Jacqueline Beaujeu-Garnier Méthode d'étude pour le centre des villes In: Annale

Jacqueline Beaujeu-Garnier Méthode d'étude pour le centre des villes In: Annales de Géographie. 1965, t. 74, n°406. pp. 695-707. Citer ce document / Cite this document : Beaujeu-Garnier Jacqueline. Méthode d'étude pour le centre des villes. In: Annales de Géographie. 1965, t. 74, n°406. pp. 695- 707. doi : 10.3406/geo.1965.18400 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geo_0003-4010_1965_num_74_406_18400 Méthode ďétude pour le centre des villes par Jacqueline Beaujeu-Garnier Le « centre » occupe dans la ville une place à part. L'étude des phéno mènes complexes qui le caractérisent appartient au domaine propre de la géographie, mais la connaissance de ces phénomènes est fondamentale pour l'urbaniste aussi bien que pour l'économiste ou le simple utilisateur. C'est une « zone critique » où s'opposent les intérêts les plus divers : dans nos villes du vieux monde, c'est souvent un espace resserré où convergent paradoxalement les flots de circulation les plus intenses, un agglomérat entassé où toutes les affaires veulent trouver place, un lieu qui nécessite des aménagements pour être adapté aux conditions de la vie moderne et où s'affrontent de tels intérêts que tous les projets sont mille fois remaniés et bien souvent les plans les plus raisonnables comme les plus audacieux restent lettre morte. Les célèbres débats autour de la transformation du quartier des Halles à Paris, le déplacement envisagé (et qui n'aura jamais lieu) de la gare centrale de Lille en sont des exemples trop connus... Il parait donc important d'inciter les géographes à entreprendre des enquêtes systématiques sur ce sujet. Ils pourront ainsi donner des avis per tinents dans un domaine particulièrement intéressant et utile. I. ÉTAT DES RECHERCHES GÉOGRAPHIQUES A. La tendance descriptive française Jusqu'à maintenant les géographes français n'ont pas spécialement porté leur effort sur une étude systématique des centres urbains. Ils se sont con tentés de descriptions plus ou moins générales en se référant fréquemment à l'exemple de la City de Londres, devenue le modèle classique européen dont les caractéristiques les plus immédiatement perceptibles sont bien connues. 696 ANNALES DE GÉOGRAPHIE Les allusions au « centre » sont présentes dans toutes les monographies urbaines, mais elles ne sont jamais appuyées sur des données précises chif frées, ni sur des critères objectifs susceptibles de permettre la délimitation systématique de cette partie des villes et par conséquent des études compar atives sérieuses et des analyses détaillées rendant possible, par exemple, la constatation d'une évolution spatiale et fonctionnelle en rapport avec cer taines formes de transformation urbaine. Il y a plusieurs raisons à cette carence : une formation trop purement littéraire qui est précieuse pour l'appréhension directe et la vision extérieure, mais qui manque de rigueur ; la faiblesse de nos publications statistiques : sauf en ce qui concerne les éléments démographiques et certaines données sommaires sur l'habitat, nous manquons totalement de renseignements fac ilement accessibles, que ce soit sur l'utilisation des volumes bâtis, sur le prix des terrains, sur les chiffres d'affaires, sur le montant de telle ou telle presta tion de service ; enfin, la structure de nos villes où les îlots sont irréguliers, les circonscriptions administratives (comme les quartiers ou les arrondis sements) hétérogènes, l'évolution historique compliquée et aboutissant à la juxtaposition de morceaux de ville de caractères physiques opposés et de fonction économique analogue, ce qui ne favorise guère l'établissement de critères incontestables. Dans des monographies urbaines classiques, pourtant récentes, comme celles de Raoul Blanchard, qui ne cessa pas de s'occuper de la géographie des villes pendant toute sa longue et féconde carrière, les pages consacrée» aux « quartiers » sont l'illustration même de ce que l'on vient d'écrire : une différenciation topographique entre le « vieux Nice » et les « quartiers du centre », une analyse des densités de population, de l'origine des habitants, accessoirement quelques indications chiffrées sur leurs occupations et sur le confort de leur demeure. La zone commerciale est mentionnée comme frac tionnée entre une partie de la ville vieille et ses enveloppes (36 p. 100 des actifs de ces 2 quartiers) et le 2e secteur (28 p. 100) ; les limites n'en sont nulle part tracées ou définies exactement ; les autres rues commerçantes, adjacentes qui se rencontrent dans la plaine centrale ou la zone sub littorale et qui renferment toute une catégorie de commerces que les touristes habi tués de Nice connaissent bien, ne sont pas mentionnées x. On pourrait reprendre la même critique pour la quasi-totalité des études urbaines actuellement publiées. B. L'état des recherches aux États-Unis Les spécialistes des études urbaines aux États-Unis ont fait des recherches beaucoup plus précises dans ce domaine et les résultats acquis semblent à la fois très complets et fort valables. 