Cahiers de la Méditerranée 87 | 2013 Captifs et captivités en Méditerranée à l'
Cahiers de la Méditerranée 87 | 2013 Captifs et captivités en Méditerranée à l'époque moderne La grande famine de 1750 dans l’Oranais : d’autres voies vers la captivité et l’esclavage Luis Fernando Fé Cantó Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cdlm/7273 DOI : 10.4000/cdlm.7273 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2013 Pagination : 275-280 ISBN : 978-2-914-561-64-8 ISSN : 0395-9317 Référence électronique Luis Fernando Fé Cantó, « La grande famine de 1750 dans l’Oranais : d’autres voies vers la captivité et l’esclavage », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 87 | 2013, mis en ligne le 15 juin 2014, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/7273 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ cdlm.7273 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. © Tous droits réservés La grande famine de 1750 dans l’Oranais : d’autres voies vers la captivité et l’esclavage Luis Fernando Fé Cantó 1 L’histoire des captifs en Méditerranée est une histoire de violences : violence de la saisie des corps lors des incursions (hommes du nord en terres d’islam ou, comme dans un jeu de miroirs, hommes du sud en terres de chrétienté) ; violence lors des abordages en mer, quelque fût le type de vaisseau (galères espagnoles ou algéroises ; navires salétins, toscans ou maltais ; chébecs romains ou tunisiens ; brigantins tripolitains ou portugais), pour appréhender des hommes et des femmes ayant eu la malchance de croiser sur leur chemin des corsaires, lors d’un voyage, d’une campagne de pêche, d’un trajet commercial en Atlantique ou en Méditerranée ; violence, finalement, lors de la captivité, tant dans les bagnes des villes maghrébines (Alger, Tunis, Tripoli, Tanger, Salé ou Meknès) que dans les arsenaux des pays chrétiens (Cadix, Carthagène, Barcelone, Marseille, Gênes ou Venise), en attendant leur rachat ou l’amélioration des conditions de leur vie. La conversion, parfois forcée, à la religion du maître était un autre danger qui guettait les captifs, surtout s’ils étaient appelés à rester longtemps en terres ennemies. 2 Cette violence a été l’objet d’abondantes études menées ces cinquante dernières années1. Elles ont servi à mieux connaître la guerre de course, ses manifestations et ses conséquences sur les populations du bassin méditerranéen. Dans un premier temps, ce sont les corsaires maghrébins, s’attaquant aux populations et aux biens des territoires chrétiens de la rive nord de la Méditerranée, qui ont fait l’objet d’études ; ensuite, les historiens, notamment maghrébins, ont commencé à étudier la course chrétienne contre les hommes et les biens de la rive sud. La vie des captifs chrétiens dans les grandes villes du Maghreb, grâce entre autres aux récits des rédempteurs, a largement retenu l’attention des historiens dans un premier temps ; actuellement, on est en train de faire un effort pour mieux connaître la vie des musulmans, esclaves ou libres, en terres chrétiennes2. Le renégat, devenue figure mythique, a largement été étudié aussi3. La grande famine de 1750 dans l’Oranais : d’autres voies vers la captivité et... Cahiers de la Méditerranée, 87 | 2013 1 Beaucoup de chemin a été parcouru, mais la complexité du sujet et l’étendue, non seulement géographique mais aussi temporelle, du phénomène nécessitent un croisement des données des chercheurs en provenance des deux rives de la Méditerranée. La pluralité des pays et des sources, les différentes traditions historiographiques mises en œuvre par les uns et les autres, peuvent nous éclairer davantage sur le phénomène de la course, de la captivité et de l’esclavage, ainsi que sur les mécanismes de violence qui sont apparus entre les différents groupes sociaux du bassin méditerranéen. 3 Dans cet article, nous souhaitons analyser un phénomène peu connu, celui de la captivité et de l’esclavage dans le préside d’Oran dans un créneau chronologique très court, l’hiver 1750-1751. À la fois ville et forteresse, cet espace-clé pour la protection de la frontière de la monarchie hispanique avec le Maghreb est représentatif des autres présides hispaniques d’Afrique du Nord sous bien des aspects, en tant que zone de transit, volontaire ou involontaire, des populations chrétiennes, musulmanes ou juives, toutes assujetties aux changements politiques, sociaux ou climatiques4. 