Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 La guerre en U
Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 La guerre en Ukraine a commencé en 2014 PAR AMÉLIE POINSSOT ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 1 MARS 2022 Une caserne ukrainienne de Crimée passée sous le contrôle de soldats sans insigne, 3 mars 2014. © Photo Amélie Poinssot / Mediapart L’offensive russe lancée aux premières heures du jeudi 24 février s’inscrit dans une longue progression du pouvoir poutinien en Ukraine. Elle a commencé il y a précisément huit ans, avec l’annexion de la stratégique péninsule de Crimée. C’était il y a précisément huit ans. Le 28 février 2014, dans une Crimée progressivement recouverte de drapeaux russes et occupée par une armée sans insigne pilotée par le Kremlin prenant le contrôle, l’un après l’autre, des points clefs de la péninsule – Parlement régional, aéroport, bases militaires... –, Mediapart rencontrait l’historien Alexandr Farmantchouk. Face à ces événements qui, pour la première fois depuis l’effondrement de l’Union soviétique, faisaient vaciller l’ordre mondial, il y a une issue possible, nous disait cet intellectuel local. Une formule triangulaire impliquant à la fois Washington, l’Union européenne et Moscou. « Il s’agirait de garder l’Ukraine une et indépendante, mais où les partenaires se répartiraient les zones d’influence: une zone d’influence russe en Crimée et dans l’est du pays; un centre et une capitale que les États-Unis veulent préserver de toute influence russe; et enfin l’Ouest sous influence américaine et européenne.» Un nouveau Yalta en quelque sorte. «Il ne faut pas oublier que l’Ukraine est elle-même le produit d’une désintégration historique tripolaire des Empires austro-hongrois, ottoman et russe, renchérissait Farmantchouk. Elle a une histoire très mouvementée, faite de conflits, où la paix n’a jamais duré. Elle est encore aujourd’hui dans un processus de stabilisation – un processus qui peut durer selon moi une cinquantaine d’années.» Une caserne ukrainienne de Crimée passée sous le contrôle de soldats sans insigne, le 3 mars 2014. © Photo Amélie Poinssot / Mediapart Difficile, alors, de s’imaginer qu’une telle prédiction pourrait se réaliser. Et pourtant. C’est bien un nouveau soubresaut, cruel, de l’histoire postsoviétique qui emporte l’Ukraine depuis jeudi. Et c’est cette occupation de la Crimée, remarquable d’efficacité sur le plan militaire, qui ouvre la séquence qui nous amène à aujourd’hui. Si jeudi 24 février 2022 le monde a changé, la géopolitique du continent européen a été bouleversée dès le 27février 2014, lorsque, au petit matin, la population de Crimée s’était réveillée avec le drapeau russe flottant sur son Parlement. La suite sera écrite quelques semaines plus tard: référendum, puis annexion par la Fédération de Russie. La péninsule ukrainienne, idéalement située entre le sud de la Russie, la Turquie et l’est de l’Union européenne, d’où la flotte russe n’était jamais partie après l’effondrement de l’URSS, passe intégralement sous contrôle de Moscou. Et devient dès lors une pièce maîtresse sur l’échiquier russe: depuis jeudi, c’est par là, entre autres, que des troupes russes se sont introduites en Ukraine. Elles ont été vues à Berdiansk, à Kherson et à Mykolaïv, notamment. Quelques jours après la prise de contrôle éclair de la Crimée, en 2014, un consultant ukrainien en affaires militaires, Sergueï Sgouriets, confiait que cette opération avait très certainement été préparée le jour de la chute du président pro-russe Viktor Ianoukovitch, le 22février 2014. Et que désormais Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 Vladimir Poutine allait utiliser la Crimée «comme moyen de pression pour changer le gouvernement à Kiev et imposer un exécutif qui lui soit favorable». Si telle était la volonté du président russe, il n’y est pas parvenu. À Kiev, la population n’a jamais voulu revenir dans le giron russe. Pour continuer à déstabiliser le pays, Vladimir Poutine a avancé d’autres pions. Depuis 2014, 13000 morts et 730000 personnes déplacées Deux mois plus tard, c’est dans le Donbass, région de l’Est ukrainien, que les troupes russes font leur incursion. Et qu’un conflit, long et pernicieux, s’installe. Les républiques autoproclamées de Louhansk et de Donetsk, caillou dans la chaussure du gouvernement ukrainien élu après la révolution du Maïdan, l’empêcheront de crier victoire et d’engager pleinement les réformes qu’il avait l’ambition de mener dans le pays: la tutelle