1. R. Blanchard, Le Comté de Nice, étude géographique, 1960 (cf. en particulier p. 183-208). On pourrait faire les mêmes observations à propos de l'étude du même auteur : Annecy, essai de géographie urbaine, 1957. LE CENTRE DES VILLES 697 Après avoir considéré le Central Business District ou C.B.D., comme une espèce de magma renfermant tout ce qui, dans la cité, concernait les affaires, le commerce, l'industrie, suscitant, en 1932, cette réflexion de Bartholomew : « Le G.B.D. est une étendue assez vague sans limites précises », les concep tions se sont affirmées après des études diverses, faites dans un grand nombre de villes : concentration de certaines professions liées au Stock Exchange (1927), intensité de la circulation, répartition des salles de théâtre (1928), localisation des immeubles de plus de 10 étages, toujours à New York (1931). Au même moment, Hoyt étudiait les changements dans la hauteur des immeubles et la valeur des terres dans le fameux loop de Chicago (1933) et, comparant avec les mêmes phénomènes à Emporia au Texas et à Los Angeles, proposait de reconnaître le centre non seulement comme le siège des échanges, mais aussi « de la direction et du contrôle des activités d'admin istration et d'affaires » 1. L'utilisation des photos obliques pour 8 villes de l'Ohio et pour New York permit d'attirer l'attention sur les problèmes d'occupation de l'espace, tandis, que les comptages de circulation, surtout des piétons, fournissaient une autre méthode pour apprécier l'extension de centre et même en différencier les diverses parties. Une carte des flots de circulation à pied donne une exten sion de 18 blocs en général pour le centre de Seattle, avec un noyau spé cialisé d'activité financière de 6 à 8 blocs (1958) 2. Toutes ces séries de recherches faites par des organismes administratifs ou universitaires ont abouti peu à peu à la formulation d'une véritable méthode de définition du C.B.D. par deux géographes en 1954 : « C'est le cœur de la Cité américaine. On y trouve la plus grande concentration de bureaux et de magasins de commerce qui se traduisent par les valeurs des terres les plus élevées et les bâtiments les plus hauts. C'est aussi le foyer principal de la circulation pédestre et automobile, grâce au réseau de communications ; le reste de la ville et une aire s' étendant bien au delà des limites de la Cité sont orientés, avec une intensité décroissante, vers le C.B.D. 3 » Dans une série d'articles, Murphy et Vance ont fait le tour de la question. Ils ont établi deux formules permettant à leur avis de caractériser, pour les villes de « type américain », c'est-à-dire des villes relativement récentes, à plan en blocs géométriques, où fleurissent les immeubles en hauteur et où l'on a de puissants moyens d'enquête, ce qu'ils appellent uniformément le C.B.D. 4. Après avoir examiné et critiqué les différentes caractéristiques que l'on peut retenir et qui se classent sous 3 rubriques : démographique (répartition 1. E. M. Horwood et R. R. Boyce, Studies of the Central Business District and urban freeway development, 1959, p. 9-11. 2. Op. cit., p. 11. 3. R. E. Murphy et J. E. Vance Jr., Delimiting the C.B.D. {Economic Geography, juillet 1954, p. 189). 4. R. E. Murphy et J. E. Vance Jr., Economic Geography, 1954, p. 191-222 et p. 301-336, 1955, p. 21-46. 698 ANNALES DE GÉOGRAPHIE de la population par petites unités, nombre de personnes employées dans le commerce et les bureaux, intensité de la circulation des piétons et des voi tures) ; valeur du sol ; types d'activité (en distinguant les « fonctions rée llement essentielles des affaires traitées dans le centre », c'est-à-dire «la vente de biens et de services pour en tirer un profit et l'installation de toute une gamme de bureaux, les magasins de toutes sortes qui vendent des marchand ises, les boutiques qui proposent des services et tout l'ensemble des bureaux si souvent rencontrés près du centre d'une ville » : tout apparaît représenter ces fonctions caractéristiques du centre), les auteurs retiennent comme fo ndamental le calcul de deux indices : — L'indice de hauteur des immeubles, ou GBHI, qui correspond au rap port entre la surface totale de plancher à usage d'affaires de tout le C.B.D. et la surface de base des blocs du même C.B.D. Le rapport doit être supérieur à 1 pour tous les blocs qui appartiennent au centre ; — L'indice d'intensité, ou CBII, qui uploads/Geographie/ beajeu-garnier.pdf

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