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www.entraide.be 1 LA FACE CACHÉE D’ALIBABA Lise Delfosse Mai 2020 Analyse www.entraide.be 2 Le 5 décembre 2018, deux accords étaient signés. Le premier concerne l’aéroport de Liège et la filiale du groupe Alibaba, CAINIAO. Le but ? Implanter cette filiale autour de l’aéroport de Liège d’ici à 2021 afin de disposer d’un point d’ancrage sur le continent européen et ainsi permettre la livraison des colis internationaux dans un délai de 72 heures maximum. Le second est conclu entre Alibaba lui-même et le gouvernement fédéral belge. L’objectif de cet accord de coopération est d’aider les PME à vendre leurs produits dans le monde entier en réduisant les procédures douanières. À l’époque, personne ne parlait des éventuelles répercussions négatives sur le plan social, environnemental ou économique. Pourtant, depuis lors, la société civile (essentiellement liégeoise) s’organise pour dénoncer une implantation qui irait à l’encontre du développement durable. Ainsi est né le collectif Watching Alibaba et son slogan « Alibaba, on n’en veut pas ». Mais finalement, que craignent les détracteurs d’Alibaba ? Fondée en 1999, Alibaba est une multinationale chinoise de commerce électronique, premier concurrent de l’américain Amazon. Cette multinationale est le plus grand site de vente en ligne au monde à destination des entreprises et fonctionne dès lors selon le modèle économique « business to business » qui désigne l’ensemble des activités commerciales entre deux entreprises. L’implantation de la filiale logistique CAINIO a pour objectif premier l’accroissement de ses zones de vente et une livraison plus rapide à l’international. De l’emploi qui tue l’emploi ? L’arrivée d’Alibaba à Liège est souvent vantée pour le nombre d’emplois qu’elle devrait créer ; or, à l’heure actuelle, rien n’est moins sûr. Au départ, il était question de milliers d’emplois créés suite à l’implantation de la filiale CAINIO, mais à présent, il s’agirait plutôt d’environ 300 emplois1. Pour l’instant, aucune étude n’a été réalisée sur la qualité des emplois d’Alibaba, étant donné qu’il s’agit de sa première implantation en Europe. Cependant, un rapport2 a été réalisé concernant son concurrent américain Amazon, qui révèle que les tâches effectuées dans un de ces entrepôts en France ont des répercussions négatives sur la santé des travailleurs (stress, insomnies, etc.). En outre, certains employés relatent que la seule chose qui compte est la production, même si cela implique le non-respect des règles de sécurité. De plus, la surveillance des managers est telle que les interruptions pour aller aux toilettes sont contrôlées ainsi que les autorisations de parler. Dès lors, qu’en serait-il pour les employés d’Alibaba à Liège ? De plus, nous pouvons remarquer depuis quelques années déjà que de nombreux emplois se voient remplacés par des technologies toujours plus efficientes. Un rapport réalisé par le cabinet Oxford Economics révèle d’ailleurs que l’automatisation pourrait supprimer plus de 20 millions d’emplois industriels d’ici à 2030. La filiale du groupe Alibaba, CAINIAO n’est pas une 1 Plus d’informations : https://watchingalibaba.be/pourquoi/emploi-societe/#easy-footnote-bottom-3-669 2 Plus d’informations sur ce rapport : https://www.capital.fr/entreprises-marches/amazon-un-rapport-alarmant-sur- les-conditions-de-travail-a-montelimar-1285393 www.entraide.be 3 exception. En effet, le GRESEA (Groupe de Recherche pour une Stratégie Economique Alternative) l’explique dans son article « Arrivée d’Alibaba à Liège : cadeau pour l’emploi ? »3, 70% du travail réalisé dans les entrepôts de CAINIAO est effectué par des robots. Par conséquent, les emplois créés par l’arrivée d’Alibaba sont-ils réels et durables ? Accepter l’implantation d’Alibaba à Liège revient également à cautionner des milliers d’emplois de travail forcé en Chine. Nous le savons, pour ce qui est de la Belgique, la loi exige le respect des droits humains au niveau de l’emploi, mais les conditions de travail sont bien différentes pour les employés d’Alibaba sur le territoire chinois. En effet, être engagé chez Alibaba revient là-bas à s’exposer à 12 heures de travail par jour, 6 jours sur 74. Le directeur général du groupe Alibaba a d’ailleurs annoncé que ceux qui n’étaient pas prêts à travailler ce nombre d’heure- là ne devraient pas prendre la peine de postuler... Bon pour les PME et le commerce local, vraiment ? En outre, aux PME belges, les responsables d’Alibaba promettent un accès au marché de l’e- commerce grâce à leur plateforme de commerce en ligne. Cependant, pour prétendre au marché international, les entreprises doivent avoir une base solide et les ressources nécessaires. Dès lors, l’entrée sur le marché international s’adresse-t-elle à toutes les entreprises, ou s’agirait-il plutôt d’une aide accessible seulement aux entreprises déjà bien développées, donc pas si « petites » ou « moyennes » que cela, aux dépens des moins solides, qui risqueraient d’y laisser leur peau ? Une forme de sélection (pas du tout) naturelle ? L’accroissement des