russe est toujours là, certes reléguée dans ces territoires qui s’enfoncent de plus en plus dans l’oubli, mais de plus en plus hostile au pouvoir ukrainien qui a eu l’outrecuidance de balayer l’ère Ianoukovitch. À l’époque, l’ambition non avouée du Kremlin, où les thèses de l’idéologue Alexandre Douguine ont l’oreille du président, est de créer la Novorossia, une «nouvelle Russie» qui permettrait de rassembler les territoires du Donbass, le port de Marioupol sur la mer d’Azov – lequel a momentanément basculé en 2014 du côté pro-russe –, toute la côte sud de l’Ukraine donnant sur la mer Noire, jusqu’à Odessa d’où les nouveaux territoires auraient pu faire la jonction avec la Transnistrie voisine. En rouge, les territoires séparatistes ou annexés par la Russie. © Carte Mediapart Cette dernière, conquise sur la Moldavie, fait partie depuis longtemps de ces conflits gelés de l’espace postsoviétique, entité non reconnue par la communauté internationale mais soutenue par Moscou qui y règne en maître. Odessa, de fait, avait vacillé en mai 2014, également sous la pression de mouvements pro-russes. La progression de ces séparatistes orchestrée par le Kremlin avait fini par être cantonnée aux régions de Donetsk et de Louhansk. Mais la pression sur ces territoires, et les conséquences pour le reste du pays, ne s’est jamais relâchée. Régulièrement, des affrontements reprenaient sur la ligne de front, et les populations locales ont dû fuir en masse. Avant l’offensive russe lancée sur le reste du pays la semaine dernière, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) dénombrait plus de 730000personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 à cause de ce conflit, ainsi que 1,62million de personnes vivant dans des zones dangereuses et instables. Véhicules militaires russes arrivant dans la région de Kherson en provenance de Crimée, au matin du 25 février 2022. © Capture d'écran EyePress News / AFP Cette guerre dans le Donbass a également fait quelque 13000morts et plus de 23000blessés, selon les chiffres que rapporte Oleksandra Matviychuk, qui dirige à Kiev l’ONG Centre pour les libertés civiles, contactée lundi au téléphone. Ce conflit sans fin, qui s’enlisait dans une forme de guerre figée, avait fini par sortir des radars médiatiques. Et même si, dans la capitale ukrainienne comme dans les régions de l’Ouest, la position dominante restait celle de la volonté de récupérer les territoires, la société elle-même s’était au bout du compte détournée de ces régions. Préférant élire, en 2019, le novice en politique Volodymyr Zelinskyplutôt que reconduire l’oligarqueintroduit sur la scène internationalePetro Porochenko. Le pays réveillé par les chars russes jeudi dernier est donc un pays profondément chamboulé, déstabilisé, meurtri par le pouvoir poutinien depuis 2014. Un pays où la guerre d’information fait rage, aussi, depuis lors, comme le rappelait l’essayiste britannique Carole Cadwalladr dimanche sur Twitter. « Pour nous, l’invasion russe n’est pas nouvelle,dit le philosophe ukrainien Volodymyr Yermolenko, joint lundi par téléphone. C’est la continuation de ce qui se fait depuis 2014. La dimension nouvelle, c’est que la guerre se fait maintenant dans le ciel. Il y a des bombardements, partout, des hélicoptères qui survolent Kiev… Alors que dans le Donbass, c’était une guerre d’artillerie.» Du côté de la société ukrainienne, la donne a aussi bien changé depuis huit ans.«À l’époque, l’Ukraine était en position de faiblesse, éreintée par les trois mois de mobilisation sur le Maïdan, raconteOleksandra Matviychuk. Le président Viktor Ianoukovitch avait fui en Russie, tous les organes de l’État ne fonctionnaient pas correctement. Le pouvoir russe avait profité de ce moment où nous n’avions pas assez de force pour réagir.» Cette fois-ci, c’est bien différent.«L’armée ukrainienne est beaucoup plus forte à présent, observe cette avocate de formation. Et la mobilisation est immense dans la société civile. À tel point qu’en ce moment, à Kiev, les comités locaux de défense sont débordés de volontaires et qu’ils ne peuvent pas trouver une place à chacun…» Ce dynamisme et cette capacité d’auto-organisation font émerger d’innombrables initiatives de solidarité. Et surtout, une volonté farouche, viscérale, de résister contre l’occupant. En face, Poutine et sa compréhension du monde, eux, semblent figés depuis 2014. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 uploads/Geographie/ crimea.pdf
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