Du 5 mars, depuis Benghazi, jusqu'à la visite de Nicolas Sarkozy en Libye, le 1

Du 5 mars, depuis Benghazi, jusqu'à la visite de Nicolas Sarkozy en Libye, le 15 septembre, "BHL" a informé, sollicité, accompagné, le président de la République. Dans La Guerre sans l'aimer, il raconte. BHL-Libye: La guerre sans l'aimer, extraits exclusifs Lundi 7 mars (Un matin, à l'Elysée) "Merci d'être venu, commence-t-il. - C'est moi qui suis heureux que ce rendez-vous ait été possible. Et si vite. - J'ai lu ce que tu as écrit. Mais raconte-moi tout de même un peu." Votre soutien est indispensable. Abonnez-vous pour 1€ Nous soutenir Je lui raconte Benghazi. [...] Il m'écoute. Sans m'interrompre, pendant une bonne dizaine de minutes, il m'écoute. Est-il déjà convaincu ? Quel est son degré exact d'information? Dans le doute, j'en rajoute un peu. "D'ailleurs, c'est bien simple... S'il y a un massacre à Benghazi, le sang des massacrés éclaboussera le drapeau français." [...] A une série de menus signes (une lueur trouble dans le regard, une fixité soudaine et fugitive des traits) j'ai la même impression d'avoir touché, sans le savoir, un point secret de l'âme, un ancien tourment, je ne sais. "C'est bien, fait-il, en me coupant, la voix plus sourde tout à coup. C'est bien. Gagnons du temps. Je sais tout cela. C'est la confirmation des rapports que je reçois. Il est trop tard, à l'évidence, pour une interdiction de survol. Mais des frappes ciblées sur les trois aéroports d'où décollent les avions militaires, plus un brouillage de leurs systèmes de transmissions, c'est, en effet, une solution..." Il fait une moue, comme pour dire : "Espérons que, même pour cela, il ne soit pas déjà trop tard", puis jette un oeil à son portable qui, sur le canapé, vient de vibrer et poursuit : "Des frappes sur Syrte, Sebha, Bab al-Azizia peuvent peut-être suffire, oui. Mais il faut aller vite. Très vite." Il n'a pas de notes devant lui. Mais je me rends compte qu'il est au fait du dossier. "Le vrai problème sera politique, dit-il, comme s'il se faisait une objection à lui-même. D'abord, ce Conseil national de transition... - Oui? - J'ai donné mon accord pour les recevoir, donc je les recevrai. - Bon. - La vraie question, c'est: qu'est-ce qu'il faut en faire? Et à quel niveau, la reconnaissance?" Il semble sincèrement se poser la question et n'avoir, sur ce point, pas arrêté sa doctrine. [...] "Quand peuvent-ils être à Paris? - Je ne sais pas... Très vite... [...] - Et puis il y a l'autre problème politique. La France ne peut pas, non plus, y aller seule. - Oh!, fais-je. Trois aéroports..." Il sourit. "Même trois aéroports, cela ne se fait pas sans l'accord de nos alliés. Et, plus important encore, sans un mandat international. Le pire serait de faire la même erreur que Bush en Irak. On ne le pardonnerait ni à la France ni à moi. [...] On va régler ça dès vendredi. On va faire un consensus européen. Et, forts de ce consensus, on ira aux Nations unies. - Et si ça ne marche pas? - Ça marchera." Il voit mon air dubitatif et demande, sincèrement surpris: "Qu'est-ce qui pourrait s'y opposer? - Je ne sais pas... Qui dit que Berlusconi, Merkel se laisseront convaincre si facilement? - Nous nous entendons bien, Angela Merkel et moi. Et elle ne peut pas être insensible à la justesse de la cause. - Alors, dans ce cas, Juppé..." Il fait comme s'il n'entendait pas, et répète : "Merkel! Comment imaginer Merkel dire non à une opération de sauvetage du peuple libyen? [...] Ça sert à quoi, la politique, si ce n'est à se souvenir des leçons de l'Histoire et à en tirer les conséquences? Je ne serai pas Mitterrand. Je ne serai pas le président sous lequel on aura laissé mourir le peuple libyen. [...] Quand je pense à tous ces gens qui diront que je fais ça pour des raisons politiciennes... Je ne me fais pas d'illusions. Cette guerre ne sera pas populaire. Ou, si elle l'est, ça ne durera pas longtemps. Mais ce n'est pas la question. Il faut la faire." Jeudi 10 mars Elysée. 