4 Je m’en tiendrai ainsi à un territoire que l’on peut qualifier de marginal, parce qu’il n’a pas attiré l’attention des historiens à cause du jugement négatif porté par Fernand Braudel sur les présides espagnols d’Afrique du Nord. Selon lui, les présides sont des vestiges durables, mais inutiles, d’une politique non aboutie, des espaces non reliés à l’histoire de la Méditerranée5. La vision braudélienne de l’isolement des présides, par rapport aux terres qui les entouraient, ne correspond pas à la réalité. Une étude plus détaillée sur l’histoire de ces présides devrait pouvoir montrer un niveau élevé de réactivité de ces places fortifiées aux bouleversements qui pouvaient se produire en Méditerranée, sinon dans son ensemble, du moins dans l’espace plus restreint de la Méditerranée occidentale6. Ces présides sont restés à la marge de l’historiographie et, pour le sujet qui nous intéresse ici, celui des captifs et de l’esclavage, les références les plus récurrentes font état du flot incessant de soldats qui désertaient ces châteaux, plantés au milieu de nulle part, pour s’intégrer aux sociétés métisses des villes côtières après avoir renié leur foi chrétienne, ou pour alimenter les marchés d’esclaves d’Alger ou de Meknès en se vendant eux-mêmes. On commence à mieux connaître ce phénomène, du moins dans le sens d’un flux nord-sud ou chrétienté-islam, qui représente un choix volontaire de certains individus pour devenir captifs et esclaves dans les villes maghrébines7. 5 On connaît moins les exemples associés au flux sud-nord, c’est-à-dire le cas d’individus vivant en terre d’islam, les moros, les árabes ou alarbes, les turcos des sources hispaniques8, qui vont d’eux-mêmes jusqu’aux présides, quitte à devenir esclaves des Espagnols et être envoyés dans les arsenaux du roi à Carthagène ou dans une maison privée de la péninsule. Maximiliano Barrio Gozalo9 avait attiré l’attention des historiens sur ces cas de transfuges, qui cherchaient à fuir ou la misère, ou les problèmes d’ordre privé ou judiciaire, qui les empêchaient de vivre dans leur pays. C’est un fait. Mais l’esclavage n’était pas la seule solution qui s’offrait à ces transfuges : les recherches menées sur la société musulmane d’Oran de la deuxième période d’occupation espagnole (1732-1792) tendent à montrer que certains Maures qui cherchaient refuge à Oran devenaient des soldats du roi d’Espagne, avec le salaire afférent, dans le corps de la compagnie de cavalerie des moros mogataces10, soit des Maures au service de l’Espagne dans les présides d’Afrique. Ils entraient à Oran en hommes libres et ils le restaient sans avoir d’autres contraintes que celles imposées par un service militaire de plus en plus La grande famine de 1750 dans l’Oranais : d’autres voies vers la captivité et... Cahiers de la Méditerranée, 87 | 2013 2 figé dans les textes et les mœurs. Il n’y avait pas de demande ou d’obligation de conversion de la part des autorités espagnoles du préside. Ce sujet mérite une réflexion à part entière. Nous espérons pouvoir la mener à terme dans un bref délai. 6 Le point central de cet article est le cas de l’arrivée en nombre d’hommes, de femmes et d’enfants maures, qui, poussés par la famine, la guerre, la peste ou d’autres maladies, demandent la protection et l’aide des autorités espagnoles du préside pour pouvoir survivre, et qui se retrouvent en esclavage11. D’autres Maures encore capturent leurs frères pour aller les vendre comme esclaves à Oran. Il s’agit donc d’une histoire de la violence, autre que celle exercée à travers la course ou sur les champs de bataille. La sécheresse, qui s’installe dans l’Oranais en 1750-1751, devient la plaie qui fait dépérir le blé, l’orge, le bétail et les hommes, au point que ces derniers, par centaines, les ventres gonflés et le regard creusé, voient dans les murailles d’Oran le dernier espoir pour échapper à la mort. L’Oranais et la disette de 1750 7 Pour bien comprendre le contexte de cette arrivée en masse de populations tribales de l’Oranais jusqu’au préside espagnol, il faut bien sûr prendre en compte la sécheresse qui détruit les récoltes et décime le bétail pendant le printemps, l’été et l’automne 1750. Les maures, qui vont faire du commerce à Oran, témoignent de la grande stérilité qui s’étend dans leurs champs et du manque de blé, ce qui provoque « des grands besoins et une famine générale »12. Il faut ajouter à cette détresse frumentaire, les années de longue instabilité politique causées par l’installation hispanique à Oran et à Mers el- Kébir en 1732, qui ébranla le pouvoir turc et ouvrit une période d’anarchie, affectant surtout les nombreuses tribus oranaises écartelées entre les projets hispaniques de contrôle indirect des ressources de la région et ceux des Turcs désirant retrouver l’influence perdue dans l’ouest de la Régence. Entre 1732 et 1750, l’occident de l’Oranais, c’est-à-dire la région de Tlemcen, semble s’éloigner du contrôle d’Alger. Les autorités de la Régence, passées les années de peste qui ont profondément marqué la ville d’Alger (1740-1744), s’efforcent de reprendre uploads/Geographie/ cdlm-7273.pdf
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- Publié le Dec 27, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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