Quaderns d’Italià 11, 2006 313-326 Encore quelques reflexions sur l’usage des c

Quaderns d’Italià 11, 2006 313-326 Encore quelques reflexions sur l’usage des cartes par Petrarque Nathalie Bouloux Université François Rabelais (Tours) CESR Abstract Après avoir rappelé les différents types de cartes en circulation au XIVe siècle ainsi que leurs principaux usages, l’article étudie les mentions faites par Pétrarque des cartes qu’il possédait. Il ne reste aucun témoin de celles-ci, et les citations de l’humaniste ne permettent pas toujours d’identifier avec certitude la nature de ces cartes. Outre des cartes marines, Pétrar- que détenait des représentations contemporaines du monde connu et des cartes qu’il tenait pour très anciennes. La manière dont il les utilisait atteste à la fois un usage conforme à ceux de ses contemporains (restitution d’itinéraires, localisation, contemplation de l’espa- ce du monde) mais également plus originaux ( reconstitution de l’espace de l’Antiquité, explication des textes anciens), toujours dans un souci de problématisation du réel. Mots-clefs: Pétrarque, cartographie, usage des cartes, trecento. Abstract After recalling the different types of maps in circulation in the 14th century and their main uses, the article studies those references made by Petrarch to the maps he possessed. There is no remaining evidence of these and the humanist’s references to them do not allow iden- tification of the nature of these maps with any certainty. As well as sea charts, Petrarch owned contemporary representations of the known world and maps he believed to be very ancient. The way in which he used them shows, at one and the same time, usage in accor- dance with that of his contemporaries (plotting itineraries, location, contemplating space in the world) and also more original uses (reconstituting the space of Antiquity, explaining ancient texts) always with a concern for posing real problems. Key words: Petrarch, cartography, use of maps, trecento. Pétrarque a joué un rôle essentiel dans l’essor de la géographie chez les huma- nistes du XIVe siècle. Il possédait des manuscrits de géographes antiques qu’il lisait en les annotant avec constance pour mieux en comparer le contenu. Appre- nant la géographie de l’espace antique, il a conçu une méthode géographique appliquée à l’espace de son temps et fondée sur le souci de confrontations des 314 Quaderns d’Italià 11, 2006 Nathalie Bouloux textes antiques et modernes.1 Il possédait également des cartes, qu’il mentionne dans ses lettres et dans les annotations conservées dans son manuscrit de l’His- toire naturelle de Pline (BNF lat. 6802) et dans le Virgile de l’Ambrosienne. Avant de rappeler ce que l’on sait sur les cartes utilisées par l’humaniste et d’analyser les usages qu’il en faisait, quelques remarques méthodologiques s’im- posent. Il convient en effet d’adopter une attitude prudente dans l’utilisation des termes: on peut en effet hésiter à parler de «science», à propos de la géo- graphie médiévale et préférer le terme de «savoir» ou celui de «culture». Le mot de «géographie» n’est pas employé avant la redécouverte de Ptolémée au début du XVe siècle (encore ne s’impose-t-il pas immédiatement). Pétrarque et ses contemporains parlent plutôt de «cosmographia», terme dont la diffusion marque le début d’une autonomisation des savoirs géographiques. Pétrarque a d’ailleurs été l’un des premiers à reconnaître l’existence de spécialistes de la description de l’espace (cosmographi). L’absence du terme de «géographie» ne signifie pas pour autant défaut dans les perceptions et les représentations de l’espace, mais marque, indirectement, l’existence de modes de représentation de l’espace qui ne correspondent pas à une «modernité» scientifique (encore faudrait-il s’entendre sur la notion de modernité) et encore moins «pré-scien- tifique». Pourtant, dans l’ordre des représentations de l’espace, le XIVe siècle est un moment décisif qui n’a peut-être pas été suffisamment identifié, en par- tie parce que beaucoup se focalisent sur les effets de la redécouverte de Ptolé- mée au début du XVe siècle. La cartographie au XIVe siècle en Italie Sans s’étendre trop avant, il convient néanmoins de caractériser, au moins dans ses grandes lignes, ce que l’on sait de l’usage des cartes au XIVe siècle.2 Dans l’Italie du XIVe siècle, plusieurs types de cartes coexistent.3 Les mappemondes «traditionnelles» (terme plus commode que réellement opératoire) donnent à voir l’ensemble du monde connu entouré d’un anneau océanique conven- tionnel. La carte d’Hereford (vers 1300) en est un exemple remarquable. Les modèles de ces mappemondes remontent à l’Antiquité tardive. Elles dessinent schématiquement le pourtour des continents, localisent les éléments naturels (montagnes, fleuves, îles) et les principales régions et villes. Le légendaire et le merveilleux, produits d’une culture encyclopédique et de l’essor de la philo- 1. Sur Pétrarque et la géographie, voir Nathalie BOULOUX, Savoirs et culture géographique en Ita- lie au XIVe siècle, Turhnout: Brepols, 2002 (Terrarum Orbis, 2). 