Direction de l’administration pénitentiaire Vieillesse(s) carcérale(s) Emmanuel

Direction de l’administration pénitentiaire Vieillesse(s) carcérale(s) Emmanuel Brillet (DAP/PMJ5) octobre 2013 - no 38 Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n Au cours des trente dernières années, la pénalisation croissante de certaines infractions (notamment en matière de délinquance sexuelle) et l’augmentation corrélative de la durée des peines encourues1 ont contribué à faire du vieillissement en milieu carcéral un véritable enjeu de politique publique. Ce Cahiers se propose de dresser un tableau actualisé du phénomène (chiffres et tendances), d’en sérier les facteurs explicatifs, tout en discutant, sur la base d’une revue de la littérature spécialisée (en langues française et anglaise), les notions d’ « âge » et de « vieillissement » en milieu carcéral. L’objectivation des profils socio-pénaux des personnes concernées invite en effet à relativiser l’effet propre de l’âge dans l’appréhension du phénomène. Donc à distinguer – parmi les personnes dites « âgées » – entre plusieurs sous- ensembles, que différencient notamment leurs styles de vie préalables, leurs trajectoires pénales et leur aptitude à « faire avec » l’expérience carcérale. vec 8 618 personnes de plus de 50 ans écrouées au 1er janvier 2013 (11,2% de la population sous écrou, parmi lesquelles 7 351 personnes détenues2), dont 2 673 de plus de 60 ans (2 252 étant détenues), la population dite « âgée » n’est plus une population marginale en prison. Certes, on observe une stabilisation de la part relative de cette population depuis le début des années 2000 : les plus de 50 ans représentaient déjà 11,6 % de la population carcérale au 1er janvier 2001, et ce chiffre n’a que peu varié depuis (avec un ‘pic’ à 12,6% en 2006). Mais que l’on se reporte seulement 30 ans en arrière, et l’on mesure l’ampleur de l’évolution : au 1er janvier 1980, les effectifs s’établissaient à 1 648 personnes écrouées âgées de plus de 50 ans (dont 359 âgées de plus de 60 ans), soit seulement 4,5% de la population carcérale. En l’espace de trois décennies, le nombre de personnes écrouées âgées de plus de 50 ans a été multiplié par 5,2 (et même par 7,4 pour les plus de 60 ans), et leur part relative a plus que doublé, passant de une personne écrouée sur 22 à une personne écrouée sur 9. C’est le groupe d’âges qui a connu la croissance la plus rapide en milieu fermé sur cette période. Dans le même temps, l’âge moyen de la population carcérale s’est élevé de 30,1 à 34,4 ans (avec des pointes à 34,8 ans en 2001 et 2006). Cette augmentation a été particulièrement marquée au cours des années 1990, la proportion des personnes écrouées de plus de 50 ans passant de 5,3% en 1993 à 11,6% en 2001. La part de cette catégorie d’âges est depuis lors stabilisée, et même en très légère décroissance depuis le milieu des années 2000 (12,6% au 1er janvier 2006, 11,2% au 1er janvier 2013). A CAHIERS D’ÉTUDES PÉNITENTIAIRES ET CRIMINOLOGIQUES L ’hypothèse démographique n’a qu’un poids relatif pour expli- quer le vieillissement de la population carcérale. Le nombre des personnes de plus de 50 ans a été multiplié par 1,4 dans la population générale entre 1991 et 2013. Sur la même période, le nombre de personne écrouées de plus de 50 ans a été multi- plié par 3,4. La ventilation par âges de la population carcérale tend ainsi pro- gressivement à se rapprocher de celle de la population générale, même si l’écart demeure significatif : les personnes de plus de 50 ans représentaient 36,8% de la population générale au 1er janvier 2013 mais seulement 11,2 % de la population carcérale. Cependant, ce différentiel s’est notablement réduit en trente ans : au 1er janvier 1980, la part des plus de 50 ans était 6,4 fois moins élevée dans la population carcérale que dans la population générale ; elle est désormais 3,3 fois moins élevée (respective- ment 16,5 et 6,8 fois moins élevée pour les plus de 60 ans)3. Ce phénomène de vieillissement concerne aussi bien les hommes que les femmes, mais il est plus accentué pour les premiers que pour les secondes : la part relative des plus de 50 ans a été mul- tipliée par 2,5 dans la population carcérale masculine entre 1980 et 2013 (passant de 4,4% à 11,2%) et par 1,9 dans la popula- tion carcérale féminine (de 7% à 13%). La proportion des plus de 50 ans demeure cependant légèrement plus élevée chez les femmes que chez les hommes4. . Un phénomène réversible ? La proportion grandissante de personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel a été