LES Online, Vol. 2, No 1 (2010) 4 Le cyberespace comme le tiers-espace des lesb
LES Online, Vol. 2, No 1 (2010) 4 Le cyberespace comme le tiers-espace des lesbiennes de «culture musulmane» dans le monde ? Salima AMARI Centre d’Etudes Féminines et Etudes de Genre (Université de Paris 8) CRESPPA-GTM, France amari.salima@yahoo.fr RÉSUMÉ: Au moment où les lesbiennes de «culture musulmane», n’ont presque aucune place dans l’espace public, ni dans leurs pays d’origine (Maghreb, Orient, Afrique) ni dans leurs pays d’accueil (Europe, Amérique); le cyberespace apparaît aujourd’hui comme l’alternative à l’impossible visibilité publique d’un côté et à la douleur solitaire dans l’espace privé, de l’autre. De nombreux forums, blogs et sites destinés aux lesbiennes arabes ou de «culture musulmane» existent aujourd’hui. Ils sont des tribunes d’expressions, de convivialité et de résistance. Ils effacent les frontières internationales, défient les lois oppressives et font parler des lesbiennes d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, d’Egypte, de Palestine, d’Iran, du Mali avec des les lesbiennes immigrées ou exilées des mêmes pays et les lesbiennes «issues des immigrations». MOTS CLES: Genre, sexualité et Islam, lesbiennes de culture musulmane, sexualité dans le monde arabe, tiers- cyberespace. «…je ne pouvais pas faire référence à mon origine culturelle/ethnique et à mon identité sexuelle dans la même phrase. Pour moi c’était l’une ou l’autre.» : Une lesbienne arabe sur un site Internet www.bintelnas.org INTRODUCTION: La question lesbienne dans le monde arabe et musulman est étroitement liée à la condition des femmes en général. Le silence qui l’entoure est lié au silence qui entoure la sexualité en général et particulièrement la sexualité féminine. Malgré la riche littérature poétique «arabo-musulmane» sur la sexualité et même l’homosexualité, très souvent masculine à l’image d’Abou Nawas et d’El Jahiz, la seule sexualité reconnue dans «l’espace musulman» demeure la sexualité licite, celle pratiquée dans le cadre du mariage hétérosexuel. Soit dans les pays musulmans ou dans les pays des migrations, les jeunes filles sont étroitement surveillées par la famille ou par la société dans son ensemble dans leurs déplacements à travers les espaces publics afin d’assurer leurs virginités jusqu’au mariage. LES Online, Vol. 2, No 1 (2010) 5 Aucun écart à cette règle n’est permis. On se souvient en France de l’affaire médiatique du mariage annulé parce que la mariée d’origine maghrébine avait menti sur sa virginité en mai 2008. Si la «sexualité reproductive» est étroitement surveillée à travers le mariage hétérosexuel, officiellement l’homosexualité est condamnée par la législation de la plupart des pays arabes et musulmans. Même les pays qui ne condamnent pas officiellement l’homosexualité contournent la loi. Exemple de l’Egypte qui n’a pas de texte juridique spécifique anti-homosexualité mais utilise les motifs de prostitution et d’atteinte aux mœurs pour pouvoir attaquer juridiquement les personnes homosexuelles. Pour interpeller les gays égyptiens, souvent les policiers profitent des soirées et fêtes entre hommes et comme relatés par certaines victimes, internet peut devenir un vrai piège : de faux rendez-vous avec de vrais policiers. Des faits relatés notamment par Brian Whiteker (2008). Publiquement invisible et en contradiction avec les lois qui la condamne, l’homosexualité devient inexistante pour la plupart des dirigeants politiques arabes et musulmans. Elle n’est qu’une pratique perverse occidentale importée en «Orient» et en Afrique. A l’image de la déclaration d’Ahmadinejad qui a déclaré en septembre 2007 que contrairement à l’Occident il n y a pas d’homosexuels en Iran en réponse à une question sur les persécutions des homosexuels dans son pays. Et celle du président zimbabwéen, Robert Mugabé qui a déclaré en mai 2000 que «l’homosexualité est une tare de la société blanche, qui ne s’applique pas aux africains». Dans les textes de loi, le traitement accordé à l’homosexualité féminine est souvent différent de celui accordé à l’homosexualité masculine. Dans la moitié des pays à majorité musulmane, l’homosexualité masculine est illégale mais pas l’homosexualité féminine (Wikipedia, n.d). Ce qui ne veut pas dire une meilleure tolérance mais au contraire une non reconnaissance d’une sexualité lesbienne propre et autonome par rapport aux hommes. Face à toutes les persécutions dans leurs pays et face à toutes les difficultés d’être gay ou lesbienne de culture «musulmane» partout dans le monde, beaucoup de gays et lesbiennes ont trouvé «refuges » dans les sites, blogs et forums internet crées soit sur place dans les pays musulmans, même si cette situation est plus rare, vue les risques de persécutions; soit par leurs compatriotes exilés en Occident ou par les gays et lesbiennes «issu-e-s» des différentes immigrations. La présence des gays est souvent plus importante que les lesbiennes. Une plus grande autonomie des hommes surtout dans les pays «musulmans» et leurs capacités à se déplacer dans l’espace public pour accéder à des cybercafés ou avoir un accès internet à domicile peuvent expliquer cette différence. Qu’en est-il de la présence des lesbiennes arabes et musulmanes dans le cyberespace ? Quel est ce nouvel espace qu’elles arrivent à créer puis à occuper pour échapper d’un côté à l’espace privé où le silence et la solitude sont étouffants et de l’autre côté à l’espace public réel où la visibilité peut-être un danger ? LES Online, Vol. 2, No 1 (2010) 6 1- LE CYBERESPACE, «L’ESPACE DES POSSIBLES»: Le philospohe Philippe Quéau (2000) a écrit : «Pour tout être vivant, l’espace induit une dualité fondamentale: entre ici et là-bas, entre le proche et le lointain, entre l’espace qui nous est propre et l’espace de l’autre… [mais] Le virtuel nous offre une nouvelle expérience de l’espace… Le virtuel invite à l’exode, à ne plus rester "là". Nous ne sommes pas "au monde" ni "là" mais bien "dans le monde"». C’est ce même virtuel qui rend possible des contacts improbables. N’importe quelle lesbienne qui a les moyens d’accéder à internet peut entrer en contact avec d’autres lesbiennes des quatre coins du monde via des forums de discussion, des sites de rencontre ou de chats. Un espace déterritorialisé pour l’émergence d’un espace des possibles. L’anonymat d’Internet pousse beaucoup de lesbiennes de «culture musulmane» à visiter ou «habiter le cybermonde» (Monot & Simon, 1998), le seul espace possible pour elles aujourd’hui qui permet de rompre leur isolement. Parmi les lesbiennes maghrébines migrantes en France rencontrées dans le cadre de ma recherche universitaire, deux algériennes qui vivent aujourd’hui ensemble à Paris se sont rencontrées sur internet dans leur pays d’origine grâce à un site de rencontre gay et lesbien français (gayvox.com) où dans le profil on peut préciser le lieu de résidence. Le tri pour sélectionner les rencontres «possibles» peut se faire donc sur une base géographique. C’est comme si le passage par le cyberespace est un ticket vers «le bonheur». Philippe Quéau s’interroge : «peut-il y avoir un cyberespace heureux»? La réponse ne peut pas être certaine mais on peut affirmer que le cyberespace contribue parfois au bonheur de ceux et celles qui décide de l’habiter. Mais cet «espace des possibles» est-il finalement un moyen de résistance ou une occasion de fuite? Francis Jauréguiberry et Serge Proulx (2003) déclarent : «On peut en effet considérer que les soi virtuels sont tout autant des bases de résistance que des points de fuite, tout autant des actes créatifs que des abondons identitaires. La manipulation de soi par un individu sur Internet peut donc être lue aussi comme l’extériorisation transgressive et à «faible coût social» de son exigence d’être un sujet créatif au-delà des déterminations, statuts et rôles qui le freinent socialement». Dans le cas des lesbiennes qui se considèrent comme musulmanes, de culture musulmane, maghrébine, arabe ou d’Afrique du nord…etc., la prise de parole publique passe par l’écriture numérique. Parmi les sites lesbiens qui abritent cette parole, on peut citer: -Bint el Nas (www.bintelnas.org) -Aswat (WWW.aswatgroup.org) -Safra Project (www.safraproject.org) D’autres sites sont mixtes (gays et lesbiennes): LES Online, Vol. 2, No 1 (2010) 7 -Gay Middle East (www.gaymiddleeast.com) -Al-Fatiha Foundation (www.al-fatiha.org) -Helem (www.helem.net) -Imaan (www.imaan.org.uk) En plus de ces sites, de nombreux forums et blogs animés par des lesbiennes de culture arabo-musulmane existent aujourd’hui sur la toile. On Remarque que la plupart des noms des sites sont en arabe, comme s’il y a un besoin de réconcilier son identité sexuelle et son identité culturelle ou religieuse par l’écriture et par une sorte de «visibilité langagière» sur internet. Il est ainsi important pour les gays et lesbiennes arabes de s’approprier les noms qui les désignent positivement, en effet pour l’instant la majorité de la population et notamment la presse arabe continue de désigner les homosexuel- le-s par des expressions négatives. Les plus fréquentes sont «perversions et déviances sexuelles» (Les journaux obsédés par la "perversion" et la "déviance», 2004), c’est dans cette optique que des sites travaillent sur l’invention d’un langage positif d’auto-désignation. A l’image du site «bint el nas» qui trace un tableau de traduction anglais-arabe avec des «concepts positifs» sur l’homosexualité. L’écriture numérique, la recherche puis la production collective d’un langage commun à une communauté, voilà un des apports certains de cet espace virtuel. Pour illustrer l’importance du cyberespace, voici un extrait d’un sujet posté sur le forum de l’émission «Toute une histoire» de France 2, la télévision française. Le titre du sujet est «musulmane lesbienne» : «… Je suis une jeune-fille de 23 ans, étudiante uploads/Geographie/ 21-88-1-pb.pdf
Documents similaires
-
21
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 24, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2432MB