Pierre Courcelle Témoins nouveaux de la "région de dissemblance" In: Bibliothèq
Pierre Courcelle Témoins nouveaux de la "région de dissemblance" In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1960, tome 118. pp. 20-36. Citer ce document / Cite this document : Courcelle Pierre. Témoins nouveaux de la "région de dissemblance". In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1960, tome 118. pp. 20-36. doi : 10.3406/bec.1960.449594 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1960_num_118_1_449594 TÉMOINS NOUVEAUX DE LA « RÉGION DE DISSEMBLANCE » (Platon, Politique 273 d) A l'aide des travaux de MM. Taylor, Gilson, Déchanet, F. Ghâtillon, Didier, Dumeige, van den Eynde et de mes relevés personnels, j'ai dressé dans un article récent un Ré pertoire des textes où apparaît la « région de dissemblance » de Platon, expression riche de sens et chargée d'histoire x. Ce bilan s'élevait finalement à soixante-cinq textes de trente- trois auteurs différents, échelonnés de Platon à Pétrarque ; sur ce total, cinq textes antiques seulement, tous antérieurs au ve siècle ; soixante textes du xne au xive siècle ; rien dans l'intervalle. Un trou béant subsiste entre le texte an tique le plus tardif, c'est-à-dire un passage des Confessions de saint Augustin (n° 5), et le texte médiéval apparemment le plus ancien, celui d'Yves de Chartres (n° 6). D'autre part, il résultait de cet inventaire que le passage des Confessions peut rendre compte à soi seul de la plupart des textes médié- 1. Tradition nêo- platonicienne et traditions chrétiennes de la « région de di ssemblance », dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, t. XXIV, 1957, p. 5-33, où l'on trouve la bibliographie antérieure. Le Répert oire des textes occupe les p. 24-33. J'ajoute pour mémoire que l'expression région de dissemblance apparaît au xvne siècle non seulement chez Jansénius (mon Répertoire, p. 33), mais dans un commentaire anonyme des Confessions que préserve le manuscrit de Paris, Bibl. nat., fr. 24763, p. 106 : « Est-ce qu'es tant tousjours partout vous soyez pourtant esloigné de nos misères, parce que vous estes le centre de la béatitude et que nous estant escarté infiniment de vous, nous ayons volé si loiňg dans la région de dissemblance? » Cf. p. 240 (à propos de Conf. "VII, 10, 16, 22, éd. Labriojle, p. 162 : « in regione dissinp- litudinis ») : « Voylà une façon de parler des Platoniciens qui disoient que les créatures estoient semblables et dissemblables à Dieu : semblables parce qu'elles avoient esté créées de Dieu et à son image ; dissemblables parce qu'elles es toient des images imparfaictes et de foibles crayons des beaux traits de la divinité ». Ce commentaire serait du P. Thomassin, selon la démonstration du P. Bborovicz, sous presse dans Revue des Études augustiniennes, t. VII, 1961. TÉMOINS NOUVEAUX DE LA « RÉGION DE DISSEMBLANCE » 21 vaux, mais non de tous : le problème d'intermédiaires d'ori gine néo-platonicienne, inconnus ou perdus, se posait avec acuité. Or, voici que surgissent coup sur coup toutes sortes de témoins nouveaux, inédits ou non encore remarqués. Je ne dirai rien de deux d'entre eux, textes de Hugues de Soissons et de Nigellus de Longchamp, que mon estimé collègue A. Vernet a découverts et présentera dans un prochain vo lume de la Bibliothèque de V École des chartes^. En revanche, sept autres textes, dont l'un antique, appellent de ma part un commentaire plus ou moins développé. I. Textes du xne siècle En remontant du plus récent au plus ancien, nous ren controns d'abord un passage d'AiLRED de Rievaulx. Le Répertoire offrait déjà un passage de cet auteur (n° 57). Le précieux ouvrage du P. Amédée Hallier nous en révèle un second, tiré des Sermones de oneribus : Tractatus de lesu puero duo- denni I, 3, éd. A. Hoste (Par is, 1958 ; Sources chrétien nes, t. 60, p. 52-54. Cf. P. L., t. CLXXXIV, 852 A) : Ego, ego prodigus ille films, qui accepi ad me substantiam meam, nolens custodire ad te fortitudinem meam, profec- tus sum in regionem Ion- gin quam (LUC XV, 13), R EGIONEM DISSIMILITUDINIS,COm- paratus iumentis insensa- tis et similis redditus il- lis (Ps. XLVIII, 13). Ibi dis- sipaui omnia meauiuendo luxurioseet siccoepi egere (Luc XV, 13-14). Infelix eges- Sermo de oneribus 7, P. L., t. GXGV, 391 A-C : Sunt quippe regiones uicinae, sunt et longinquae... Deinde in regionem Ion gin quam pro- fectus fuerat filius adoles- centior et ibi dissipauerat omnia sua uiuendo luxu- riose (cf. Luc XV, 13). Sed cum pater Deus intelligatur, quo- modo ab ipso discedere uel ad ipsum redire potuit, qui ubique est? Quae regio longinqua illi est, extra quem nihil est? Sed regio longinqua dissimili- 1. Voir, en attendant, Bulletin de la Société nationale des Antiquaires, 1959, p. 108-111. 