INTRODUCTION D’Alger à Beyrouth, la France désorientée… Au cours de l’histoire,

INTRODUCTION D’Alger à Beyrouth, la France désorientée… Au cours de l’histoire, la France a imprimé sa marque, parfois douloureusement, à de nombreux pays du monde arabe. La période de la colonisation en Algérie, au Maroc et en Tunisie détermine encore largement aujourd’hui nos rapports avec le Maghreb. Au Levant, après les accords Sykes-Picot de 1916 signés entre Paris et Londres, la France a été à l’origine de la création du Liban et de la Syrie modernes. La diffusion de la langue et de la culture françaises parmi les élites locales a contribué à créer une intimité culturelle commune des deux côtés de la Méditerranée. Après l’indépendance des pays du Golfe au début des années 1970, les monarchies pétrolières ont fait appel aux entreprises de l’Hexagone pour construire leurs infrastructures civiles et militaires. Depuis, Paris cherche inlassablement à s’insérer dans une zone traditionnellement acquise à l’influence anglo-saxonne. Sur le plan diplomatique, la France a longtemps été perçue comme une voix indépendante, à mi-chemin entre Moscou et Washington. Même s’il n’est plus qu’un lointain souvenir, l’héritage du général de Gaulle reste malgré tout vivace. Pendant les années 1970 et 1980, la diplomatie française fut aux avant- postes des tentatives de règlement de la question israélo-arabe, notamment avec les premières prises de contact avec l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) de Yasser Arafat. Plus récemment, le « non » de Jacques Chirac à la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein en 2003 a marqué le pic de l’influence française dans la région. On se souvient encore du discours de Dominique de Villepin longuement applaudi par les délégués présents dans la salle du Conseil de sécurité de l’Onu. La parole de la France était alors forte et respectée, libre de la crainte de se brouiller avec les États-Unis. Depuis une quinzaine d’années, la diplomatie française semble désorientée dans ce Moyen-Orient qui lui est pourtant familier. Sa politique étrangère a perdu en vision et en cohérence, à mesure que sa puissance économique déclinait. Sous de Gaulle, la diplomatie dictait les contrats. C’est aujourd’hui l’inverse. D’où une forme de nostalgie de cette grandeur passée, entretenue dans certains milieux dirigeants. La France ne dispose-t-elle pas du deuxième réseau diplomatique au monde derrière les États-Unis ? Les Printemps arabes ont été le bûcher des vanités de notre diplomatie. On a voulu croire que l’émergence de sociétés civiles dans des pays marqués par des décennies de pouvoir autoritaire nous dédouanerait – à bon compte – de notre compagnonnage avec les dictateurs. Que de versatilité ! Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, après avoir déroulé le tapis rouge au colonel Kadhafi et à Bachar el-Assad, la France a brusquement changé de cap en soutenant des révolutions, sans anticiper qu’elles pouvaient être éphémères, pire, même, porteuses de risques djihadistes. Manque de vision ? Pression de l’opinion publique ? Romantisme révolutionnaire ? Dix ans après, le tête-à-queue est pourtant clair. Sous François Hollande, le quinquennat fut marqué par le « no go » de Barack Obama en Syrie après l’attaque chimique de la Ghouta près de Damas fin août 2013. La France s’est alors retrouvée seule et impuissante. C’est avec la lutte contre Daech qu’Américains et Français ont pu travailler de concert contre un objectif commun. Mais en Syrie comme en Irak, Paris a dû, bon gré mal gré, s’adapter aux fluctuations et hésitations de la diplomatie américaine. Dès son arrivée à l’Élysée en 2017, conscient d’une sorte de dérèglement, Emmanuel Macron a voulu redonner du souffle et du dynamisme à notre diplomatie au Maghreb et au Moyen-Orient. Avec un volontarisme assumé au Liban, avec l’Iran, mais aussi en Irak et vis-à-vis de l’Algérie. Au terme de son quinquennat, le Président a-t-il réussi à enrayer le déclassement français à l’œuvre depuis quinze ans au Moyen-Orient et au Maghreb ? Quels ont été les résultats concrets d’une diplomatie qui se voulait « disruptive » ? Poussant les portes du sérail, nous avons enquêté pendant deux ans dans les coulisses des pouvoirs en France, au Maghreb et dans ce Moyen- Orient que nous sillonnons depuis trois décennies. Nous avons suivi Emmanuel Macron au Qatar, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis (EAU), au Liban, en Irak. En France, nous avons réalisé une centaine d’entretiens avec des diplomates, des hauts gradés de l’armée, des hommes du renseignement, des hommes d’affaires et des chercheurs. Pour ne pas rester sur une vision autocentrée du rôle français dans ces deux régions si importantes pour son influence, nous avons mené notre investigation en Algérie, au Maroc, en Iran, dans le golfe Persique, et recueilli les témoignages