Gilles Pison* L ’espérance de vie ne progresse plus que faiblement en France de

Gilles Pison* L ’espérance de vie ne progresse plus que faiblement en France depuis quelques années. Examinant si ce ralentissement est conjoncturel ou tient à une nouvelle tendance de fond, Gilles Pison le resitue parmi les évolutions observées dans les autres pays développés. Pourquoi l’espérance de vie augmente-t-elle moins vite en France ? La France métropolitaine compte près de 65 millions d’habitants début 2019, sa population ayant augmenté d’environ 184 000 personnes en 2018 (+ 0,3 %) (tableau) [1]. Le solde naturel, excédent des naissances sur les décès, continue de diminuer ; en 10 ans il est passé de 264 000 (en 2008) à 118 000 (en 2018), soit une baisse de près de 150 000 (plus de 55 %). Cette baisse vient d’une diminution des naissances et d’une hausse des décès d’ampleurs compa- rables, autour de 75 000 chacune. Pour la première fois depuis 1945 le nombre de décès dépasse 600 000 Le nombre de décès en 2018 est de 601 000 en France métropolitaine. C’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’il dépasse 600 000. En France, le nombre annuel de décès s’est longtemps situé au-dessus de ce seuil, notamment durant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. La dernière année avec plus de 600 000 décès était 1945 (644 000). Avec une chute de près de 100 000, il n’est plus que de 546 000 en 1946, puis fluctue d’une année à l’autre en restant en dessous de 600 000, se situant aux alentours de 500 000 à 550 000 [2]. Ce n’est donc que 72 ans après, en 2018, qu’il repasse au-dessus de 600 000. Mais la population a beau- coup changé dans l’intervalle. Elle est d’abord plus d’une fois et demi plus nombreuse (65 millions en 2018 contre 40 millions en 1945). Elle est aussi plus âgée – la propor- tion de personnes de 65 ans ou plus a pratiquement doublé, passant de 11 % en 1945 à 20 % en 2018 (tableau). * Muséum national d’histoire naturelle et Institut national d’études démographiques English version Le calcul de l’espérance de vie permet d’éliminer dans les fluctuations de la mortalité ce qui revient aux variations de la taille de la population et de sa répartition par âge, pour ne faire apparaître que ce qui tient à l’évolution des risques de décès. Si l’on revient à la période contemporaine, l’espérance de vie à la naissance atteint 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes en 2018, contre 79,4 ans et 85,3 ans en 2017, soit un gain de 0,1 an pour les hommes comme pour les femmes (tableau). Ce gain e s t m o d e s t e . L’espérance de vie ne progresse plus que faiblement depuis quelques années (figure 1). Elle n’a gagné que 0,7 an chez les hommes au cours des cinq dernières années, et que 0,4 an chez les femmes. D’où vient ce ralen- tissement des pro- grès particulière- ment marqué chez les femmes ? Source : Insee Figure 1. Évolution de l’espérance de vie à la naissance en France depuis 1994 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 1994 1998 2002 2006 2010 2014 2018 ans années FEMMES HOMMES G. Pison, Population & Sociétés n° 564, INED, mars 2019. www.ined.fr Population Sociétés & numéro 564 • mars 2019 • Population & Sociétés • bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques Numéro 564 Mars 2019 cardiovasculaire. La mortalité par cancer a beau- coup diminué chez les hommes et elle continue de baisser. Chez les femmes, où elle est moindre que chez les hommes, elle a diminué plus lentement, et a même cessé de baisser ces der- nières années. L’une des raisons est la montée du tabagisme dans les années 1950 à 1980 dans les générations de femmes ayant 50 ans ou plus aujourd’hui. Elles en subissent les conséquences quelques décennies plus tard sous forme de montée des cancers liés au tabac [4]. Les Françaises restent cependant bien placées en Europe Un même ralentissement des progrès de l’espérance de vie s’observe dans les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest (voir figure 3 les cas de la Suède, du Danemark, de l’Alle- magne et du Royaume-Uni). Comme en France, il est plus marqué chez les femmes que chez les hommes. Le ralentissement est ancien chez les Suédoises. Alors que ces dernières bénéficiaient de l’une des espérances de vie les plus élevées d’Europe en 1980, elles ont été rattrapées puis distancées par les Françaises, les Espagnoles et les Italiennes, qui ont pris la tête. Si les femmes des pays nordiques ont connu plus tôt que les autres