LA RÉVOLUTION ARMÉE, LA RÉVOLUTION VICTORIEUSE : COMPRENDRE LA CONQUÊTE DE L’IN

LA RÉVOLUTION ARMÉE, LA RÉVOLUTION VICTORIEUSE : COMPRENDRE LA CONQUÊTE DE L’INDÉPENDANCE DE L’AMÉRIQUE LATINE Rafe Blaufarb Armand Colin | « Annales historiques de la Révolution française » 2018/3 n° 393 | pages 175 à 193 ISSN 0003-4436 ISBN 9782200931575 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution- francaise-2018-3-page-175.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Là-bas, 1815 marqua le début de l’escalade du conflit entre l’Espagne et ses colonies insurgées, une guerre qui pren- drait fin une décennie plus tard avec l’indépendance de l’Amérique latine. Mais alors que la fin de l’année 1815 se profilait, le combat pour l’indépendance latino-américaine semblait au bord de l’échec. Cependant, deux ans plus tard, les insurgés avaient repris l’initia- tive et commençaient leurs campagnes sur l’ensemble du continent, campagnes qui allaient mettre un terme au plus vaste et au plus ancien empire d’Europe. Cet article s’attache à l’un des facteurs de ce renversement de tendance en faveur des insurgés : l’importation massive d’un arsenal militaire provenant d’une Europe démobilisée. Non seulement, il permit d’armer les troupes de Bolivar et de San Martin mais, peut-être de manière encore plus capitale, il offrit aux insurgés un soutien politique populaire massif et enfin une nouvelle crédibilité. Mots-clés : Amérique latine, Bolivar, Espagne, indépendance, contrebande Introduction : 1815, année cruciale 1815 constitue une année sombre pour la lutte pour l’indépendance de l’Amérique latine. Lorsqu’elle s’acheva dans la douleur, la révolution (1) Traduit de l’anglais par Pascal Dupuy. ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE - 2018 - N° 3 [175-193] © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 176 RAFE BLAUFARB semblait à l’agonie. Les dernières braises avaient été éteintes par les élites créoles qui s’étaient jetées dans les bras du royalisme, en raison de la crainte de voir la Nouvelle-Espagne succomber à une révolution raciale et sociale à l’image des événements de Saint-Domingue. Sur la côte nord de l’Amérique du Sud, un corps expéditionnaire espagnol, composé de vétérans de la campagne d’Espagne, avait débarqué sur la Costa Firme [aujourd’hui le Venezuela et la Colombie] et mis en déroute les insurgés, obligeant, pour échapper à une mort certaine, Bolivar et la malheureuse poignée de ses partisans à fuir vers la Jamaïque et, de là, à rejoindre Pétion à Haïti. Dans la partie sud du continent, la République de Buenos Aires se trouvait dans une situation précaire, divisée en factions, désunie par des tendances opposées et fragilisée par une véritable incompétence militaire. En cette fin d’année 1815, pour la majorité des observateurs, la lutte pour l’indépendance de l’Amérique latine semblait avoir été « écrasée2 ». Toutefois, en deux ans, la situation allait être renversée de manière décisive et radicale. Dans l’extrême sud, San Martin et son armée traversent les Andes, libèrent le Chili et se préparent à une invasion héroïque du Pérou. Dans le nord du continent, Bolivar prend le contrôle du fleuve de l’Orénoque, haut lieu stratégique, et débute une série d’opérations militaires qui allaient connaître son apogée avec les victoires de Boyacá et Carabobo. La tendance est cette fois définitivement inversée. Mais comment expliquer un tel renversement de situation ? La question ne fut jamais posée en raison d’une approche socio-historique longtemps dominante fondée sur la longue durée et qui s’attachait principalement aux causes structurelles sous-jacentes qui auraient rendu l’indépendance inéluctable. De ce point de vue, les hauts et les bas de la lutte pour l’indépendance n’étaient que l’écume des vagues profondes de l’histoire. Toutefois, depuis les années 1990, on relève un éloignement de l’histoire sociale et un renouveau d’intérêt pour l’histoire politique de l’indépendance latino-américaine centrée principalement sur ses dimen- sions idéologiques et constitutionnelles (notamment l’adhésion populaire au royalisme), plutôt que sur les comportements des Libérateurs3. Ces (2) Jaime Edmundo RODRÍGUEZ ORDÓÑEZ, « The Process of Spanish American Independence » dans Thomas H. HOLLOWAY (dir.), A Companion to Latin American History, Malden, Wiley-Blackwell, 2008, p. 200. (3) Les travaux fondamentaux de ce tournant historiographique sont : Francois-Xavier GUERRA, Modernidad e Independencia : Ensayos sobre las Revoluciones Hispanicas, Madrid, Mapfre, 1992 et Jaime Edmundo RODRÍGUEZ ORDÓÑEZ, The Independence of Spanish America, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) LA RÉVOLUTION ARMÉE, LA RÉVOLUTION VICTORIEUSE... 