identifiée comme pouvant être la cause principale du vieillissement de la population carcérale au cours des années 1990. A l’inverse, la stabilisation de la part des plus de 50 ans dans la population carcérale depuis le début des années 2000 est concomittante d’une baisse de la proportion des infracteurs sexuels. La pénalisation croissante des crimes et délits sexuelss au cours des années 1990 Les infractions à caractère sexuel hors proxénétisme (viols, agres- sions sexuelles et autres attentats aux mœurs sur mineur et adulte) sont le type d’infractions qui a connu l’augmentation la plus forte au cours des années 1990. Au 1er janvier 2001, 25% des personnes écrouées condamnées (25,3% des hommes, 9,9% des femmes) l’avaient été en rapport avec ce type d’infractions contre seulement 5,5% au 1er janvier 1980 (5,6% des hommes, 2,6% des femmes). Soit une part relative multipliée par 4,5 en 20 ans5. Or, la part des crimes et délits sexuels est d’autant plus impor- tante que l’on s’élève dans l’échelle des âges et que l’on considère la part masculine de la population carcérale : au 1er janvier 2001, atteignant sa valeur maximale, ce motif de condamnation concernait même plus d’un homme écroué condamné sur deux (54,1%) dans la catégorie d’âges des plus de 50 ans (12,2% au 1er janvier 1981)6. En outre, compte tenu de la nature des infractions en cause, les personnes condamnées de plus de 50 ans l’avaient été à des peines notablement plus longues que la population des condam- nés dans son ensemble : au 1er janvier 2001, 67% des plus de 50 ans étaient condamnés à des peines correctionnelles de plus de 3 ans contre 40,7% de l’ensemble7. 2 1980 1993 2001 2006 2013 Ensemble des personnes écrouées 36 913 50 342 47 837 59 522 76 798 Nombre de personnes écrouées de plus de 50 ans 1 648 2 644 5 566 7 488 8 618 Part des personnes écrouées de plus de 50 ans (%) 4,5 5,3 11,6 12,6 11,2 Champ : France entière A partir de : Séries statistiques des personnes placées sous main de Justice 1980-2013, DAP / PMJ / PMJ5 Tableau 1 : Evolution du nombre et de la part des personnes écrouées de plus de 50 ans (au 1er janvier) La pénalisation accrue des crimes et délits sexuels Comment expliquer cette soudaine augmentation des condamnations pour crimes et délits sexuels au cours des années 1990, particulièrement dans cette tranche d’âges ? Pour Pierre Landreville (2001), qui rend compte d’une situation ana- logue au Québec8, cette évolution serait moins le reflet d’une hausse de l’activité criminelle que la résultante d’une plus grande propension à poursuivre et sanctionner ce type d’infra- ctions (paradigme dit de la « réaction sociale »). Dans les années 1990, en France, la hausse subite des condamnations dans le domaine des crimes et délits sexuels a très exactement coïncidé avec les modifications apportées à la répression de ce type d’infractions dans le nouveau code pénal (élévation générale de l’échelle des peines), puis le vote de la loi n°94-89 du 1er février 1994, qui prévoit un allongement des délais de prescription. Or, comme le souligne Annie Kensey (2001), « plus les victimes peuvent dénoncer les faits tardivement, plus les auteurs sont âgés quand cette dénonciation intervient ». VIEILLESSE(S) CARCÉRALE(S) La croissance accélérée – jusqu’à l’orée des années 2000 – de la part des personnes écrouées de plus de 50 ans s’explique donc principalement de deux manières : - une augmentation marquée du nombre de personnes condamnées pour crimes et délits sexuels au cours des années 1990, et la part devenue écrasante de ce motif de condamna- tion parmi les écroués de plus de 50 ans (cf. encadré) ; - une augmentation corrélative de la durée des peines encourues, ce qui accroît mécaniquement le stock des personnes vieillissantes (qu’il s’agisse de personnes relativement jeunes que leurs peines conduisent à vieillir en prison, ou de personnes déjà âgées amenées à y demeurer de longues années). Un renversement de tendance depuis 2001 A l’inverse, la stabilisation de la part relative des personnes écrouées de plus de 50 ans observée depuis lors (11,6% au 1erjanvier 2001, 11,2% au 1er janvier 2013), et même la légère décroissance observée depuis le milieu des années 2000 (un pic à 12,6% est atteint au 1er janvier 2006), s’expliquent par la conjugaison de plusieurs phénomènes qui se compensent mutuellement : - d’une part, une baisse prononcée de la part des infractions à caractère sexuel9 et un tarissement du uploads/Geographie/ cahier-38-vieillesse-s-carcrale-s.pdf

  • 13
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager