THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS –

THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS – Wallonie-Bruxelles, pp. 142-151, ISBN 978-2-9600205-3-3 ARCHITECTURE DE TERRE LA CONSERVATION ET L’AVENIR Maria Fernandes Architecte En 1981, l’exposition « Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire, Europe, Tiers-Monde, Etats-Unis1 » était présentée au Centre Georges Pompidou à Paris. Dans l’avant-propos du catalogue « Bâtir en Liberté », Jean Dethier, responsable de l’événement, définit l’ouvrage comme « entièrement consacré aux architectures anciennes et contemporaines, élévées dans le monde, en terre crue»2. Par « architectures » s’entend l’architecture patrimoniale et contemporaine, par « terre crue », les matériaux qui utilisent la ressource terre seulement séchée au soleil. L’exposition a eu un énorme impact : six millions de visiteurs en six ans, dans différents pays. Simultanément, le catalogue traduit en différentes langues devint rapidement une référence mondiale sur le thème « terre ». Pendant les années ’80, le propos de l’exposition « Des architectures de terre » a été considéré comme la solution, un défi pour l’insoluble problème de la construction mondiale excessivement dépendante des énergies fossiles. L’apparition en parallèle des architectures « contemporaines » et « historiques » bâties en terre, sans aucune structure et matériau complémentaires, impensables auparavant, a interpellé certaines notions et idées préconçues, héritières de l’international style, considérant le béton et le ciment comme uniques systèmes et matériaux adéquats dans le monde. Le catalogue énumère deux grands avantages et un principe très convaincant pour l’usage de la terre comme matériau de substitution du ciment et de la brique cuite. Le premier concerne l’économie d’énergie car aucune ressource ne se perd dans la transformation et le transport des matériaux en raison de la manufacture et de la construction in situ. Le deuxième a trait à l’indépendance économique et politique des pays dits du Tiers-Monde, classiquement exposés à la pression des holdings, des banques et à la consommation de produits et équipements importés pour la construction de l’habitat et l’urbanisation. Le troisième est relatif à l’autonomie culturelle, économique et technologique procurée au moment de l’édification complètement libre d’importations 3. Actuellement, les architectures de terre sont confrontées à de nouvelles difficultés4 et des problèmes récents : changements climatiques, perte des savoir-faire locaux affectent et déstabilisent les villes et bâtiments en terre5. D’une part, la mécanisation et l’industrialisation croissantes des systèmes de construction en terre, d’autre part la menace de discontinuité et de déséquilibre dans les pratiques de construction dans les continents africain (Fig. 1) et asiatique, contaminés par l’utilisation des matériaux occidentaux non adéquats, sont aujourd’hui des réalités impensables il y trente ans. Les attentes des années 1970, économie d’énergie, indépendance financière et autonomie des décisions, étaient partiellement atteintes au début du XXIe siècle en Europe, Amérique et Océanie. Par contre, dans les continents africain et asiatique, les mêmes défis se sont heurtés à l’invasion culturelle occidentale en matière de construction, responsable d’influences négatives et même de la disparition des traditions constructives ancestrales. THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS – Wallonie-Bruxelles, pp. 142-151, ISBN 978-2-9600205-3-3 Figure 1 – Djenné, Mali. Transformations dans l’architecture des maisons. Maria Fernandes, 2008. Face aux nouvelles menaces et difficultés, les architectures de terre, à tendance plus contemporaines et chaque jour plus difficiles à préserver, cherchent des solutions pour l’avenir et déterminent des enjeux pour le futur proche. Depuis trente ans, le monde a considérablement changé; actuellement, les établissements, communautés, techniciens, constructeurs et autres partenaires s’organisent en institutions, organisations et réseaux internationaux6 autour de programmes qui visent encore les objectifs de l’exposition de 1981 : la promotion et la préservation d’une tradition millénaire. Des techniques et de l’art de bâtir en terre Pour mieux comprendre la construction en terre, à partir des années ‘70, un groupe d’étude dénommé CRAterre7 illustre les méthodes de construction dans la roue des techniques8. L’objectif est d’identifier les différentes manières d’utiliser la terre pour bâtir, dans un lexique commun partagé par toutes les langues et les cultures. Dans ce diagramme symbolisé par la roue, douze techniques principales sont identifiées et réparties en: - cinq différents états hydriques, selon la quantité d’eau ajoutée à la terre : terre sèche, humide, plastique, visqueuse et liquide; - trois différents modes d’utilisation de la terre, soit pour une construction monolithe élevée directement en place, soit maçonnée avec un matériau préalablement manufacturé, soit dans une structure déjà élevée pour laquelle la terre sert de matériau secondaire pour le remplissage et la protection (fig. 2). Les techniques de construction en terre sont variées et les possibilités constructives