zones de ventes d’Alibaba au niveau mondial aurait également des répercussions sur les petits commerçants. Effectivement, cette plateforme en ligne offre une gamme presque infinie de produits à des prix imbattables : une concurrence plutôt déloyale pour les petits commerces locaux, déjà bien mis à mal par la multiplication des galeries commerciales et des hypermarchés. Et quand les commerces locaux ferment, les centres-villes se meurent et des emplois de qualité non délocalisables sont perdus. Les conséquences de l’activité d’Alibaba sur les commerces locaux n’ont pas encore été analysées, mais pour son concurrent Amazon, une étude réalisée par un député français a démontré qu’un emploi créé chez Amazon correspondait à 2 emplois perdus dans le commerce local. Dès lors, bien qu’Amazon ait créé 12 300 emplois en France, c’est sans compter les 20 200 commerces physiques qui ont disparu suite à la concurrence déloyale imposée par le géant de la vente en ligne. Or, Alibaba est une structure encore plus importante qu’Amazon ; les conséquences ne pourraient 3 Article complet : http://www.gresea.be/Arrivee-d-Alibaba-a-Liege-cadeau-pour-l-emploi 4 Voir article : https://korii.slate.fr/biz/996-jack-ma-alibaba-horaires-travail-cadence-infernale www.entraide.be 4 donc être qu’égales ou supérieures. Pourtant, et a fortiori depuis le début de la pandémie du Covid19, on observe de plus en plus un changement d’habitudes chez nombre de citoyens belges. Ils se tournent désormais davantage vers les commerçants locaux et les petits producteurs et artisans afin de les soutenir face à la concurrence des grandes enseignes et du commerce électronique. Ne serait-il donc pas paradoxal d’implanter la filiale d’une multinationale à Liège et d’aller ainsi à contre-courant de cette tendance positive pour l’emploi et l’écologie ? Mauvais pour le climat ? Des conséquences environnementales sont en effet également à prévoir5. Pour commencer, lors de la signature du contrat entre l’aéroport de Liège et CAINIAO, la filiale d’Alibaba a prévu la construction, à terme, d’une surface bétonnée de plus ou moins 380 000 mètres carrés, soit l’équivalent de 84 terrains de football. La construction de cet entrepôt se ferait de plus au détriment de terres agricoles, déjà de moins en moins nombreuses aujourd’hui. En outre, nous savons qu’actuellement, environ 500 camions circulent chaque jour aux alentours de la ville de Liège et de l’aéroport. Avec la mise en place de cette société à Liège, on estime une augmentation de 1500 camions par jour, portant au total de 2000 camions6. Nous le savons déjà, le trafic routier est saturé, ce qui engendre de la pollution, des gaz à effet de serre et de nombreux embouteillages chaque jour. La mise en circulation de 1500 camions supplémentaires ne ferait qu’aggraver cette situation. En ce qui concerne le nombre de vols, on estime que l’arrivée de CAINIO engendrerait 40 vols supplémentaires par heure. Or, qui dit augmentation du nombre de transports dit également augmentation considérable de l’émission de gaz à effet de serre. Pierre Ozer, climatologue et chargé de recherche àl’université de Liège, l’explique très bien7 : depuis que l’aéroport de Liège s’est spécialisé dans l’e-commerce, le nombre de colis traités annuellement est passé de 380 000 à 360 millions. Au quotidien, le CO2 émis par l’aéroport de Liège représente les émissions annuelles de 400 citoyens wallon. L’arrivée d’Alibaba à Liège ne ferait qu’accroître ces émissions puisqu’on estime que, si les choses évoluent ainsi, l’aéroport de Liège émettrait plus de CO2 que la Wallonie entière, autrement dit autant que plus ou moins 3,6 millions de 5 Voir en détails : https://watchingalibaba.be/pourquoi/environnement/#easy-footnote-bottom-6-595 6 Luc Partoune, directeur de l’aéroport de Liège indique : "Il est clair que c’est l’un des enjeux majeurs, avec le trafic camion notamment, explique Luc Partoune. Pour l’instant, nous sommes à 400 à 500 camions par jour autour de l’aéroport et on devrait atteindre 2 000 camions par jour. Le danger de saturation, à Loncin notamment, est donc bien présent." 7 Voir sa vidéo : https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=_LO4W_BzhbI&feature=emb_logo www.entraide.be 5 citoyens. Pierre Ozer indique également que les efforts fournis jusqu’ici grâce aux énergies vertes telles que les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques pourraient être réduits à néant avec l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre de l’aéroport de Liège. Pourtant, en 2015, lors de la COP21 à Paris, la Belgique signait l’Accord de Paris sur le climat. Elle s’engageait dès lors à réduire sa part de gaz à effet de serre ainsi qu’à contribuer à la lutte contre l’élévation de la température de plus de 1,5°C. Le contrat signé avec Alibaba va donc à l’encontre de cet accord sur le climat. De plus, en septembre 2015, uploads/Geographie/ analyse-13-alibaba.pdf
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- Publié le Mar 28, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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