Cahiers de la Méditerranée 73 | 2006 Les frontières dans la ville Le commerce a

Cahiers de la Méditerranée 73 | 2006 Les frontières dans la ville Le commerce alimentaire Lyonnais au XVIIème siècle : une économie de la frontière ? Anne Montenach Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cdlm/1783 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2006 Pagination : 219-231 ISSN : 0395-9317 Référence électronique Anne Montenach, « Le commerce alimentaire Lyonnais au XVIIème siècle : une économie de la frontière ? », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 73 | 2006, mis en ligne le 20 octobre 2007, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/1783 Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019. © Tous droits réservés Le commerce alimentaire Lyonnais au XVIIème siècle : une économie de la frontière ? Anne Montenach 1 Depuis les travaux de Jean-Claude Perrot, puis ceux de Bernard Lepetit et de Marcel Roncayolo, l’espace urbain n’est plus envisagé comme un simple décor, un cadre passif « indifférent à l’action », mais comme une production sociale. Cet espace n’est jamais neutre. Il est en effet modelé par les pratiques et les comportements des acteurs en même temps qu’il détermine leurs manières d’agir au quotidien1. 2 Je m’intéresserai ici plus spécifiquement aux usages et aux productions de l’espace marchand, à travers l’étude du petit commerce alimentaire lyonnais au XVIIe siècle. La question de la frontière apparaît comme un point d’entrée particulièrement stimulant, dans la mesure où elle invite d’une part à mener une approche à plusieurs niveaux, de l’autre à interroger les « espaces frontières » de et dans la ville non seulement en tant que constructions spatiales et institutionnelles, mais aussi comme lieux de pratiques sociales spécifiques. 3 Je montrerai dans un premier temps que les lieux de l’échange sont avant tout des espaces poreux : l’activité ne cesse encore, dans la ville du XVIIe siècle, de s’en échapper. Je me placerai ensuite à l’échelle, non plus de la rue ou du quartier, mais de la ville dans son ensemble pour tenter de mieux saisir les enjeux économiques qui sous-tendent la redéfinition des frontières administratives de la cité, tout en essayant d’approcher les pratiques spécifiques de contournement qu’engendrent ces espaces frontières situés entre la ville et ses « faubourgs ». Je m’attacherai enfin, dans un dernier temps et en revenant à une échelle plus fine, à la question de la « fabrique » de la frontière, de sa production et de sa négociation, autour des tentatives consulaires d’enfermement des activités marchandes et des résistances à ce nouvel ordre spatial. I - Les lieux de l’échange, des espaces poreux 4 Non seulement, dans la ville d’Ancien Régime, la délimitation et la définition même des espaces traditionnels de l’échange – boutiques et marchés – demeurent floues, mais ces Le commerce alimentaire Lyonnais au XVIIème siècle : une économie de la front... Cahiers de la Méditerranée, 73 | 2006 1 lieux sont des espaces poreux d’où l’échange s’échappe et qu’il déborde en permanence. La matérialité du tissu urbain, l’architecture même de la ville déterminent ainsi des pratiques marchandes et des usages spécifiques de l’espace. 1 - Les « débordements » de la boutique 5 Les inventaires après décès montrent que se côtoient bien souvent, dans l’espace de la boutique, des éléments relevant aussi bien de la vie privée que de la vie professionnelle. Rien d’étonnant à cela lorsqu’on sait que l’entassement des habitants est une caractéristique fondamentale de la vie lyonnaise à l’époque moderne : un quart des logements sont, au XVIIe siècle, constitués d’une pièce unique et par nécessité plurifonctionnelle2. Par manque d’espace, l’activité professionnelle a aussi tendance à empiéter sur le reste du logement, voire de l’immeuble ou de la rue. 6 Tant que l’activité en question n’incommode pas le voisinage, les archives en conservent généralement peu de traces. Lorsqu’à l’inverse c’est tout un immeuble, voire un quartier, qui subit les nuisances de métiers plus ou moins polluants, les plaintes ne manquent pas. Les fromagers se voient ainsi interdire, en 1640, de « tenir leurs fromages en des caves ou endroits dont l’odeur puisse incommoder les voisins »3. Mais ce sont essentiellement les métiers liés à la viande qui font l’objet d’une vindicte unanime. L’absence de pièces annexes à la boutique chez un certain nombre de bouchers pose en effet de réels problèmes d’hygiène, puisque leurs activités « débordent » constamment dans les rues, les cours et autres parties communes des immeubles. Les règlements exigeant que les animaux entrent vivants en ville, et Lyon n’étant pas dotée d’abattoirs, les bêtes sont généralement tuées sur des plots qui encombrent les voies étroites des quartiers Saint- Paul et Saint-Georges4. Quand il n’est pas conservé, le sang est versé dans la rue, les « ventrailles » et autres ordures jetées dans la fontaine la plus proche ou sur les berges de la Saône5. En 1633, les échevins évoquent ainsi les « grandes infections que reçoivent les pauvres malades » de l’Hôtel-Dieu du fait des « immondices et ventrailles de bestiaux » que les bouchers abandonnent sur les berges du Rhône où ils pourrissent sur les graviers, alors qu’ils devraient les jeter dans le courant du fleuve6. 