DES “GUERRIERS LIBYENS” DANS LA RÉGION DU...MZAB ! par Malika Hachid Préhistori
DES “GUERRIERS LIBYENS” DANS LA RÉGION DU...MZAB ! par Malika Hachid Préhistorienne Dans le courant du printemps 2006, nous avons été amenés à authentifier un site rupestre dans la région du Mzab où les Autorités locales et celles en charge du patrimoine nous ont reçue avec l’hospitalité que l’on connaît aux populations sahariennes (1). Une photographie des gravures rupestres de ce site nous avait été soumise par M. Betrouni, Directeur du Patrimoine culturel, qui s’était auparavant rendu sur les lieux; bien que celle-ci donnait à voir une image de ce qui paraissait être un “guerrier libyen”, il était nécessaire de s’en assurer, sachant qu’à une telle latitude, elle était pour le moins inattendue. Par rapport à une concentration rupestre majeure comme celle de l’Atlas saharien, ou d’importance moyenne comme celles des régions de Constantine ou de Tébessa, la zone du Mzab ne possède certes pas autant de sites rupestres, mais elle n’en est pas non plus dépourvue, la plupart des figurations appartenant au registre récent de l’art rupestre. On comprendra donc notre surprise lorsque nous nous sommes trouvés face à un site dont la majeure partie des gravures sont homogènes et représentent une série de personnages parfaitement connus des spécialistes de l’art rupestre saharien sous le nom de “guerriers libyens”, terme que H. Lhote emprunta aux écrivains latins (Lhote, 1972). En attendant une étude plus approfondie, nous présentons ici les principaux éléments de ce site exceptionnel en raison de sa situation géographique, sachant que le centre historique de la culture des “guerriers libyens” se trouve au Sahara méridional, dans les massifs de l’Ayar et l’Adrar des Ifoghas (bien qu’on lui connaisse des extensions au Sahara central) qui bénéficiaient encore d’une humidité de type sahélien comme en témoigne la faune gravée. Le site de Hikel ou Ben Haïkel se trouve à 20 km environ au nord de Dhaya Bendahoua et à une trentaine de kilomètres, à vol d’oiseau, au nord de Ghardaïa. Les gravures se trouvent sur la rive droite d’un petit oued coulant de manière intermittente à la saison pluvieuse et ont été réalisées sur les parois verticales du front d’un relief rocheux, ainsi que les rochers dans l’éboulis de pente (fig. 1)(en raison des dangers qui pourraient peser sur ce site et de la législation algérienne, les coordonnées des lieux ne sont pas rendues publiques). Ces gravures sont facilement accessibles et exposées à deux menaces : la visite non accompagnée du site qui engendrerait aussitôt, on le sait, des graffiti, et l’exploitation de carrières de pierres; celles-ci ont été signalées dans le rapport transmis aux Autorités concernées dont l’intérêt et l’organisation semblent tout à fait à même d’y faire face. Le père Miguel de Ghardaïa a eu l’amabilité de nous soumettre une carte annotée par feu père Chirron (décédé en 1995) : sur ce document, un trait au crayon passant par le site rupestre montre qu’aux cours de ses prospections dans la région, le père Chirron semble bien avoir vu ces gravures qu’il n’a sans doute pas signalées, se contentant de noter leur accès. Les caractéristiques bien connues des “guerriers libyens” les rendent immédiatement identifiables tant l’image est stéréotypée : une à trois plumes dans les cheveux, lances à la main avec un fer volontairement agrandi, tunique quadrangulaire avec découpes géométriques intérieures, jusqu’à l’un d’eux, en position centrale, qui porte le baudrier croisé sur la poitrine (fig. 2 et 3), un élément socioculturel emblématique et fort ancien que nous avons précédemment mis en valeur chez les Libyens orientaux et les Libyens sahariens contemporains des pharaons (Hachid, 2000 : 73). Par ailleurs, on sait que chez ces mêmes Libyens orientaux, le nombre de plumes dans les cheveux indiquait la qualité de celui qui les portait, d’où le terme de “plumes de commandement” (Hachid, 2000 : 160, fig. 231). Le traitement de deux d’entre eux a été particulièrement soigné (fig. 2 et 3); occupant une position centrale, ils apparaissent comme les chefs d’un groupe dont les autres membres sont traités avec moins de soin et de détails et dans des dimensions inférieures (fig. 7), excepté un personnage visiblement féminin (fig. 4). Cependant, pour plusieurs d’entre eux, ces “guerriers libyens” brandissent une lance à la main, signe de leur qualité de guerrier, une arme qu’ils utilisaient aussi pour la chasse, comme le donne à voir l’art rupestre du Sahara méridional. Sous réserve d’une étude approfondie, il est curieux de constater qu’aucun de ces hommes ne brandit le petit bouclier rond (parfois aussi, de forme ogivale, carrée ou rectangulaire) accompagnant habituellement la lance ou le javelot, à moins qu’il n’ait été -à peine- esquissé pour l’un d’entre eux, au niveau de la main gauche (fig. 7). Pas plus que ne figure le couteau-pendant de bras. Ces hommes semblent s’être contentés de représenter quelques-uns de leurs traits identitaires, mais il n’est pas impossible que la grande dureté de la roche les ait dissuadé d’aller dans le détail. En effet, ces guerriers ne portent pas ces autres attributs bien connus dans le massif de l’Ayar et l’Adrar des Ifoghas, à l’instar des coiffures bi ou trilobées très élaborées, avec parfois jusqu’à six plumes d’autruches, de la tresse dite “berbère” , des boucles d’oreilles, des pompons sur les épaules, des diverses breloques et pendentifs portés autour du cou ou fixés sur les vêtements. Bien que figurés assez sommairement avec une tête plus ou moins circulaire, c’est bien une tunique en cuir que portent ces personnages, s’évasant vers le bas pour l’un d’eux (fig. 2, à droite). Au Sahara méridional, l’intérieur du vêtement est marqué de divers motifs géométriques (ligne, cercles, chevrons...) typiques du décor géométrique berbère; ici il s’agit de simples découpes internes. L’un des personnages, les doigts des mains en éventail, est, comme les deux précédents, figuré dans de grandes dimensions (fig. 4); il pourrait représenter une femme comme semble l’indiquer le gros point gravé juste sous la ligne ventrale et qui semble suggérer le nombril, comme une sorte d’allusion au ventre fécond; à l’image des chefs, cette femme porte une plume dans les cheveux; il est possible qu’on ait voulu tracer quelques traits de son visage. Au Sahara méridional, la représentation de la femme est fort diversifiée et varie selon les étages; ici on la reconnaît à la partie charnue des fesses ou à un fort déhanchement, plus tard, notamment dans l’Adrar, à une robe longue, plus ou moins cintrée puis s’évasant et tombant aux chevilles, alors que la tête peut être coiffée d’un petit bonnet pointu. Tel n’est pas le cas ici, où cette femme a été traitée plus simplement, avec, cependant, la volonté de marquer son statut comme le montrent ses dimensions, la plume dans les cheveux, et, peut-être aussi le petit cavalier placé volontairement sous son bras, comme si elle en était la protectrice (fig. 5). Ces “guerriers libyens” ne semblent pas avoir figuré d’animaux sauvages comme c’est le cas au Sahara (sous réserve que certaines figures secondaires décrites ci- dessous leur soient rattachées). Mais, on ne sait s’il aurait été pertinent pour eux de figurer une faune qui appartenait au Sahara méridional (éléphant et rhinocéros) et central (girafe) d’où ils venaient et qu’ils n’ont pu trouver sur les lieux. Par les sources antiques, on sait que les bordures septentrionales du Sahara abritaient une faune de pré-désert où prédominaient les autruches, les antilopinés, les mouflons, les félins et canidés. Ils auraient pu, aussi, être accompagnés de la faune domestique qu’on leur connaît, des ovicaprinés notamment, sachant que pour les boeufs qu’ils ont représentés en abondance sur les parois de l’Adrar des Ifoghas (où l’étage des chars schématiques révèle une économie quasi pastorale selon H. Lhote, A. Muzzolini et Ch. Dupuy), il aurait été plus difficile de les acheminer, même si la chose n’était pas complètement impossible. Au Sahara méridional, les “guerriers libyens” sont généralement accompagnés de chevaux et de dromadaires (ce dernier figurant après le cheval ou dans le même temps, selon les chercheurs). A Ben Haïkal, c’est un cavalier de petites dimensions, par rapport aux personnages, qui a été figuré, sa technique de gravure et sa patine étant identiques à celles de la femme qui semble le protéger de son bras; on sait qu’au Sahara méridional, le cheval monté ou tenu par la bride est souvent figuré dans des proportions plus réduites que celles du cavalier qui l’accompagne. On se serait plutôt attendu à ce que ces guerriers aient représenté un cheval de plus grandes dimensions, monté, ou, plus simplement, figuré au côté de l’un d’eux (notamment l’un des deux “chefs” au traitement soigné), comme c’est le cas au Sahara méridional. Un autre intérêt de cette série rupestre est de figurer trois inscriptions verticales incontestablement associées aux “guerriers libyens”; figurées côte à côte, verticales et très courtes, elles ont à peine trois caractères pour celle de droite, quatre à cinq pour les deux autres (fig. 6); si ceux du bas sont bien visibles, ceux du haut sont confus, notamment pour l’inscription de gauche. Étant donné l’âge que l’on peut attribuer à cette série rupestre (voir ci-dessous), elle sont assurément libyques. uploads/Geographie/ des-guerriers-libyens-dans-la-region-du-mzab.pdf
Documents similaires










-
28
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 28, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0670MB