De la côte Malabar à Mon-Caprice CLICANOO.COM | Publié le 1er janvier 2005 Une

De la côte Malabar à Mon-Caprice CLICANOO.COM | Publié le 1er janvier 2005 Une dizaine d’années après l’abolition de l’esclavage, un certain Saminadin Moutien Ganapathy quitte la côte Malabar pour rejoindre le domaine de Gabriel Le Coat de Kerveguen à Mon- Caprice et honorer son contrat d’engagement de cinq ans. Un siècle et demi plus tard, son arrière-petit-fils Gilbert Canabady Moutien a réussi à la sueur de son front à devenir propriétaire du domaine sur lequel il a versé la sienne. Le 25 octobre 1857 (à moins que ce ne fût quelques mois avant ou quelques mois après, - faute de passeur de mémoire), après une interminable traversée de l’océan Indien suivie d’une dizaine de jours de quarantaine en rade de Saint-Denis, le “Canova” (sinon la “Marguerite”, peut-être le “Sanassy” ou pourquoi pas le “Palladium” ?, personne n’est plus là pour s’en souvenir) accoste au pont- débarcadère de la Grande-Chaloupe (ou à celui de la ravine à Jacques). Le navire débarque près de 400 Indiens, qui sont montés à bord dans le port du comptoir français de Pondichéry (ou à Yanaon, Karikal, Mahé ou Madras, ou encore Bombay, eux-mêmes ne le savaient pas pour n’y avoir jamais été), rassemblés par des recruteurs d’une de ces agences d’immigration indienne dans les villages les plus reculés de la côte de Malabar ou de Coromandel. Quelques-uns de leurs frères ont péri au cours de la traversée, sans savoir qu’ils ont eu de la chance par rapport aux survivants. Parmi ceux-ci, Saminadin Moutien Ganapathy (francisé en Canabady). Est- il célibataire ? Une épouse l’accompagne-t-elle, engagée comme lui ? Selon certaines sources, il épousera bien plus tard à la mairie de Saint-Pierre une cultivatrice de Mon-Caprice, Sinama Candapin, arrivée elle vers 1855. Quel âge a-t-il ? Le sait-il lui-même ? Peu importe. Il a la force de la jeunesse, et, l’aventure le tente : le recruteur ne lui a-t-il pas fait croire que le pays où il l’emmène regorge d’or ? En réalité, en cette année 1857 où la canne grimpe à l’assaut des terres encore en friches, il vient louer ses bras. Tout comme 1 448 autres engagés introduits dans l’île cette année-là. Son contrat de cinq ans renouvelable (qu’il ne sait pas lire, étant illettré) indique qu’il est affecté à la propriété de M. le comte Gabriel Le Coat de Kerveguen à Mon-Caprice. La famille (ou plutôt la dynastie) Kerveguen possède le plus immense domaine foncier que la Réunion ait jamais connu. À l’apogée de sa puissance, elle est propriétaire de pratiquement toutes les terres qui s’étendent dans le Sud entre 150 m et 800 m d’altitude, soit près de 12% de la surface totale de l’île. L’engagement des Indiens suscite un véritable engouement. Des maisons de commerce se chargent des recrutements, mais laissent les modalités pratiques à des intermédiaires (surnommés “duffadars” par les Indiens et “kidnappers” par les Anglais). En effet, ces recruteurs usent de méthodes plutôt douteuses, n’hésitant pas à tromper les candidats sur leurs futures conditions de travail et de rémunération et recourent parfois même à de vrais enlèvements ou à des engagements forcés. Le contrat de travail signé en Inde est aussitôt revendu aux colons engagistes. Le “coolie” engagé à Calcutta est acheminé à Maurice ou à Bourbon sur un entrepont de bateau et dans des conditions de transport identiques à celles des esclaves, les fers en moins. Traités comme des esclaves Confiant, Saminadin est loin de se douter de la nouvelle vie qui l’attend. Il a laissé dans son village ses vieux parents, une flopée de frères et de sœurs plus petits et a promis de leur envoyer cet argent qu’il compte économiser et qu’ils attendent déjà pour continuer de survivre. Beaucoup de ses connaissances ont avant lui fait le même voyage. Certains appartenaient à son village natal. Que sont-ils devenus ? Il espère les retrouver dans cette île qu’on dit minuscule par comparaison avec le vaste subcontinent d’où ils viennent. Quel est la situation dans l’île en cette année 1857 ? Depuis le 20 décembre 1848, Sarda-Garriga a proclamé la libération de tous les esclaves de l’île (qui sont alors au nombre de 62 151, pour 40 433 Blancs et affranchis). Mais cette abolition ne met pas fin à l’indignité faite aux hommes, puisque la main d’œuvre servile que réclame l’activité sucrière en plein développement en cette fin du XIXe siècle sera remplacée par celle des engagés. Près de 110 000 recrutés dans les comptoirs français de l’Inde anglaise puis les ports britanniques de la côte Sud du subcontinent feront le voyage dans les cales de navires jusqu’à notre île redevenue française - grâce