f r a n ç o i s - x a v i e r v e r s c h a v e F RA N C E- AF R I Q U E le cri

f r a n ç o i s - x a v i e r v e r s c h a v e F RA N C E- AF R I Q U E le crime continue France-Afrique : le crime continue est la retranscription, revue par l’auteur, d’une conférence-débat qui s’est tenue à la librairie La Gryffe (Lyon) le 5 décembre 1998. Une première version a été éditée sous le titre France-Afrique : le jeu de massacre par les ÉD I T I O N S D E L A CR I É E en juin 1999. Photographie de couverture : © Roger-Viollet éditions tahin party 20, rue Cavenne – 69007 Lyon – france tahin-party@worldnet.fr ISBN 2-912631-02-5 « Je ne serais plus jamais le nègre de personne. » James Baldwin, … chassés de la lumière…, Stock, 1972 « Je suis dans le malheur. Je ne veux pas retourner dans un pays noir. » Bouna Wade, Sénégalais de 17 ans, mort le 9 juin 1999 en tentant de rallier clandestinement la France par avion. À quoi servent les clichés ? 6 Fr a n c e - A f r i q u e : le crime continue 9 Glossaire 62 Pasqua versus Verschave 68 À propos de François-Xavier Verschave 70 Bibliographie complémentaire 72 7 Cette vision occidentale de « l’Afrique » est directe- ment issue du racisme colonial. Les discours ont simple- ment été remis au goût du jour : les individus sont moins donnés comme les représentants d’une race différente ( « les Noirs ») que d’une culture d i f f é rente ( « l e s Africains »). Les discours culturalistes se surimposent aujourd’hui aux discours racistes ; les uns et les autres permettent de justifier l’exploitation et les traitements d i s c r i m i n a t o i res qui fondent le néo-colonialisme. Le schéma ne change guère, l’Occident demeure imbu d’une supériorité établie selon ses propres critères. Il suffit de voir l’enjeu idéologique que représente la grand-messe de la francophonie… En contrepoint du mythe de l’Afrique « sauvage et naturelle », survit celui de la france* « généreuse et por- teuse de progrès ». Alors que sa politique africaine compte parmi les plus meurtrières qu’ait comptées notre siècle, la france conserve, aux yeux de l’opinion interna- tionale, l’image fantoche de pays des « d roits de l’Homme », et demeure convaincue que le reste du monde ne peut se passer de ses Lumières. C o n t r a i rement à l’Allemagne, « n o t re » pays n’ a jamais été contraint de se pencher sur son passé pour se l i v rer à une réelle autocritique. La bonne conscience de l’opinion s’appuie sur une complaisance dans le non- savoir qui est en elle-même une complicité. L’ i g n o r a n c e est aussi savamment entre t e n u e : les leçons de l’école 6 À Q U O I S E RV E N T L E S C L I C H É S ? D ans l’imaginaire occidental, l’Afrique reste un vaste cliché : savanes-pleines-d’animaux-sau- vages, folklores exotiques… Il n’y a pas jusqu’aux épidémies et famines chroniques, jusqu’aux guerres tri- bales, ethniques ou claniques et aux dictatures sangui- n a i res qui ne soient systématiquement convoquées au grand carnaval des idées reçues. L ’Afrique serait rétive à la « d é m o c r a t ie », incapable de se « d é v e l o p p er »... Enten- dons-nous bien : il ne s’agit pas de nier l’existence de famines ou de dictatures, bien réelles hélas, mais de cri- tiquer le caractère de fatalité africaine qu’on leur prête volontiers en Occident. Le premier stéréotype dont pâtissent les Africains e t les Africaines est ce « L’ A f r i q u e » qui gomme la diversité des réalités politiques et économiques et renvoie chaque pays au seul contour géographique d’un continent : il fonctionne de la même manière que les discours biologi- sants qui figent les individus dans une n a t u re ou une tra- dition indépassables. Il suffit de parcourir les dépliants des agences de voyages pour compre n d re qu’aller « l à - b a s », c’est encore, sinon apporter la civilisation, du moins se conforter dans la croyance que l’Occident est l a c i v i l i s a t i o n . * – tahin party aime décapitaliser certaines Entités. 