7 Si les métiers de la viande ont ainsi tendance à empiéter, d’une manière particulièrement frappante pour les contemporains, sur l’espace environnant leurs échoppes, il n’en reste pas moins que la plupart des boutiques « débordent » elles aussi matériellement sur l’espace public. Là encore, les inventaires après décès mentionnent à l’occasion les différents éléments par lesquels la boutique avance sur la rue : bancs faisant office d’étals, « montres » ou étalages, râteliers, etc. En 1666, les mesures de voirie prises en prévision des processions de la Fête-Dieu et de la Saint-Jean évoquent ainsi les particuliers qui ont « en saillie sur rue des etaux, bancs, establis, hauvens, rateliers […], fausses veues en avance prohibées par les ordonnances et autres choses generallement excedans plus de trois poulces les corps des murs »7. 8 Le manque de place dans les rez-de-chaussée et les cours s’allie ici à la volonté d’attirer le chaland, pour expliquer ces pratiques héritées de la ville médiévale qui transforment la rue en « une annexe du logis et de l’atelier »8. 2 - Aux marges des marchés 9 Comme les boutiques, les marchés « débordent » eux aussi fréquemment des limites que les autorités municipales s’évertuent à leur fixer. Les abords de chaque marché semblent, en effet, constituer des zones d’attraction privilégiées pour toutes sortes de marchands qui, pour des raisons variées, préfèrent se tenir en dehors plutôt qu’à l’intérieur de celui- ci. Le commerce alimentaire Lyonnais au XVIIème siècle : une économie de la front... Cahiers de la Méditerranée, 73 | 2006 2 10 Chaque marché est pourtant délimité avec précision : en l’absence de barrières, le repérage se fait par rapport au bâti environnant (puits, maison, monument). A Saint-Just, les pierres qui marquent place de la Croix de Colle les limites du marché au bétail sont symboliquement arrachées en 1613, lors de son transfert hors des murs de la ville, pour être replantées sur son nouvel emplacement9. La concentration des échanges en des lieux bien délimités a évidemment pour objectif de faciliter le contrôle des prix et de la qualité des denrées, ainsi que la perception des taxes sur les échanges. 11 Dans la réalité, un phénomène de vente « sauvage » s’observe en marge de la plupart des marchés institutionnalisés, dont les abords immédiats constituent de puissants pôles d’attraction pour un certain nombre de marchands. Ces derniers bénéficient plus ou moins directement des structures officielles de l’échange tout en échappant aux formes de contrôle évoquées plus haut. Les marchands forains qui préfèrent vendre leur bétail le long du Chemin Neuf, à proximité du marché officiel de Saint-Just mais hors de celui-ci, cherchent sans doute à la fois à se soustraire au paiement du droit de place et à pouvoir éventuellement tricher sur la qualité des animaux vendus. Qu’ils soient originaires de Bresse, du Beaujolais ou de Savoie, ces forains – qui, pour certains, vendent des « pourceaux ladres » – prétendent généralement pour leur défense ne rien savoir des ordonnances « parce qu’ils sont étrangers » et s’être mis là « parce qu’il[s] y en [ont] vu d’autres et qu’il y en a ordinairement »10. 3 - L’espace public envahi 12 Plus largement, ce sont tous les espaces ouverts de la ville – rues, places, ponts, carrefours – qui sont envahis par l’échange. La grande ordonnance de police de 1640, comme celle qui, un quart de siècle plus tard, prend des mesures de voirie en prévision des processions du jubilé, évoquent ainsi longuement les « revendeurs, revenderesses, fruitieres, herbieres, poissonnieres, merlucheres et autres qui estalent en public dans les rues »11. Si ces textes réglementaires donnent l’impression d’un encombrement aussi général que désordonné, le choix que font individuellement ces petits marchands de se placer à tel ou tel endroit n’a, en réalité, rien d’arbitraire. S’installer à la porte d’une boutique ou d’une auberge donne par exemple uploads/Geographie/ anne-montenach.pdf

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