Leila Caid 48 LEXIQUE, CULTURE ET SOCIÉTÉ Á TRAVERS UN DICTIONNAIRE DE FRANCAIS
Leila Caid 48 LEXIQUE, CULTURE ET SOCIÉTÉ Á TRAVERS UN DICTIONNAIRE DE FRANCAIS RÉGIONAL Leila CAID Université de La Réunion, France L’objectif de notre article est de mettre en lumière l’infuence d’une société, d’une ou des cultures apportées dans une région à l’origine inhabitée. Il s’agit de l’île de La Réunion, département français d’outre-mer situé dans l’océan Indien que nous présenterons infra. Dès à présent, gardons à l’esprit ces deux phrases qui s’énoncent comme des axiomes, pour la suite de nos propos : « La linguistique est essentiellement la recherche des SIGNIFICATIONS. » « ...le véritable but de la linguistique est de mettre en lumière les zones d’ombre du langage, et donc, d’une grande partie de l’univers mental, de la culture et de la vision du monde d’une communauté donnée, grâce aux clartés de cette « chose précieuse », comme on l’a appelée, qu’est la science des signifcations. » (B. Lee Whorf 1956 : 35). Vivre ensemble, dans un environnement géographique commun et avoir une histoire en partie commune à partir d’une certaine date contraint des individus d’origines diverses à communiquer entre eux ; d’où la naissance d’un parler : le créole réunionnais. Ce parler a une composante linguistique majeure, le français importé par les colons venus peupler l’île qui présente une certaine originalité dans sa mise en commun de mots de diférents français dialectaux du 17è siècle comme il apparaît dans notre dictionnaire dont nous présentons infra l’originalité due à ses apports encyclopédiques, après une présentation succincte de ses prédécesseurs. Au travers d’articles de notre dictionnaire, une sélection de lexèmes et de composés lexématiques permettra d’entrevoir des réalités communes à toute une société insulaire (éléments de composés : pays/dehors, ... ; locutions verbales telles que « sauter la mer ») et à une culture créole, composite de facto (les dénominations ethniques, une expression qui s’y s’y rattache : « goyave de France ») . 1. Situation linguistique et sociolinguistique de La Réunion A La Réunion, département français situé dans l’océan Indien coexistent le français standard, un français régional et un créole à base lexicale française, sujet de discussions sociolinguistiques quant à sa genèse commune avec les autres créoles français de l’océan Indien et relié, génétiquement parlant, aux français dialectaux du XVIIème siècle, période de la colonisation de l’île ; coexistent aussi les langues parlées par les esclaves importés dans l’île à partir de la côte est de l’Afrique et des côtes malgaches essentiellement. LA FRANCOPOLYPHONIE : LANGUES ET IDENTITES 49 1.1. Genèse des langues créoles de l’océan Indien Un grand débat1 a donc existé sur la genèse des langues créoles de l’océan Indien à travers diférentes publications où s’opposaient les points de vue de Robert Chaudenson et Michel Carayol d’une part et de Philip Baker et Chris Corne d’autre part2. L’étude de la genèse de ces créoles de l’océan Indien fondée sur des éléments socio- historiques et sociolinguistiques a montré qu’ils ont un ancêtre commun « le bourbonnais », « approximation » des français régionaux importés, et qui, parlé à l’île Bourbon (actuellement Ile de La Réunion) au 17e siècle est à l’origine du créole réunionnais. 1.2. Le créole réunionnais A La Réunion, du fait du relief-montagnes, cirques-et, jusqu’à une époque récente, du faible développement des moyens de communication, des isolats se sont constitués entraînant une certaine variété linguistique dans la langue créole parlée par la majorité des habitants de l’île. Cet état de faits se trouve confrmé dans des corpus oraux recueillis dans le but d’analyser le système verbal du créole réunionnais (cf. Leila Caid : 2000, 2003, tome 2). Ces corpus constitués en prenant en compte une variété de critères sociologiques (âge, sexe, groupe socio-professionnel et surtout régions) indiquent l’emploi d’une variété acrolectale à mésolectale dans les Hauts de l’île et l’utilisation d’une variété acrolectale (Saint-Denis surtout) à basilectale dans les Bas. L’étude des marqueurs de temps, de modalité et d’aspect (préverbaux ou fexionnels selon la variété) permet de constater les éléments qui soutiennent l’existence en créole d’un continuum allant de la variété la plus lointaine de la langue française actuelle3 à celle la plus proche d’elle (voir tableau des marqueurs verbaux en annexes). Cette grille présentant les marqueurs temporels et aspectuels permet aussi de vérifer l’autonomisation du créole par rapport au français, aux plans morpho-syntaxique et phonématique malgré le fait qu’une partie de leur lexique a une source française commune et que des emprunts se font d’une langue à l’autre. Les formes verbales du créole réunionnais issues de lexèmes verbaux des français dialectaux du 17e siècle grammaticalisés fonctionnent généralement de façon autonome par rapport au français actuel au plan syntaxique. 