9 FRA N C E- AF R I Q U E le crime continue J e vais essayer de vous résumer quatre décennies de relations entre la France et l’Afrique. Je vais parler des responsabilités françaises par rapport à ce qui se passe en Afrique. Il est évident que les Africains ont une responsabilité importante, mais, en tant que citoyens français, c’est la part de responsabilité de notre pays qui nous intéresse en priorité. Plusieurs de mes affirmations vous paraîtront peut- être incroyables : à force de travailler sur ces questions, nous avons peu à peu découvert un certain nombre de faits qui, à nous aussi, semblaient tout à fait invraisem- blables. Pourtant, c’est bien ainsi que ça se passe : sou- vent, dans les relations franco-africaines, la réalité dépasse la fiction. 8 ou des médias ne nous apprennent presque rien des colonialismes passés et présents. « N o t re » histoire nous est présentée comme une épopée glorieuse et on ne dit jamais que la colonisation est criminelle et n’ a u r a i t jamais dû se pro d u i re. Sur le néo-colonialisme actuel, le silence se fait plus pesant encore. Si nous pouvions i n t e rvenir sur la politique étrangère du gouvernement, e n c o re faudrait-il que nous puissions nous prononcer en connaissance de cause. « L’accueil » que, de ce côté-ci de la Méditerranée, nous réservons aux sans-papiers et aux migrants en général, n’est pas sans rapport avec ces politiques afri- caines : les quelques non-blancs qui ont acquis droit de cité, pour avoir contribué par exemple à la victoire de l’équipe nationale de football, risquent fort de servir d’alibis en occultant le travail précaire, les contrôles et les coups de matraque, les insultes quotidiennes et la fréquente clandestinité qui attendent les autres « préten- dants » à la france. Tout nous serait dû. Rien ne nous serait imputable. Concrètement, tout est pour nous, occidentaux. La Terre n’est pas le centre de l’Univers, la france n’est pas le centre du monde. Décoloniser l’Afrique. Défranciser le monde. Vaste tâche, vu l’ampleur des dégâts. tahin party moment du génocide au Rwanda, ce troisième ou qua- trième génocide du siècle (il y a des débats sémantiques sur l’appellation des immenses massacres cambodgiens) dans lequel la France est mouillée jusqu’au cou, même si une MISSION PARLEMENTAIRE1 tronquée va vous affirmer le contraire. Personne à l’étranger ne doute un instant que la France était dans le camp des auteurs du génocide, qu’elle lui a fourni des armes et l’a soutenu diplomati- quement tout au long du génocide, et même après. Cette criminalité politique a continué de s’afficher, puisque dans la foulée de l’OPÉRATION TURQUOISE, la France a réha- bilité le maréchal Mobutu – celui qui a réussi à transfor- mer le Zaïre, pays-continent richissime en matières pre- mières, en la contrée la plus pauvre d’Afrique. Et un mois après, en août 1994, nous apprenions à l’occasion de la « livraison » de Carlos que la France s’était alliée, au Sou- dan, à un régime intégriste, une dictature militaire qui affame et massacre les populations du Sud – causant la mort de plus d’un million et demi de personnes au nom d’une politique tout à fait fascisante. Le dévoiement de l’APD est donc lié à une politique qui provoque ou cau- tionne des massacres considérables. En tant qu’associa- tion, nous avons alors décidé d’adopter une stratégie de rupture, de faire savoir et de répéter, inlassablement, que ce n’est pas la peine de parler d’aide publique au déve- loppement si, dans le même temps, on soutient des dic- tatures qui massacrent à travers l’Afrique. 11 Pourquoi, d’abord, me suis-je penché sur cette ques- tion ? Je fais partie d’une association, Survie, qui se bat depuis une quinzaine d’années contre un scandale per- manent : plus d’un milliard d’humains vivent dans la pauvreté absolue, trente mille enfants meurent tous les jours faute de soins ou d’alimentation suffisante. À Sur- vie, nous avons entrepris un combat politique, d’abord assez consensuel : nous voulions faire voter une proposi- tion de loi qui fasse en sorte que l’aide publique au déve- loppement (APD) – les quarante milliards de francs d’im- pôts prélevés sur les Français, prétendument pour aider le Tiers-Monde – servent vraiment à lutter contre la pau- vreté. Plus modestement, on demandait qu’au moins un septième de cet argent soit mobilisé, selon uploads/Geographie/ francafrique-le-crime-continue-francois-xavier-verschave.pdf

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