à la courtoisie de l’Angleterre - depuis le traité de Vienne en 1815, après avoir été une “Crown colony”, entre l’arrêté du 3 juillet 1829 y réglementant l’introduction des Indiens et le 19 décembre 1882 quand l’Angleterre dénoncera les conventions signées avec la France le 25 juillet 1860 et les 1er juillet 1861 relatives à l’immigration indienne en direction de la Réunion, parce que les engagistes bafouaient allègrement la réglementation. Selon l’historien Yves Pérotin, c’est à la Réunion que le “coolie trade” a débuté vraiment. Dès 1828, M. d’Arifat, un créole de l’île Maurice, chargé de la construction du pont de la rivière des Roches, fait venir de Pondichéry des travailleurs indiens. Bénéficiant de la double nationalité indienne et britannique, ceux-ci étaient libres, recevaient un salaire, mais étaient traités comme des esclaves, subissant violences et privations de toutes sortes. En fait, les origines indiennes des Réunionnais remontent à trois siècles et demi, au tout début du peuplement de notre île, puisqu’en 1663 des colons blancs prennent pour femmes légitimes des Indo-Portugaises (qui n’ont de Portugais que la nationalité du pays colonisateur des comptoirs de l’Inde) de Goa. À cette première vague d’émigration indienne succèdera celle des esclaves (près de 10 000 entre 1674 et 1830) ramenés des Indes sur des navires négriers une dizaine d’années plus tard, quand - bien avant le code noir - le gouverneur Jacob de la Haye interdira le mariage entre Blancs et Noirs... Saminadin n’est bien entendu pas seul à rejoindre la propriété de “M. Le Coat de Kerveguen” (comme on l’appelle) à Mon-Caprice, où quelque 300 ouvriers sont affectés aux travaux des champs. Ils y cultivent essentiellement la canne, qui est traitée à l’usine des Casernes, autre propriété des Kerveguen. Leur habitat a changé par rapport à celui de leurs frères de misère de la première époque. Perçus comme des étrangers culturels, ils sont désormais rassemblés dans un camp composé de cabanons collectifs. Ils travaillent entre onze et treize heures par jour, moins environ deux heures pour les repas, reçoivent la nourriture réglementaire et sont convenablement vêtus, bénéficient de soins médicaux et leurs salaires sont payés régulièrement. La qualité de leur travail est jugée plutôt bonne en général, même si cette classe d’ouvriers agricoles est durement exploitée, pour un salaire de misère, et que leur condition reste très proche de celle des anciens esclaves. Engagés pour cinq ans La gestion des ressources humaines de “M. Le Coat de Kerveguen”, n’en déplaise à ceux qui colportent sur lui la même légende noire que sur Mme Desbassayns, n’est ni meilleure ni pire que celle des autres sucriers. Quel était exactement le contrat d’engagement du jeune Saminadin ? Aucune trace écrite n’a été retrouvée. Était-il identique à ce contrat datant du 16 mars 1828 parvenu jusqu’aux Archives départementales ? Un article y stipule : “Nous serons entièrement libres de professer notre religion et d’en faire les cérémonies, suivant les us et coutumes de notre caste. Il nous sera permis, si nous le désirons, d’établir une petite pagode.” Un autre article ajoute : “Nous serons exempts de travail le jour du Pongol qui sera notre seule et unique fête et pour laquelle nous prendrons quatre jours pour la célébrer.” Mais, bien que reconnue depuis 1829, la culture des engagés ne sera que partiellement respectée par le législateur colonial, car considérée (surtout par les prêtres catholiques) comme “la religion du diable”. Toutefois, comme l’écrit Firmin Lacpatia dans “Les Indiens de la Réunion - La vie religieuse”, “pour retenir la main d’œuvre sur les terres, les propriétaires poussent le zèle en l’aidant matériellement dans leurs pratiques.” Saminadin s’est engagé pour une durée de cinq ans, au terme desquels il peut rempiler ou rentrer chez lui. On sait que les rapatriés étaient peu nombreux et que ceux qui regagnaient l’Inde natale étaient prématurément vieux (la moyenne d’âge des engagés se situait à 44 ans) ou estropiés, munis d’infimes économies (quatre fois moins que ceux qui revenaient de Guyane pourtant connue pour ses lamentables conditions de travail). Comme s’ils avaient versé leur sueur pour rien ! De 1852 jusqu’à 1863, le sucre connaîtra un second “boom” et la Réunion une décennie prodigieuse. Le nombre des usines, qui était de 101 en 1851, remonte à 125 en 1859. La commune de Saint-Pierre tient alors la première place de l’île avec ses 19 usines. La base foncière est dans le Sud : 5 199 hectares dont 2 uploads/Geographie/ 30-oct-09-canabady-reunion-de-la-cote-malabar-a-mon.pdf

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