2. Sur l’histoire de la cartographie, voir l’irremplaçable History of Cartography, dir. David WOODWARD et J. B. HARLEY, Cartography in prehistoric, ancient and medieval Europe and the Mediterranean, Chicago-Londres: Chicago University Press, 1987. 3. Les typologies traditionnelles ont été remises en cause récemment. Voir Patrick GAUTIER DALCHÉ, «De la glose à la contemplation, place et fonction de la carte dans les manuscrits du haut Moyen Âge», in Testo e immagine nell’alto medioevo. Settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo, t. 2, Spolète: Centro italiano di studi sull’alto Medio- evo, 1994, p. 693-764. Encore quelques reflexions sur l’usage des cartes par Petrarque Quaderns d’Italià 11, 2006 315 sophie naturelle, sont également présents. Ces cartes sont caractérisées par l’im- portance des textes (indication des toponymes et légendes plus longues) et des images (vignettes urbaines, dessins de peuples monstrueux, etc.). Elles sont encore trop souvent interprétées comme le résultat d’une vision symbolique et théologique de l’espace, propre au Moyen Age. Cette conception réductri- ce a depuis longtemps été dénoncée4 mais elle continue à être proférée. Ces cartes ont plusieurs fonctions. Elles montrent l’espace de l’histoire humaine depuis ses origines —d’où la présence du paradis terrestre, portion de l’espace réel au Moyen Age— et rassemblent un ensemble de connaissances diverses de nature encyclopédique. Elles jouent un rôle essentiel dans l’enseignement où elles servent notamment de supports mnémotechniques comme le rappelle le rhéteur Boncompagno da Signa dans la Rhetorica novissima (1225): Quomodo possit aliquis provinciarum, urbium, diversorum locorum et flu- minibus nomina memorie commendare. Qui desiderat provinciarum, urbium, fluminum et locorum nomina memo- ria commendare, inspiciat mappam mundi in qua sunt omnes provincie orbis, insule, deserta, famose civitates, maria et flumina cum subscriptionibus suis depictis. Legat etiam Solinum qui partes orbis terrarum nominat et distinguit, ut specificat duodecim mirabilia mundi. Legat philosophos atque poetas, qui de huiusmodi tractaverunt, nec omittat vetus testamentum et historias Roma- norum in quibus poterit magnam copiam invenire.5 Cet usage scolaire de la carte remonte à l’époque carolingienne, peut-être même avant. Héritage antique, rôle dans l’enseignement et dans la mémori- sation du monde expliquent aussi une de leurs caractéristiques, celle de la superposition des temps sur des cartes qui montrent à la fois l’espace contem- porain, l’espace de l’histoire des hommes et celui de l’histoire sacrée. Parce qu’elles rassemblent dans un espace restreint l’ensemble de l’espace connu (même quand elles sont de grandes tailles), elles servent de support à des exer- cices de méditations religieuses. Elles permettent également de montrer autant 4. Voir les travaux de Patrick GAUTIER DALCHÉ, notamment la conclusion de «La Descriptio mappe mundi» de Hugues de Saint-Victor, texte inédit avec introduction et commentaire, Paris: Études Augustiniennes, 1988, p. 117-127 et «Un problème d’histoire culturelle: percep- tion et représentation de l’espace au Moyen Age», Médiévales, n. 18, 1990, p. 5-15. Voir également la contribution de David WOODWARD dans History of Cartography, op. cit. 5. BONCOMPAGNO da SIGNA, Rhetorica novissima, dans A. GAUDENZI (éd.), Biblioteca iuridica medi aevi, II Bologne, 1892, p. 279. Ce passage se trouve dans la partie de la Rhetorica novis- sima dédiée aux arts de la mémoire. Pourtant, il ne traite pas de la carte comme un outil mémnotechnique mais comme un support essentiel de l’apprentissage de l’espace du monde et des noms géographiques. La carte est première mais le recours au texte de Solin, un des géographes latins les plus lus, est conseillé, de même l’utilisation de textes non géographiques mais qui contiennent des noms de lieux. Au VIe siècle, lorsque Cassiodore conseillait aux moines de Vivarium d’apprendre la géographie du monde, il procédait exactement à l’in- verse et conseillait de partir du texte et de s’aider de cartes. On mesure là la distance par- courue dans l’évolution du statut de l’image. Voir sur le texte de Cassiodore le commentaire de Patrick GAUTIER DALCHÉ, «De la glose à la contemplation…», cit. (cité n. 5). 316 Quaderns d’Italià 11, 2006 Nathalie Bouloux qu’il est possible l’espace contemporain dans un souci d’actualisation des topo- nymes et d’intégration de régions nouvellement découvertes; plus fondamen- talement, elles servent à localiser les lieux du monde et par conséquent, à permettre un repérage et une investigation de l’espace. Toutes ces formes anciennes d’utilisation de la carte perdurent au XIVe siècle, non sans aména- gement et nouveautés. La mappemonde dessinée par le cartographe Petrus Vesconte pour Marino Sanudo, auteur d’un traité de croisade, intègre un des- sin du pourtour méditerranéen copié sur celui des cartes marines. Le dossier uploads/Geographie/ bouloux-nathalie-encore-quelques-reflexions-sur-l-x27-usage-des-cartes-par-petrarque-pdf.pdf

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