Armature urbaine du Maroc : Mutations contemporaines INTRODUCTION Le Maroc n'a

Armature urbaine du Maroc : Mutations contemporaines INTRODUCTION Le Maroc n'a connu la colonisation directe qu'en 1330H/1912. Toutefois, la pénétration économique étrangère avait commencé au milieu du 13e siècle de l'hégire (milieu du 19e siècle), époque à laquelle on situe généralement le début de la période pré-coloniale. Pour notre part, nous estimons impératif de faire remonter cette période au minimum jusqu'à la fin du règne fort du sultan alaouite Moulay Ismaïl [1]. Nous nous plaçons, en cela, dans la perspective de l'analyse établie par le penseur Malek BENNABI [2]. 1° LA PERIODE PRECOLONIALE "Centré sur sa seule personne, l'édifice créé par Moulay Ismaïl s'effondra à sa mort en 1727 (1139H)." Abderrahim BENHADDA [3] Cette période s'étend de la mort de Moulay Ismaïl jusqu'à la signature du traité de 1272H/1856 [4], et comprend trois phases : • "Al Fatra" (Intervalle), laquelle est une phase de relâchement de l'autorité makhzanienne, engendrant une anarchie politique, sociale et économique (1139H- 1170H/1727-1757), • une deuxième phase qui commence avec le début du règne de Mohammed III et se termine par l'entrée des Français en Algérie (1170H-1245H/1757-1830), • une troisième phase qui s'étend de 1245H/1830 à la signature du traité de 1272H/1856. a - Al Fatra A sa disparition, Moulay Ismaïl légua à ses successeurs un lourd héritage. En effet, sa mort mit en évidence de nombreux problèmes : • tout d'abord, la formation d'une armée prétorienne d'esclaves noirs ('Abid al Boukhâri: les Bouakhers) l'avait, certes, lié à la personne du souverain (condition primordiale dans un pays soumis souvent à des troubles intérieurs ou à des guerres extérieures), mais privait néanmoins son pouvoir d'une véritable assise sociale, tout en le condamnant à demeurer fort pour être en mesure de la maîtriser [5] ; • ensuite, la marginalisation des zaouïas, entreprise par Moulay Ismaïl, privait Al Makhzen d'un soutien qui pouvait se révéler efficace en temps de crise [6] ; • et enfin, la constitution de l'armée a privé les campagnes de leur main-d'oeuvre servile, ce qui a entraîné une chute de production. Sans compter que l'effectif même de cette armée, cent cinquante milles, représentait un danger latent pour le Makhzen lui-même. De fait, la disparition du seul souverain qui possédait suffisamment de poigne pour la maîtriser fera que l'armée se posera comme véritable successeur du défunt [7]. Pourtant, les Bouakhers prendront bien garde à ne pas renverser la dynastie, de la sorte la situation se présentait de manière tout à fait différente de celle qui avait prévalu au temps des Mamelouks d'Egypte par exemple. En effet, si les analogies sont nombreuses, il demeure que les Bouakhers avaient affaire à une dynastie de chorfas ayant un grand ascendant sur les Marocains, et qu'un coup d’état aurait eu très peu de chance de porter ses fruits, du fait de la complexité de l'organisation sociale du pays : puissantes confédérations de tribus, zaouïas, villes frondeuses... (et cela contrairement à l'Egypte qui était organisée de manière relativement centralisée et monolithique, ce qui facilitait d'autant l'installation d'un pouvoir à la place d'un autre, et permettait qu'une force suffisamment grande apparaisse pour usurper le trône, ce qui était arrivé avec les Mamelouks entre autres). Ce qui révèle la coupure entre l'armée, soutien du pouvoir, et la société. La révolte des Bouakhers s'explique par le fait que ceux-ci ont été privés au lendemain de la mort de Moulay Ismaïl des impôts collectés dans les villes et chez les tribus, impôts sur lesquels vivait l'armée de professionnels qu'ils constituaient . En effet, suite à l'affaiblissement de l'autorité centrale, la plupart des régions du pays avaient refusé de payer l'impôt. Durant cette phase, les mouvements des tribus se poursuivirent des montagnes vers les plaines. Ces tribus ont su tirer profit du fait que l'armée des Bouakhers avait déserté les kasbas. Elles cherchaient également à investir les régions côtières afin d'avoir leur part du commerce avec l'Europe. Pour ce qui est des Aït Atta, par exemple, ceux-ci "... revinrent à une existence semi-nomade et partirent à la recherche d'oasis à occuper... ils tirèrent, par ailleurs, profit de la route commerciale reliant Fès à Sijilmassa ; la prospérité de cet itinéraire restait liée à la centralisation du pouvoir et au maintien de la sécurité et de la stabilité... la crise politique et générale que connaissait le Maroc aggrava encore la situation et entraîna la faiblesse du contrôle commercial transsaharien auquel l'échange régional était lié organiquement." [8]. Les deux capitales Fès et Marrakech seront ravagées par la guerre civile et l'anarchie. ) A partir de 1158H/1746, et sous l'impulsion du prince Mohammed (futur Mohammed III), les commerces atlantique et saharien retrouvèrent une certaine