de présidents de la République et d’autres dirigeants de ces pays, interlocuteurs de ce jeune chef d’État qui ne les a, parfois, pas ménagés. Certaines de nos sources ont accepté de témoigner publiquement, d’autres, pour des raisons de confidentialité liées à leurs fonctions passées ou présentes, ont préféré conserver l’anonymat. C’est ce voyage au cœur d’un déclassement que nous vous proposons. LISTE DES PRINCIPALES PERSONNALITÉS INTERROGÉES Michel Aoun, président de la république du Liban Mohammed Raad, député du Hezbollah Samir Geagea, chef des Forces libanaises Samy Gemayel, chef du parti Kataëb Walid Joumblatt, chef du Parti progressiste socialiste libanais Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, ministre des Affaires étrangères du Liban entre 2014 et 2020 Abbas Ibrahim, directeur de la Sûreté générale du Liban Charbel Wehbé, ministre des Affaires étrangères du Liban, 2020-2021 Ali Hamdan, conseiller politique de Nabih Berri, président du parlement du Liban Jean Riachi, banquier libanais Rami Adouane, ambassadeur du Liban à Paris Basile Yared, conseiller de Rafic Hariri Jean-Pierre Lafon, ambassadeur de France au Liban entre 1994 et 1997 François Abi Saab, ancien diplomate à l’ambassade de France au Liban Alain Bifani, directeur général du ministère libanais des Finances, jusqu’en mai 2020 Gwendal Rouillard, député La République en marche Mahmoud Ahmadinejad, président de la république islamique d’Iran entre 2005 et 2013 Ali Akbar Salehi, ministre des Affaires étrangères d’Iran entre 2010 et 2013, puis directeur de l’Organisation iranienne à l’énergie atomique de 2013 à 2021 Ali Ahani, ambassadeur d’Iran en France de 1988 à 1993, de 2006 à 2009 et de 2012 à 2017 Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale d’Iran Bahram Ghassemi, ambassadeur d’Iran en France depuis 2019 Clément Therme, universitaire Moustapha al-Kazemi, premier ministre irakien Farid Yacine, ambassadeur d’Irak en France Hosham Dawood, universitaire et conseiller du Premier ministre irakien François Aïssa-Touazi, fonds d’investissement Ardian, fondateur du think tank CAPmena Anouar Gargash, ancien secrétaire d’État en charge des Affaires étrangères des Émirats arabes unis Alain Azouaou, ancien ambassadeur de France au Qatar et aux Émirats arabes unis Maurice Gourdault-Montagne, conseiller diplomatique de Jacques Chirac de 2002 à 2007 Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012 Pierre Vimond, directeur de cabinet de 2002 à 2007 des ministres des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, Michel Barnier et Philippe Douste-Blazy François Nicoullaud, ambassadeur de France en Iran entre 2000 et 2005 Maqram Qaïssi, ambassadeur de Jordanie en France Pierre Duquesne, diplomate en charge de la coordination du soutien international au Liban Abdelaziz al-Sagger, responsable saoudien d’un centre de recherches Humaid bin Ali Al-Maani, ancien ambassadeur d’Oman en France Denis Bauchard, directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères 1996-1997, ancien directeur de l’Afrique du Nord et Moyen- Orient (ANMO) Salman al-Herfi, ancien ambassadeur de la Mission de Palestine en France Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020 Mohamed Antar-Daoud, ambassadeur d’Algérie en France Flavien Bourrat, ancien chercheur à l’Irsem Stanislas de Laboulaye, ancien directeur des affaires politiques au Quai d’Orsay Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’Onu en Libye de 2017 à 2020 Ali Onaner, ambassadeur de Turquie en France depuis 2020 Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine Jean-Pierre Darnis, université Côte d’Azur de Nice Agnès Callamard, ancienne rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’homme de l’Onu CHAPITRE 1 Dans le secret des missions d’Emmanuel Macron au Liban Quel est le pays où la Banque centrale est actionnaire d’un casino ? Dont le Premier ministre régalait le personnel de l’Élysée chaque samedi il y a encore une vingtaine d’années ? Et qui dispose de quatre ressortissants ambassadeurs auprès de l’Unesco à Paris ? Ce pays baroque n’est autre que le Liban, où Emmanuel Macron se rend le 6 août 2020, quarante-huit heures seulement après une terrible explosion au port de Beyrouth, qui a fait plus de 200 morts et dévasté des quartiers entiers de la capitale. Un pays créé par la France en 1920, dont le général de Gaulle, qui y vécut deux ans entre 1929 et 19311, disait que « dans tout cœur de Français […] le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier. […] Les Libanais, libres et fiers, ajoutait-il, ont été le seul peuple dans l’histoire du monde, à travers les siècles, quels qu’aient été les péripéties, les malheurs, les bonheurs, les destins, le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France. » Cent uploads/Geographie/ 20220212000935.pdf

  • 38
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager