TABLE DES MATIERES Jean Cavaillès : résistant Lucie AUBRAC Jean Cavaillès : che

TABLE DES MATIERES Jean Cavaillès : résistant Lucie AUBRAC Jean Cavaillès : chef du réseau "Cohors" Jean OGLIASTRO Cavaillès et le fondement des mathématiques Henri CARTAN Jean Cavaillès et la philosophie française de l'entre-deux guerres Bruno HUISMAN L'épistémologie de Jean Cavaillès Hourya SINACEUR Colloque Jean Cavaillès Jacques MUGLIONI Bibliographie Jean Cavaillès P. CORTOIS Annexes JEAN CAVAILLES : RESISTANT Lucie AUBRAC Le 29 Novembre 1942 un agrégé de philosophie, normalien, professeur à la Sorbonne, faisait une conférence dans un camp d'internement réservé "aux individus dangereux pour la sûreté de l'Etat!" Sujet : Descartes et sa méthode. En conclusion, il donnait une affirmation de Descartes vainqueur d'un combat contre des mariniers sur les bords de d'Elbe : "il faut toujours savoir tirer l'épée". Ce professeur c'est Jean Cavaillès, dirigeant et acteur de la résistance. Je vais essayer de dire ici ce que je sais de son itinéraire depuis que je fis sa connaissance en 1938 jusqu'à notre dernière rencontre au mois de février 1943. En janvier 1938, agrégative, j'obtins une délégation au lycée de jeunes filles d'Amiens. Je fis là mon apprentissage du métier de prof tout en préparant le concours. Dans la micheline qui transportait depuis la gare du Nord, des professeurs habitant Paris, deux fois par semaine pour des allers retours vers nos lycées d'Amiens, j'essayais de placer mes convictions militantes pacifistes. Jean Cavaillès était un de mes interlocuteurs de choix et il devint très vite celui par qui s'établissait la confrontation et de qui, les informations furent primordiales. Cavaillès connaissait en effet très bien l'Allemagne et l'allemand, et il était le seul parmi nous, jeunes professeurs, à avoir lu Mein Kampf. Ses voyages, ses séjours, ses amis en Allemagne lui permettaient de préciser ses craintes et son jugement sur l'avenir de ce pays. Patient il essayait de nous expliquer les dangers prochains que ce pays pouvait faire courir à la paix du monde. Puis tout à coup, devant notre légèreté, il sortait un paquet de copies de sa serviette, se mettait à les corriger et devenait absolument inabordable. Un jour de février, il ne fit pas parti de ce voyage de fin de semaine et nous avons appris qu'il venait de soutenir brillamment sa thèse en Sorbonne. Il ne nous en avait pas parlé. Notre respect pour cet homme modeste, notre curiosité pour ce professeur de philosophie qui était aussi un mathématicien - songez qu'il y a presque un demi-siècle les mathématiques et la philosophie n'avaient pas l'habitude de se ren- contrer si fréquemment - notre respect donc et notre curiosité ont été grandissants. A la fin de mai il donne un pot d'adieu car il est nommé à l'université de Strasbourg. Cet été si tragique de 1938, fut pour moi l'année de l'agrégation. Mais pour tous les français et pour bien d'autres dans le monde ce fut l'année de Munich. Mon pacifisme, mes préoccupations de candidate firent que je trouvais mon compte dans ce recul d'une échéance militaire. Je n'avais pas bien compris tout ce qui nous attendait. Je fus nommée, après l'agrégation, au lycée de jeunes filles de Strasbourg, et parachutée au mois d'octobre 1938, dès que j'arrivais pour prendre possession de mon poste, dans un jury de baccalauréat dont Jean Cavaillès était le président. Nous nous retrouvâmes avec plaisir et lors du déjeuner qui suivit, je me suis trouvée en face d'un homme mûri, plus grave qu'à Amiens et soucieux. Certains de ses amis allemands, de l'autre côté du Rhin - la frontière était très proche pour nous strasbourgeois - ne répondaient plus à ses lettres : au moins effrayés, mais peut-être disparus. Les effets du nazisme en Alsace, commençaient à être très sensibles, sous deux formes de propagande; d'une part, un autonomisme qui essayait de rapprocher les alsaciens de l'Allemagne, mais surtout de les éloigner de la France républicaine et démocratique, et une propagande antisémite qui faisait déjà des ravages. Un jour, Jean Cavaillès et moi avons dû arracher une affichette à la porte d'un restaurant célèbre qui s'appelle Kammerzell, près de la cathédrale de Strasbourg. Le texte de cette affichette était "Juifs et chiens interdits". Un certain nombre de professeurs, dont Cavaillès et moi, nous retrouvions à la brasserie Kléber et les discussions allaient bon train sur l'avenir de l'Europe. Je finis par admettre mon aveuglement quant à Munich et à comprendre les dangers d'une guerre imminente. Au mois de mai 1939, Cavaillès revint après une petite semaine d'absence nous annoncer, en quelques mots pudiques, ce qui avait été un événement bouleversant de son