22 PIERRE COURCELLE tas, cui et panis defuit et рог- tudo est, sicut similitude» ui- corum cibus non pro fuit ! Se- cina. .. Virtus itaque et uirtutis quens quidem animalia im- praemium beatitudo, regio si- mundissima, erraui in solitu- militudinis est ; uitium et mi- dine... Goniiteantur tibi, séria, DissiMiLiTimiNis...Quot- Domine, misericordiae tuae quot autem et uitia, tot et re- (Ps. GVI, 4), quia satiasti ani- giones, quae ad earn, in qua mam inanem, et animam esu- omnia uitia sunt, pertinent re- rientem satiasti bonis ; pane gionem dissimilitudinis. utique illo, qui de coelo des cendit et, positus in praesepi, spiritalium factus est iumen- torum. Si l'on compare ces deux textes, rédigés à quelques années d'intervalle1, il est notable que le premier conserve quelque chose du dogme platonicien de la chute de l'âme dans un corps ; le second, en revanche, est surtout une allégorèse topographique, sorte de « carte » morale, comme on dressera au xvne siècle une « carte du Tendre ». Cette carte comporte une « région de ressemblance », emplacement des vertus qui procurent la beatitudo ; cette région elle-même est conçue par antithèse avec la « région de dissemblance » de Platon, imaginée ici comme un ensemble de « sous-régions », dont chacune correspond à l'un des vices qui engendrent la mise- ria. L'aspect schématique et pédagogique est très net, selon une tendance qui s'observe déjà dans tel sermon authentique de saint Bernard (Répertoire, n° 12) et chez Nicolas de Clair- vaux (n° 23), textes où figure aussi la « région de ressem blance ». L'on sait quels liens étroits unissaient ces trois Cis terciens. Dans une Lettre de l'an 1149, Wibald de Stavelot2 rap porte au style direct ce que furent ses hésitations et sa prière 1. Amédée Hallier, Un éducateur monastique. Aelred de Rievaulx, Paris, 1959, p. 18, retient comme dates : 1153-1157 pour le De Jesu puero duodenni et 1158- 1163 pour les Sermones de oneribus. 2. La graphie par W est conformé à la volonté de l'auteur, Epist. ad Mane- Soldum 147, P. L., t. CLXXXIX, 1256 G. TÉMOINS NOUVEAUX DE LA « RÉGION DE DISSEMBLANCE » 23 à la divinité (ancipiti meditatione), tandis que se préparait son élection comme abbé de Corbie : Fiat, Domine, uoluntas tua; iam de caetero neque délibéra* tionem nostram neque amicorum nostrorum sequi consilium sta- tuimus ; sed tu am uoluntatem et te, qui es uia, ueritas et uita (Ioh. XIV, 6), in hoc praesenti negotio sectari desideramus, Sed qualiter tuam uoluntatem cognoscemus, qui praesens es maiestate, sed nos in regione longinqua dissimilitudinis por- cos pascentes a te recessimus (cf. Luc XV, 13-15)? Temerarium est, ut certam uoluntatem tuam super hoc uerbo, quam nobis indicare digneris siue per angelům siue per aliquam subiectam tibi creaturam tuam siue per uisionem siue per oraculum, expe- tere praesumamus. Per eos itaque, in quibus habitas, scrutari tuae uoluntatis arcanum impium et praesumptuosum non est ; atque ideo fratrum et fîliorum nostrorum sententiam sequendam uoto tali tibi obligati arbitramur, ut quidquid ipsi dixerint, tenen- dum sit, quorum animas nobis seruandas tradidisti, cum simus ipsi animae nostrae mali custodes 1. L'on voit ici le TOTCoç àvo[i,otoT7)Toç de Platon identifié à la regio longinqua de la parabole de l'Enfant prodigue, au point de former une seule expression : « regio longinqua dissimili tudinis », plus explicite encore que le « longe me esse a te in regione dissimilitudinis » du livre VII des Confessions. Une tendance analogue s'observait en d'autres textes du Répert oire (nos 21, 37, 46, 48, 57, 58). Si Wibald songe à l'Enfant prodigue, ce n'est point par sentiment de ses fautes personn elles. Il regrette que, depuis la chute originelle, la condition humaine comporte l'ignorance des desseins de Dieu. Mais il se garde de vouloir présumer la volonté divine à son endroit et se plie par avance aux règles canoniques de l'élection. Gébouin de Troyes, préchantre à partir de l'an 1120, dans un « Sermon sur les fins dernières » récemment dé couvert par dom Jean Leclercq, applique aussi l'expression « région de dissemblance » à l'Enfant prodigue, c'est-à-dire à l'homme qui a oublié ses fins dernières : Fili, rememorare nouissima tua, et in aeternum non 1. Wibald, Epist. ad Bernardům Hildesheimensem episcopum 131, P. L., t. CLXXXIX, 1225 A. 24 PIERRE COURCELLE peccabis (EccliYll, 40). Filius prodigus iam in regionem dis- similitudinis ire proposuerat, et ex abundantia cordis uploads/Geographie/ courcelle-temoins-nouveaux-de-la-region-de-dissemblance-pdf 1 .pdf
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- Publié le Dec 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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