177 nouvelles tendances ont permis de considérer la victoire finale de l’indé- pendance comme le résultat d’une lutte très incertaine, plutôt que les effets inévitables de processus sociaux tectoniques. Tout cela a également contri- bué à s’interroger sur la rapidité du reversement d’une situation pourtant très compromise et enfin sur la victoire finale des insurgés après 18154. Dans des tentatives de réponse qui ont fait suite à ces interrogations, certains ont suggéré que la répression royaliste brutale, en particulier celle perpétrée par les unités royalistes chevronnées de la force expéditionnaire qui avait pris la Costa Firme en 1815, avait poussé le peuple à s’insurger5. D’autres ont prétendu que l’abrogation de la constitution de Cadix par Ferdinand VII avait contribué au désenchantement pour la monarchie6. Mais les explications les plus convaincantes ont identifié un éventail de facteurs – l’oscillation des politiquesespagnoles de pacification, les rivalités au sein des autorités royalistes, les règlements de compte et l’inévitable ressentiment des civils provoqué par la présence de troupes affamées et mal payées – qui ont convergé pour saper les tentatives espagnoles de reprise en main de ses colonies insurgées7. Il ne fait pas de doute que tous ces facteurs ont contribué au retournement de situation dont bénéficièrent les insurgés après 1815. Toutefois, il reste un autre facteur que les historiens de l’indépendance latino-américaine n’ont pas entièrement envisagé : l’arrivée en Amérique espagnole d’un énorme arsenal militaire, d’hommes et d’armes, disponible au lendemain des guerres napoléoniennes. Cet apport permit d’intensifier les efforts militaires des insurgés, et de manière encore plus déterminante, d’obtenir un véritable soutien politique populaire. Le service des volontaires étrangers auprès des armées de Bolivar et de San Martin nous est à présent bien connu8. En revanche, alors que leur (4) Pour des exemples de travaux récents proposant des analyses complexes fondées sur l’interaction des événements militaires et politiques, voir Juan Luis OSSA SANTA CRUZ, Armies, Politics and Revolution, Chile, 1808-1826, Liverpool, Liverpool University Press, 2014 et Clément THIBAUD, Républiques en armes : les armées de Bolivar dans les guerres d’indépendance du Venezuela et de la Colombie, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2006. (5) Jaime Edmundo RODRÍGUEZ ORDÓÑEZ, op. cit., p. 206. (6) L’influence de la Constitution de 1812 sur les révolutions en Amérique espagnole a suscité un regain d’intérêt. Parmi de nombreuses publications récentes, voir Matthew BROWN et Gabriel PAQUETTE (dir.), Connections after Colonialism : Europe and Latin America in the 1820s, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 2013 et Manuel CHUST (dir.), 1812 : El Poder de la Palabra. America y la Constitucion de 1812, Madrid, Acción Cultural Española, 2012. (7) Pour une analyse prenant en compte des causalités multiples, voir l’ouvrage particulière- ment convaincant de Rebecca EARLE, Spain and the Independence of Columbia, 1810-1825, Liverpool, Liverpool University Press, 2000. (8) Sur les volontaires britanniques, voir Matthew BROWN, Adventuring through Spanish Colonies : Simon Bolivar, Foreign Mercenaries, and the Birth of New Nations, Liverpool, Liverpool © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Armand Colin | Téléchargé le 13/10/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 178 RAFE BLAUFARB action fut déterminante, nous en savons peu sur les volontaires étrangers ayant servi sur les centaines de navires corsaires commissionnés entre 1810 et 1830 par les forces insurgées de l’Amérique espagnole9. Certains d’entre eux étaient des vétérans de la Navy. D’autres avaient servi dans la marine impériale française uploads/Geographie/ ahrf-393-0175.pdf

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