existence : le décès d'une mère chérie. Depuis ce temps-là je ne l'ai jamais vu qu'en costume sombre, cravate noire et chemise blanche. Mais il était toujours aussi attentif à ses amis et je me rappelle de sa chaleureuse approbation quand je lui fis faire connaissance de l'homme qui allait partager ma vie : Raymond Samuel. L'été nous a dispersés. Le monde universitaire se sépare quand les vacances arrivent. J'avais une bourse pour faire ma thèse aux Etats-Unis et. je ne pensais pas revoir de si tôt cet ami dont j'avais fait la connaissance à Amiens et dont je m'éloignais, au-delà d'un océan. Mais au mois de septembre 1939, la déclaration de guerre mit fin à mes projets de thèse; je décidais de rester en France, je me mariais; l'année 39-40 fut une année de guerre que mon jeune mari vécut comme sous-lieutenant du génie, et Jean Cavaillès comme lieutenant d'infanterie coloniale. Il nous avait, pour notre mariage, envoyé ses vœux avec la gentillesse qui était la sienne. La guerre finie, au mois d'octobre 1940, je me présentais à l'université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand, pour obtenir un poste dans cette France occupée, dans la zone sud, si possible. Je retrouvais là, Cavaillès et nous nous aperçûmes lui et moi que les itinéraires de mon mari et le sien avaient été pendant cette guerre absolument parallèles. Tous deux s'étaient battus jusqu'à la fin, refusant l'armistice, tous deux avaient été prisonniers, tous deux s'étaient évadés, tous deux avaient réussi à passer cette ligne de démarcation qui séparait la France en deux, et tous deux s'étaient fait démobiliser pour rentrer dans la vie civile. Nous nous sentions sur la même longueur d'ondes, pas seulement à cause de ce parallélisme que je viens d'évoquer mais aussi parce que nous avions les mêmes commentaires qui aboutissaient à cette conclusion que l'occupation allemande et le régime de Vichy étaient, l'un et l'autre, inacceptables. Nous continuâmes notre discussion à la brasserie de Strasbourg à Clermont, en compagnie de Maître Spanien, l'avocat de Léon Blum, qui venait pour préparer, auprès de la Cour de Justice de Riom, la défense du procès intenté à son ami. Au cours de ce déjeuner, d'Astier de la Vigerie, journaliste curieux et indépendant, nous rejoignit, nous finîmes l'après- midi rue Blatin, chez Jean Cavaillès avec d'Astier et nous nous sommes mis à comploter. Je dis comploter car nous n'étions pas des professionnels de la résistance, le mot n'existait pas encore, mais nous voulions nous opposer à un régime et à une occupation militaire. Un peu par jeu, un peu aussi par goût de l'aventure, mais surtout par conviction, nous avons décidé qu'il fallait lutter contre l'occupant et contre ceux qui le soutenaient. Le mouvement créé par d'Astier, la Dernière Colonne eut notre approbation. Le réalisme de Jean Cavaillès fit que très rapidement les questions furent analysées. D'abord, avec le ton ferme qu'il prenait quand il voulait affirmer une conviction profonde : vous ne direz plus jamais, dit-il "zone libre" en parlant du sud de la ligne de démarcation, vous ne direz pas non plus "zone non occupée" car je considère que Vichy est une forme d'occupation. Vous direz "zone sud", et puisque nous sommes en zone sud, ajoutait-il, l'essentiel de notre activité doit consister à dénoncer tout de suite la collaboration du régime de Vichy. Nous nous sommes concertés : comment, comment dénoncer ? Bien entendu en informant. L'information ne passait plus du tout dans cet automne 1940. La télévision n'existait pas, les postes à transistor non plus, et les postes de radio, de T.S.F. comme on disait, de même que les journaux, étaient sévèrement contrôlés par les services de censure des occupants et de Vichy. Alors, comment faire ? Eh bien, essayer d'abord d'avoir le contact avec les journaux, où très vite on pouvait déceler les journalistes qui n'acceptaient pas les consignes de la censure. C'est ainsi que Cavaillès fit connaissance de Rochon, à la Montagne de Clermont-Ferrand, et que je renouais avec Georges Altman, du Progrès de Lyon . Ces journalistes essayaient de faire passer, d'une manière très adroite, à travers les articles qu'ils écrivaient, un peu de notre esprit d'opposition. Le deuxième moyen de dénoncer Vichy, pensait- il, c'était aussi des inscriptions et des tracts. Nous sommes devenus, nous les universitaires, des espèces de commis-voyageurs en résistance, qui n'avions pas encore d'échantillons à présenter, mais nous pensions très sérieusement, mon mari, d'Astier et moi, que nous avions bien mieux que des échantillons, une fameuse carte d'introduction auprès de nos uploads/Geographie/ cavailles.pdf

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