1.3. Le français régional de La Réunion 1.3.1. Défnition Des locuteurs venus de France ont importé un parler teinté de régionalismes qui refètent la diversité de leurs régions d’origine. Ce français s’est enrichi du vocabulaire nécessaire à la désignation des realia locaux et a subi l’infuence de l’environnement géographique et socio-historique. Il a donné naissance à un créole également nourri dans un premier temps d’autres apports linguistiques (malgache, swahili….) variant selon les époques. 1 cf Leila Caid : 2003 : 70-100 2 cf.Robert Chaudenson (1981 ; 1986a ; 1986b ; 1991 ; 2000), Carayol et Chaudenson (1977) ; Philip Baker (1988 ; 1991 ; 1994 ; 1995) ; Philip Baker et Chris Corne (1982 ; 1986 ; 1987). 3 Rappelons que les formes du créole dit basilectal sont aussi issues des périphrases verbales du 17e siècle importées par les colons. Leila Caid 50 Les locuteurs de ce créole ont depuis une trentaine d’années-pour des raisons essentiellement sociales, efectué un retour vers la langue française, et tout naturellement vers le français régional. Ce français est donc au confuent de deux courants : (i) D’une part l’origine première, source du créole qui s’est maintenue dans certains groupes sociaux. (ii) D’autre part, le français récemment adopté par les créolophones. Le créole a donc contribué à un enrichissement de la langue française par des apports lexicaux et en sauvegardant localement certains régionalismes qui n’ont pas survécu dans leur région d’origine. Avant de montrer l’originalité de notre dictionnaire par rapport aux dictionnaires existants ou en cours, procédons à un survol de ces derniers. 2.1. Survol des ouvrages existants Les ouvrages existants sur le lexique à La Réunion mêlent souvent créole et français : Jean Albany (1974, 1983) ; Rémy Nativel (1972) ; Armand Gunet (2003) ; ils donnent souvent les régionalismes du français local dans leur forme phonique française comme étant des mots créoles. Nous n’examinerons ici que les deux ouvrages qui ont été bien difusés et qui servent de référence lorsqu’on parle, à l’extérieur de l’île, du français de La Réunion : Michel Carayol (1985) ; Michel Beniamino (1996). 2.1.1. M. Carayol : 1985 : Les particularités lexicales du français réunionnais Il s’agit d’un ouvrage qui se veut pédagogique dans sa présentation du lexique. Il distingue quatre catégories de lexèmes qu’il regroupe en six parties dans son ouvrage : C1, C2, C31, C32, C41, C42 : 1. Les mots ayant un synonyme en français standard mais qui présentent une dif- férence dans la fréquence d’emploi : C1 2. Les mots ayant un ou plusieurs sèmes qui difèrent entre les deux langues : C2. 3. Les mots étrangers et les néologismes : C31. Ceux qui ont la particularité d’avoir un référent extra-linguistique qui difère un peu de ce qui existe dans le français hexagonal sont regroupés dans la partie C32 : ancive, bichique, tente, vouve 4. Les mots composés qui sont souvent des créations néologiques de la langue fran- çaise régionale : C41 : bataille-coq, bibe-sec, bois-de-reins. Et plus particulièrement, en C42, sont regroupés les syntagmes verbaux plus ou moins fgés : battre (un) carré : « faire une promenade » ; casser un contour : « prendre un virage » ; tirer dé- faut sur : « critiquer ». Cet ouvrage présente cependant quelques problèmes de conception : 1. L’absence de défnition pour un grand nombre d’entrées. L’usager doit donc in- férer le sens du mot d’après le contexte phrastique dont la valeur informative est très variable. 2. Le choix de copies d’élèves comme base de corpus. 3. La sélection de lexèmes n’existant pas en français régional de La Réunion : « ber- nique », « campêche ». L’auteur a été induit en erreur dans ces cas par l’utilisation de signes diacritiques (guillemets), moyen souvent utilisé par les auteurs réunion- LA FRANCOPOLYPHONIE : LANGUES ET IDENTITES 51 nais d’expression française pour souligner le caractère régional d’un mot. 2.2. M. Beniamino : 1996 : le français de La Réunion : inventaire des particularités lexicales : présentation et problèmes de conception Comme le précédent ouvrage, il a le mérite d’avoir repéré et défni le français régional de La Réunion. Citons-le : « […] comme pour M. Carayol, pour nous le français réunionnais est la « langue dans laquelle les locuteurs réunionnais produisent leurs discours, quand ils choisissent de le faire en français et non en créole.» (Beniamino : 1985 : 22). Notons toutefois quelques problèmes de conception au plan lexicographique : 1. uploads/Geographie/ 06-fp2-1-leila-caid-lexique-culture-et-societe-a-travers-un-dictionnaire-de-francais-regional.pdf
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