez-Breizh assis et se délassant à les regarder. Ce chant a été composé pour garder à tout jamais le souvenir du combat ; Et pour être chanté par les gens de la Bretagne, en l'honneur du seigneur Lez-Breizh. Puisse-t-il être chanté à la ronde pour réjouir ceux du pays. » C'est la traduction de La Villemarqué dans l'édition 1839 : Gallaoued / Français. Dans les éditions suivantes, Français devient Gaulois (1845), puis Franks (1867). L'apparition de ce dernier vocable permet d'invoquer la prestigieuse autorité de l'historien Augustin Thierry (1795 -1856) qui orthographiait ainsi ce mot pour désigner " le mot tudesque, le nom national des conquérants de la Gaule, articulé selon leur idiome ", par opposition au mot franc au sens de libre. « Frank » avait un sens ethnographique, « Franc » un sens social. Comme l'a souligné le philologue breton Francis Gourvil (1889-1984), cette animosité anti-française est propre à la version Barzhaz de ce chant collecté par ailleurs. Toujours dans l'édition de 1839, les " Notes et éclaircissements ", à la page 214, signalent l'existence d'autres poèmes du même cycle : • « Le Maure du roi » (IV) • « L'ermite » (VI) qui relate l’extraordinaire récapitation du héros après sa première mort, 1 http://per.kentel.pagesperso-orange.fr/ 30 ■ KAIER AR POHER N°72 - Mars 2021 puis sa provisoire dormition, avant de revenir un jour expulser les Franks de Bretagne. Ces deux ballades apparaîtront dans l'édition de 1845 où elles constituent 2 parties d'un ensemble qui en comporte six. Morvan surnommé Lez-Breizh Avant que ne paraisse la seconde édition du Barzhaz (1845), l'auteur a fait une découverte. On lit dans le tome II de ses Contes Populaires (pp. 262-265), publiés en 1842, qu' « une aventure semblable [à celles de Peredur et Perceval] est attribuée par les poètes populaires armoricains au chef breton Morvan, surnommé Lez-Breizh / Soutien de la Bretagne, machtiern ou vicomte de Léon ( « Argument » du Barzhaz de 1845 et 1867 ), qui vivait au IXe siècle et a vaillamment défendu contre Louis le Débonnaire l'indépendance de son pays." Suit la traduction d'un nouveau chant, « Le départ » (I) ainsi que de longs extraits modernisés du Perceval de Chrétien de Troyes qui, affirme-t-il avec aplomb, « reproduit [quelques traits piquants de la ballade bretonne] presque littéralement : il a seulement le tort de leur ôter de leur grâce en les délayant et parfois de leur naturel en les exagérant ». Dans le Barzhaz publié en 1845, le poème comprend désormais 6 parties. « Le chevalier du roi » (III) y est suivi par « Le Maure du roi » (IV), deux poèmes dont le caractère authentique ne soulève pas de difficultés. En effet, combinés en un seul poème, ils ont été publiés par Luzel dans ses Gwerzioù, volume 1, 1867 sous trois versions différentes dont l'incipit est : « Entre Koat-ar-Skevel et Lézobré », puis « Koad-ar-Stern et Lézobré » et enfin, « Entre Koat-ar-Skin et Lézobré ». Toutes ces versions sont repérées 0047 dans la classification de Patrick Malrieu qui correspond au thème « Lézobré ha Morian ar roue / Les Aubrays et le Maure du roi ». Deux autres versions, non recueillies par Luzel lui-même, figurent dans le volume 2 de ses Gwerzioù, paru en 1874. Elles sont intitulées respectivement « Le géant Lizandré » (p. 565) et « Le géant Les Aubrays » (p. 573). Selon Luzel et Joseph Loth, cités p. 389 de son La Villemarqué par Francis Gourvil qui se range à leur avis, seules ces parties III et IV sont des chants authentiques, à vrai dire outrageusement arrangés, le reste faisant partie de la catégorie des chants inventés. Morvan ou Murman Les livres d'histoire disent peu de choses à propos de Morvan ou Murman dont La Villemarqué fait si grand cas. Un récit d'Ermold le Noir (790 - 838) figure dans un poème latin en l'honneur de l'empereur Louis le Débonnaire (814 - 840). Il nous apprend qu'en 818, celui-ci participa à une expédition au sud de la Bretagne contre Murman, un chef breton qui revendiquait le pouvoir royal. Murman, que La Villemarqué appelle Morvan, est présenté comme un ivrogne invétéré. Pourtant l'empereur le traite avec beaucoup d'égards et lui dépêche un émissaire, l'abbé Witchaire, pour lui rappeler qu'il gère un vaste territoire où, exilé, il était venu par la mer avec tout son peuple, et qu'au lieu de refuser le tribut et de prendre les armes contre les Francs, il doit s'unir pacifiquement au peuple chrétien. Morvan ne contrôlait certainement pas toute la Bretagne, mais il était à la tête d'une fédération dont le territoire correspondait non pas au Léon, mais au Poher (Carhaix) et à l'ouest du Vannetais (Priziac). Selon la Chronique de Réginon de Prüm, quand Morvan mourut, le commandement /ducatus des Bretons fut confié à Nominoë. Les articles de Pierre-Yves Quémener et de Bertrand Yeurc'h dans le présent Kaier ar Poher, ainsi que celui de Goulven Péron consacré à « La légende du roi Morvan » dans la même revue, en 2006, KAIER AR POHER N°72 - Mars 2021■ 31 fournissent toutes les précisions souhaitables au sujet de ce personnage. Nulle part il n'est dit que Morvan était surnommé Lez-Breizh ou Lezoù-Breizh comme l'affirme La Villemarqué. Les dictionnaires n'attribuent d'ailleurs pas le sens dérivé de soutien au mot lez, uploads/Geographie/ 04-la-gwerz-demorvan-lez-breizh-k72-test3.pdf

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