découlent en partie des états hydriques du matériau terre lors de sa mise en oeuvre7. Mais aujourd’hui, dans le panorama international, que peut-on observer concernant les techniques? Elles évoluent et se modifient, mais les méthodes restent-elles toujours les mêmes ? Le développement est-il visible ; de nouvelles méthodes apparaissent-elles ou au contraire restent-elles toujours les mêmes ? THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS – Wallonie-Bruxelles, pp. 142-151, ISBN 978-2-9600205-3-3 Monolithique Maçonnerie Structure Terre sèche 0-5%* 1-terre creusée 4- mottes de terre 4-blocs découpées 2-terre couvrante 3-terre remplissant Terre humide 5% - 20%* 1-terre creusée 5-terre comprimée, pisé 4-mottes de terre 4-blocs découpées 5-blocs comprimée, BTC 5-blocs pilonnés 2-terre couvrante 3-terre remplissant Terre plastique 15% - 30%* 6-terre façonnée 7-terre empilée 8-adobe mécanique 8-adobe manuel 8-adobe formé 9-terre extrudée 10-bauge sur poteaux 10-terre garnissage Terre visqueuse 15% - 35%* 8-adobe mécanique 8-adobe manuel 8-adobe formé 9-terre extrudée 10-bauge sur poteaux 10-terre garnissage Terre liquide supérieure à 35%* 11-terre coulée 12-terre paille Figure 2 – Tableau des techniques de construction en terre. Douze méthodes différentes de mise en œuvre du matériau terre. *teneur en eau. En synthèse, on peut dire qu’il y a un développement technologique, partout inégal, et simultanément, il y a des méthodes qui sont abandonnées ou seulement utilisées en conservation du patrimoine, par exemple la terre creusée. Figure 3 – Pays Dogon, Mali. Terre façonnée. Maria Fernandes, 2008. Des méthodes sont encore en usage mais en voie de disparition, comme les blocs découpés, les mottes de terre, la terre empilée, la terre façonnée (fig. 3) et l’adobe manuel ; des techniques sont encore utilisées, comme l’adobe en forme (fig. 4 et 5) ; d’autres méthodes sont en évolution ou changent, se mécanisent et s’industrialisent, comme le pisé qui tend à se mécaniser (fig. 6), la terre de garnissage commercialisée déjà préfabriquée et des dérivés qui THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS – Wallonie-Bruxelles, pp. 142-151, ISBN 978-2-9600205-3-3 n’existaient pas comme les récents tecnobarro et quincha metálica chiliens, techniques mixtes en structure métallique et terre projetée. Figure 4 – L’adobe en forme, Oliveirinha, Aveiro Portugal. Recréation de la production communautaire, aujourd’hui abandonnée. Maria Fernandes, 2007. Figure 5 – L’adobe en forme, Bichinho, Minas Gerais, Brésil. Producteur d’adobe. Maria Fernandes, 2006. Aujourd’hui, on connaît mieux les techniques de construction en terre et la résistance mécanique des structures en terre, en raison du grand développement de la construction neuve, de la recherche universitaire et des programmes internationaux, comme Terra [In]cognita, Earthen Architecture in Europe, un projet financé par l’Union européenne dans le cadre de Culture 2000, Earthen Architecture Iniciative du Getty Conservation Institute et le WHEAP, Programme du patrimoine mondial pour l’architecture de terre. L’avenir des techniques en terre et leur maintien comme système de construction sont assurés : la méthode traditionnelle, la préfabrication et l’industrialisation, pour l’architecture historique ou contemporaine, sont aujourd’hui une réalité en constante progression. Certaines méthodes rencontrent plus de succès que d’autres. La mise en œuvre du pisé, par exemple, est fortement facilitée de nos jours par la mécanisation de compression de la terre, combinée à la possibilité d’ajouter des matériaux recyclables ; les résultats esthétiques de la construction plaident pour l’utilisation de cette technique sur tous les continents. THEMA & COLLECTA asbl, nº 2, 2012 Documentation du patrimoine Edition: ICOMOS – Wallonie-Bruxelles, pp. 142-151, ISBN 978-2-9600205-3-3 Figure 6 – Vidigueira, Portugal. Pisé contemporain, bâtir la terre avec pisé mécanisé. Maria Fernandes, 2007. La technique moderne du BTC, ou briques de terre compactée, déjà imaginée au XVIIIe siècle par François Cointeraux dans ses cahiers9 et créée en 1952 par l’architecte colombien Raul Ramirez, avec la première presse manuelle Cinva-Ran, est vraiment une technique de futur. La production industrialisée atteint aujourd’hui 50 000 unités par jour. Le BTC offre la possibilité, au départ de terre et à l’aide d’une presse manuelle, mécanique ou hydraulique, de produire sur site de 300 à 800 unités par jour, de coût réduit. Par ailleurs, les techniques historiques de terre en garnissage et de la bauge sur poteaux sont difficilement modernisables. Cependant, les torchis métalliques chiliens, nouvelles variantes déjà mentionnées, très efficaces dans les régions sismiques et les matériaux commercialisés par Claytec sous l’appellation de fachwerksanierung, sont des nouveautés dans ce domaine. Les murs en structure de bois et remplissage en terre sont accessibles dans le commerce pour l’auto- construction. Faites vous-mêmes votre maison, telle est la devise de la standardisation préconisée par les entreprises d’Europe centrale et septentrionale. Mais le monde de uploads/Geographie/ architecture-de-terre-la-conservation-e.pdf

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