10 heures. Nous sommes dans la grande salle de réunion, jouxtant le bureau du président, qui fut le bureau d'Attali. Côté gauche de la table, en entrant, Sarkozy entouré d'Henri Guaino, de Jean-David Levitte et de son adjoint Nicolas Galey. En face, Ali Essaoui, entouré sur sa gauche de Mahmoud Jibril et sur sa droite d'un homme que je ne connais pas et dont je déduis que c'est Ali Zeidan - plus moi, qui, d'instinct, m'assieds à côté de Zeidan. Les Libyens sont intimidés. L'atmosphère est solennelle. Les conseillers français, bizarrement, ont l'air déboussolé, comme s'ils ne savaient pas, eux-mêmes, à quoi ils doivent s'attendre. Guaino, en particulier, est tassé sur sa chaise, les épaules en dedans, le regard brûlant dans un visage maussade et une drôle de manière de lancer, à droite, à gauche, des coups d'oeil inquiets. Sarkozy a un visage tendu, concentré, que je ne lui connais pas. C'est lui qui commence et qui, du reste, parlera pendant l'essentiel de l'entrevue. "Je suis avec une extrême attention, dit-il, l'évolution des événements dans votre pays. [...] Je suis arrivé à la conclusion - arrêtez-moi, là aussi, si je me trompe - que la seule solution, face à la violence qui se déchaîne et à l'étendue des crimes qui sont commis, est une opération militaire. Oh! On ne va pas déclarer la guerre à la Libye. Ni, encore moins, faire la révolution à la place des Libyens. Les Français n'ont eu besoin de personne, en 1789, pour faire leur révolution. Et je ne vois donc pas pourquoi les Libyens auraient besoin des Français, ni de n'importe qui d'autre, pour faire la leur. [...] J'ai compris, à travers M. Lévy, que vous étiez demandeurs d'une intervention aérienne modeste, limitée dans le temps, sans troupes au sol et ciblée sur les moyens militaires qui font, dans la population civile, les dégâts dont le monde est témoin. Eh bien, je suis d'accord. Je vous le dis au nom de la France, je suis d'accord sur cette intervention limitée, ciblée, que vous nous demandez. [...] Un chef d'Etat a des droits (peu) et des devoirs (beaucoup). Or, au premier rang de ces devoirs, il y a l'obligation de protéger sa population. Kadhafi a failli à ce devoir. Il a même fait pire que cela, puisque les victimes de la répression qu'il a déclenchée se comptent, apparemment, par milliers. [...] A partir de là, il a perdu le droit à diriger son pays. Il n'a plus aucune légitimité. Et c'est pourquoi je suis partisan d'un transfert de légitimité total, rapide et même immédiat en faveur du Conseil national de transition que vous représentez. Concrètement, ce sera très simple. Nous allons vous reconnaître, dès aujourd'hui, comme seuls représentants légitimes de la Libye." [...] L'audience a duré une heure. Les Libyens sont stupéfiés. Ils n'ont, en lui serrant la main, pas de mots assez forts pour dire leur gratitude à ce président providentiel. [...] Mais, à peine dehors, mon téléphone sonne. C'est le président qui veut savoir ce que j'ai pensé de l'entretien, si je suis heureux, si tout est bien conforme à ce que nous nous étions dit. Puis, étrangement, sans que, même maintenant, alors que la journée est terminée et que j'en dresse le bilan, je comprenne pourquoi, il me lance : "Bon... tu étais là, hein, toi aussi... alors, n'hésite pas... dis ce que tu as vu et entendu... n'hésite pas à t'exprimer..." Jeudi 17 mars [...] La chancelière Merkel, gronde-t-il, est "lamentable" de prudence. Mais Medvedev tiendra parole. Il a, lui, Nicolas Sarkozy, personnellement convaincu le Sud-Africain et le Grec. En sorte que, si Hu Jintao, qu'il a appelé, lui aussi, personnellement, accepte de ne pas user de son veto et se contente de s'abstenir, si tel autre membre cède à la supplique (il n'y a pas d'autre mot) qu'il lui a adressée, il y a une vraie chance que la résolution française passe. [...] Le téléphone sonne. C'est, à nouveau, le président de la République. "Je suis encore réveillé, ce qui n'est pas trop mon genre. Mais je voulais te l'annoncer moi-même. La résolution a été votée. Oui, votée. C'est une grande victoire pour la France. Mais c'est une grande victoire, surtout, pour la Libye dont les populations sont désormais sous protection de la communauté internationale." Dans cette ultime conversation, la troisième de la journée, alternent des mots de joie ("J'ai bataillé, je suis heureux"), de gratitude ("Zuma a été formidable"), des considérations plus futiles (si Obama va, ou non, l'appeler pour le féliciter), des curiosités (ce que l'on pense autour de moi et si je suis bien certain que Cohn-Bendit, par exemple, était favorable à l'intervention militaire) et puis le ton grave du chef de guerre qu'il est, à partir de cet instant, forcé de devenir (il a, déjà, une idée du terrain et des fronts; il a, déjà, mis au travail son état-major particulier et uploads/Geographie/ bernard-henri-levy-la-guerre-sans-l-x27-aimer-extraits.pdf

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