vitalité. La réunification du pays sous la même autorité, celle de Mohammed III, consacra la fin de la crise en 1170H/1757. b - Les premières pressions occidentales : Le sultan Mohammed III (1141-1171H/1757-1790) parvint à neutraliser les Bouakhers et partant à tenir l'armée. Il entreprit de consolider les assises du Makhzen et de développer le commerce extérieur dans le but de se ménager de nouvelles ressources et de renflouer les caisses de l'Etat (Bayt al mal). En effet, les levées d'impôt nécessitaient presque toujours des expéditions militaires. Or, il s'agissait d'entreprises onéreuses, dangereuses et d'efficacité incertaine ; et cela d'autant plus que le pouvoir des zaouïas s'était renforcé après la disparition de Moulay Ismaïl [9]. Aussi, Mohammed III pensa-t-il se ménager de nouvelles ressources par les droits prélevés sur les marchandises provenant de l'étranger. Il réduisit les taxes douanières afin d'attirer les négociants étrangers et abolit l'impôt ('Achor) dans tous les ports atlantiques. Toutes ces mesures ont été prises dans l'objectif de briser le monopole anglais, devenu effectif durant la phase précédente, à cause notamment des nombreux traités conclus avec la Grande-Bretagne. Afin de renforcer cette politique de "la porte ouverte", le Makhzen entreprit la restauration d'Anfa en 1174H/1760 (détruite par le séisme de 1169H/1755), la reconstruction d'Essaouira en 1179H/1765 et l'inauguration du port de Fedala (l'actuelle Mohammedia) en 1180H/1766. La fondation d'Essaouira introduisit une nouvelle forme d'action sur l'espace. Il s'agissait non seulement d'une action volontariste -ce qui n'était pas nouveau- mais surtout d'une approche de planification à la mode occidentale [10]. Les raisons de cette fondation sont, d'une part, la volonté de concurrencer le port d'Agadir, aux mains des rebelles du Souss, d'autre part, d'aménager un port pour la course, utilisable durant toute l'année (conditions de navigation très favorables pendant toutes les saisons). Après que les Français eurent attaqué et saccagé Larache en 1178H/1765, le souverain Mohammed III reconstruisit cette ville la même année et la fortifia. La reprise d'El Jadida aux mains des Portugais en 1180H/1769 vint renforcer ce système portuaire. Le commerce caravanier continua son déclin ; désormais, il ne représentera plus que 10 % des ressources du Makhzen. Et dans le cadre de la lutte contre les tribus, le sultan en déplaça certaines d'une région à une autre. Pourtant tous ces efforts ne purent renverser une tendance à la déstructuration du système urbain marocain. En effet, les villes furent abandonnées par leurs populations suite à une succession de calamités naturelles s'étalant sur plusieurs années. On assista alors au retour accéléré à la vie nomade de groupements récemment sédentarisés. La poussée tribale se poursuivit du sud vers le nord sous forme d'une lente et irrésistible infiltration [11]. A la mort de Mohammed III, le pays est de nouveau morcelé et va connaître une période de troubles qui s'étendra de 1206 à 1211H (1792 et 1797). Le règne de Moulay Slimane inaugura une nouvelle orientation de la politique du Makhzen, radicalement opposée à celle de son prédécesseur[12]. En effet, le souverain entamera une nouvelle approche des relations avec l'Europe qui se caractérisait par la fermeture quasi-totale du Maroc à toute influence ou pénétration étrangère. L'expédition de Bonaparte en Egypte (1212H/1798) amena le sultan Moulay Slimane à adopter une politique d'autarcie et de prudence vis-à-vis de l'Europe. La présence de la flotte anglaise à Gibraltar participa à la coupure économique et commerciale du Maroc avec les pays européens, principalement la France et la Hollande. De fait, cette politique d'autarcie sera contrecarrée par des notables qui établirent clandestinement des rapports commerciaux avec les étrangers, ce qui préfigurait ce qui allait se passer à une plus grande échelle -et au grand jour- quelques décennies plus tard. Le Makhzen prit diverses initiatives afin de limiter ces relations commerciales, notamment en élevant les droits de douane et en imposant en 1220H/1805 aux consuls européens de ne résider qu'à Tanger. Ces initiatives amenèrent une chute réelle des échanges avec l'Europe et entraînèrent une stagnation des ports, notamment ceux de Tanger, de Larache, de Rabat et de Salé (pénalisée de surcroît par le coup d'arrêt porté à la course en l'an 1233H/1818) et même la disparition d'Al Mehdia en 1209H/1795. Toutefois, cette politique de la "porte fermée" n'englobait pas l'Afrique Noire et l'Orient arabe, contrées avec lesquels les relations économiques et commerciales furent même renforcées. Ces mesures profiteront en grande partie aux zaouïas situées sur les voies caravanières telles que, par exemple, les zaouïas Derqaouia et Ouazzania. Les tribus uploads/Geographie/ armature-urbaine-du-maroc.pdf

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