le ralentisse- ment, c’est en partie parce qu’elles s’étaient mises à fumer plus tôt, et en ont donc subi plus précocement les conséquences en termes d’accroissement de la mortalité par cancers liés au tabac. Les Françaises connaissent donc avec retard le ralentisse- ment qu’ont connu avant elles les habitantes des pays nordiques, pour les mêmes causes, à savoir le tabagisme. Avec plus de 87 ans d’espérance de vie les Japonaises détiennent le record aujourd’hui (figure 3). Elles montrent que des marges de progrès existent encore avant d’atteindre d’éventuelles limites. De leur côté, les Français restent toujours mal situés malgré leur forte progression. Aux États-Unis les progrès de l’espérance de vie ont non seulement ralenti mais fait place ces dernières années à un recul, à la fois chez les hommes et les femmes. Il est attribué là-aussi à une montée de la mortalité liée au tabac à laquelle Pourquoi l’espérance de vie progresse-t-elle moins vite ? Sur les cinq dernières années, trois ont connu une épidé- mie de grippe saisonnière particulièrement meurtrière ayant entraîné un surcroît de 20 000 décès environ à chaque fois, principalement chez les personnes âgées [3]. Les épidémies de grippe saisonnière ne sont cependant pas une nouveauté. Quand elles sont meurtrières comme celles des dernières années, elles réduisent l’espérance de vie à la naissance de l’année de 0,1 à 0,3 an, mais l’effet est conjoncturel, sans affecter la tendance de fond. À l’effet propre des épidémies de grippe semble s’ajouter un ralentissement des progrès de l’espérance de vie qui tient à d’autres causes. Il est utile à ce stade de resituer l’évolution récente dans le cadre des changements de plus long terme. Depuis le milieu du XXe siècle, l’espérance de vie à la naissance a progressé de 3 mois par an en moyenne en France, passant de 66,4 ans sexes confondus en 1950 à 82,5 ans en 2018. Cet essor est dû principalement aux succès remportés dans la lutte contre la mortalité adulte, en particulier aux âges élevés où se concentrent de plus en plus les décès. En effet, la baisse de la mortalité des enfants, qui avait beaucoup contribué à l’augmentation de l’espérance de vie de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle, n’a pratiquement plus d’influence aujourd’hui vu le niveau très faible de la mortalité infantile. Au milieu du XXe siècle, les maladies infectieuses étaient encore la cause d’une partie importante des décès d’adultes et de personnes âgées, et leur recul a entraîné une aug- mentation sensible de l’espérance de vie des adultes. Mais, comme pour les enfants, la part de ces maladies dans la mortalité totale a beaucoup régressé et les gains à attendre de la poursuite de leur recul sont faibles. Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont désormais les princi- pales causes de décès (figure 2). Et ce sont les succès ren- contrés dans la lutte contre ces maladies qui ont permis à la mortalité des adultes et des personnes âgées de pour- suivre sa baisse à partir des années 1970, et à l’espérance de vie de continuer à augmenter. La mortalité due aux maladies du cœur et des vaisseaux a beaucoup diminué depuis un demi-siècle grâce à la « révo- lution cardiovasculaire » qu’ont constitué les progrès de la prévention et des traitements dans ce domaine [4]. Quant à la mortalité par cancer, qui avait augmenté, elle régresse maintenant grâce aux diagnostics plus précoces, à l’amé- lioration des traitements, et à la réduction des comporte- ments à risques comme le tabagisme. Le ralentissement des progrès de l’espérance de vie depuis une dizaine d’années est peut-être le signe que les retom- bées de la révolution cardiovasculaire sont en voie d’épui- sement. Et les progrès futurs pourraient dépendre de plus en plus de la lutte contre les cancers qui sont devenus la première cause de décès. Si celle-ci engrange les succès, les retombées en termes d’espérance de vie ont été moins spectaculaires jusqu’ici que celles liées à la révolution Figure 2. Évolution de la mortalité par causes de décès en France de 1925 à 2015 Sources : Inserm-Cepidc,Breton et al. 2018 [4] 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1925 1945 1965 1985 2005 Nombre annuel de décès (pour 100 000 habitants)* Maladies infecƟeuses et respiratoires Cancers Maladies cardiovasculaires *taux comparaƟf de mortalité uploads/Geographie/ 564-esperance-vie-france-2019-3-fr.pdf

  • 24
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager