Bull. Inst. Fr. Et. And. 1981, X, N? 3-4, pp. 99-111 LA CONQUETE DES MOTILONES

Bull. Inst. Fr. Et. And. 1981, X, N? 3-4, pp. 99-111 LA CONQUETE DES MOTILONES DU HUALLAGA CENTRAL AUX XVIIe ET XYIIIe SIECLKS Françoise Scazzocchio* Résumé L'effet primordial de la conquête de la Montana péruvienne dÙ Nord-Ouest a été la diminution considérable de la population indigène, qui selon les rapports jésuites fut réduite en 1762 à un cinquième de ce qu'elle était en 165,0, à la suite d'épidémies et d'expéditions punitives. Le schéma de l'avance espagnole fut le démembrement d'un gnmd nombre de petites "nations" isolées pour les rassembler en "reducciones",!' villages ou petites villes où les indiens étaient soumis à des autorités politiques et religieuse!:. dans le cadre de la société et de l'économie coloniales. Dans la région du Hua· llaga Central plusieurs groupes selvicoles distincts appelés génériquement Moti- lones furent rattachés au fort de Lamas au XVIIe et confondus dans un moule culturel colonial de caractère andin. En deux siècles (XVIIe et XVIIIé) se cons- titua une minorité quechuaphone aux traits particuliers, à laquelle est généralement attribuée au Pérou une origine légendaire Chanca. L'objet de cet article est de présenter brièvement les principales sources qui retracent la formation historique de la minorité Lamista Quechua. Cette for- mation, qui est comparable à celle d'autres minorités Quechua de la forêt en Equateur et au Nord du Pérou, exemplifie un modèle de domination qui fut projeté sur toute la Montana pendant l'époque coloniale mais ne fut vérità- blement consolidé que sur les confins andins. Abstract The main effect of the conquest in the North-West Peruvian Montana was a considerable decrease of the indigenous population according to Jesuit reports, in 1762 this population was reduced to a fifth of its 1650 size, due to epidemics and punitive expeditions. * EthnOlogue - University of Cambridge, Centre of Latin American Studies, West Road. Cambridge. CB 39 EF. Ingland. 100 F. SCAZZOCCHIO The Spanish pattern of conquest and settlement was the disintegration of many isolated smaU "nations" whose members were gathered into "reducciones": in these villages or smaU towns, Indians were subject to political and religious authorities in the framework of the colonial society and its economy. In the Central HuaUaga region, several distinctive forest groups generally called Moti· lones were attached to the fort of Lamas and homogenized in a colonial cultural mould with Andean features. In the space of two centuries (seventeenth and eight- eenth), a particular minority of Quechua-speaking Indians was formed. Peruvian opinion now generally attributes it a legendary Chanca origin. The aim of this paper is to present briefly the main evidence which can help tracing the historical formation of the Lamista Quechua minority. This for- mation is comparable to that of other forest Quechua minorities in Ecuador and Northern Peru. It also exemplifies a model of conquest that was projected onto the whole Montana during the colonial period but was only truly consolidated on the eastern slopes of the Andes. A l'exception de Pedro Weiss (1949), aucune des études récentes qui se ré- fèrent aux Indiens de Lamas (1) ne met en doute leur identité présumée comme descendants des Chancas, un peuple des Andes centrales qui chercha refuge dans la Montana après avoir été dérouté par les Incas au XVe siècle (2). Tessman (1930) semble ignorer cette version. Quant à Weiss, écrivant sur les groupes sanguins des indiens Lamistas, il remarque simplement que cette vue pourrait être erronée car "tout suggère qu'ils (indiens Lamistas) ne sont pas un groupe aborigène mais qu'ils ont été rassemblés par des missionnaires jésuites à partir de plusieurs tribus, dont aucune n'était peut-être quechuaphone et entre lesquelles un antagonisme est encore mani- feste" (1949: 1). Cette remarque originale n'est malheureusement appuyée par aucun argument et récemment le généticien Frisancho (1974, 1975a, 1975b), se basant aussi sur des analyses de groupes sanguins qu'il complémente par une étude historique, a pu affirmer comme définitivement prouvée l'origine andine des indiens Lamistas. Pour quelque raison, cette interprétation fait partie du bagage culturel historique péruvien et sa mise en cause n'est pas facilement acceptée. Il semble pourtant que sans faire des recherches d'archives poussées, les sources à l'appui (3) confirment la remarque de Weiss. Elles nous donnent des indications sur le caractère selvicole des populations contactées par les Espagnols au-delà de Moyobamba aux XVIe et XVIIe; elles nous permettent de retracer la formation de Lamas comme "reducci6n" entou- rée de six groupes distincts constituant des quartiers séparés; finalement, elles nous expliquent comment cette minorité s'est trouvée progressivement isolée dans une région vidée d'Indiens au cours du XVIIIe. (1) Cavero, 1928; Vasquez, 1949; Izquierdo, 1960; Barbor, 1965; Sandoval, 1972. On peut supposer que Cavero soit responsable de la diffusion de cette in- terprétation, car sa "Monographie de San Martin" eut une très grande popularité dans toute l'Amazonie péruvienne et à Lima. (2) Les historiens s'accordent sur la date de 1438 pour la défaite des Chancas par Tupac Yupanqui, à l'exception de Cobo qui propose une date plus ancienne. (3) Les sources concernant l'exploration, la conquête et la colonisation du Huallaga consistent principalement en lettres, chroniques et rapports parmi les- quels les documents jésuites sont apparemment les plus riches en information. Il est certainement possible de trouver, dans l'Archive Général des Indes ou à la Paperie, des documents additionnels mentionnés dans les sources que j'ai con- sultées. Cependant pour cet article je me limite aux sources publiées et à quel- ques archives locales (Moyobamba, Lamas). Je pense en effet que d'autres do- cuments enrichiraient certainement la discussion mais ne modifieraient pas sen- siblement l'argument que je poursuis. LA CONQUE TE DES MOTILONES AUX XVIIe - XVIIIe SIECLES 101 1. Des chasseurs de thes sans villages, ni chefs,. ni dieux "Autant, par la grâce de Dieu, l'humble soumission des indiens à leurs Incas et rois nous ont permis de les conquérir facilement, autant la liberté dans laquelle vivent ces indiens est la source principale de nos difficultés". (Jésuites, Letra Anua de 1635, entrée à Tabalosos). La région qui s'éntend à l'Est de Chachapoyas et que les Incas appelaient Rupa-Rupa, terres chaudes, ne fut pas proprement sujette à la paix incaïque. Bien que Tupac Yupanqui, après avoir conquis les Chachas, ait fait selon Garcilaso une incursion rapide jusqu'à "Muyupampa" (C.R. 3 et 4, ed/1966) et qu'il ait pu y laisser quelques hommes ou envoyer des "mitimaes" pour contrôler l'accès à la vallée du fleuve Mayo, cette conquête fut éphémère. Aux environs de 1450, les Chachas se soulevèrent contre Huayna Capac et continuèrent leur résistance jusqu'à l'arrivée des Espagnols auxquels ils s'allièrent pour se libérer du joug inca (Espinoza Soriano, 1967). Cette alliance peut expliquer comment les Espagnols poussèrent rapidement la conquête jusqu'à Chachapoyas, et de là à Moyobamba où, en 1538, Alonso de Al- varado fonda "Santiago de los Valles", probablement sur le site de l'avant-poste Chacha et Inca. Cette prise de possession ne fut cependant pas définitive et ce n'est qu'après les luttes intestines des Pizarro qu'une colonie fut véritablement constituée. Les sources qui se réfèrent à la région au-delà de Moyobamba s'accordent avec Garcilaso pour décrire "une région peuplée de différentes tribus; parlant des langues diverses, isolées les unes des autres et vivant chacune pour soi sans paix ni amitié entre elles, ni seigneurs ou états ou villes établies" (C.R. Ed. 1966:481). Un demi- siècle plus tard, selon Cespedes de Prieto, "la région qui s'étend au-delà de Mo- yobamba est peuplée par des gens qui n'ont pas de villages et vivent dispersés dans leurs jardins à distance les uns des autres; ils se rassemblent seulement pour se livrer à des beuveries au son de tambours et de trompettes et à la guerre avec d'autres nations" (1656, Rev. Arch. 1889 N? 3: 98-99) Ces populations anarchiques, ou "gente de behetria", furent décrites au moyen d'une grande quantité de noms particuliers et génériques faisant allusion à des caractéristiques corporelles ou de vêtements. Le nom générique le plus commun est celui de Motilones, ou crânes rasés (4). Malgré la confusion et la fantaisie des des- criptions, il se dégage des textes (Rev. Arch 1889) l'image relativement claire de petits groupements acéphales de 500 à 2000 personnes, distribués en hameaux dis- persés le long des rivières sur des territoires dont les limites semblent avoir été reconnues par leurs voisins. Des chefs guerriers, choisis pour leur bravoure et leur "cruauté", menaient les expéditions guerrières puis étaient déposés, ils ne semblent pas avoir eu de privilèges particuliers. Les guerres étaient fréquentes, à intervalles ré- guliers, entre des groupes opposés par une hostilité durable. Le but principal de ces guerres-raids, qui étaient rituellement préparées, était de se saisir des têtes des en- nemis pour les conserver comme trophées après les avoir longuement fêtées, (Figue- roa 1904:250-254). En 1653, pendant la campagne de Riva Herrera, à Tabalosos, "les soldats arrivèrent à la maison d'un chef indien appelé Juacapa où se trouvaient un grand nombre de têtes d'indiens de la nation des Amasifuynes avec lesquels les Tabalosos étaient en guerre ... Les Motilones decIarèrent que chaque année ils allaient une fois ou deux à la province des Amasifuynes, parce qu'ils uploads/Geographie/ conquete-motilones-huallaga-central-xvii-xviiie-scazzocchio.pdf

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