Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Ousseynou Kane Laval théologique et philosophique, vol. 53, n° 3, 1997, p. 519-530. Pour citer la version numérique de cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/401110ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf Document téléchargé le 14 February 2010 « Descartes et Pascal : deux hommes, un siècle » Laval Théologique et Philosophique, 53, 3 (octobre 1997) : 519-530 DESCARTES ET PASCAL : DEUX HOMMES, UN SIÈCLE Ousseynou KANE RÉSUMÉ : La philosophie peut encore réconcilier Pascal et Descartes, après des siècles de malen- tendu. L'auteur prend acte de la force des aphorismes souvent inachevés de Pascal concernant Descartes. Malgré le fossé qu'ils semblent creuser, ils paraissent néanmoins viser en réalité le « moi » profond de Pascal qu'il sait appartenir, par-devers lui-même, au même siècle de géo- mètres. La critique pascalienne doit être lue plutôt comme un « paradoxe philosophique ». SUMMARY : Philosophy may still reconcile Pascal and Descartes, after centuries of misunder- standing. The author reflects on the force of the often unfinished aphorisms of Pascal that concern Descartes. In spite of the gulf which they seem to deepen, they nevertheless appear in reality to be aimed at Pascal's own deeper self which, as he knows within himself, belongs to that same century of geometers. Pascal's critique should be read rather as a "philosophical paradox". A u moment où la communauté philosophique célèbre avec une belle unanimité le quatrième centenaire de la naissance de Descartes, je me suis permis de penser qu'une lecture à contre-jour, forcément critique, ne répugnerait point à l'illustre par- rain, et pour cet éclairage particulier, j'ai choisi celui que l'historiographie et les tex- tes ont coutume de donner comme l'envers, à la fois positif et négatif, du blason car- tésien : Pascal. Entreprise périlleuse s'il en est, car l'apologiste ne semble pas porter beaucoup d'estime à l'auteur du Discours de la méthode. En fait, les remarques explicites de Pascal sur Descartes rempliraient à peine une page, mais la force de ces aphorismes souvent inachevés vient de ce qu'ils portent la marque froide et acérée d'une lame dont la fonction est de châtier et de séparer. L'ivraie du bon grain, la mystification de la vérité. Et nous voilà sur des chemins qui s'entêteront à s'éloigner. C'est Pascal qui tirera le premier : « Je ne puis pardonner à Descartes : il voudrait bien, dans toute la philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empêcher 519 OUSSEYNOU KANE de lui (faire) donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement ; après cela, il n'a plus que faire de Dieu1 ». Cet « impardonnable » prend d'ailleurs rapidement les accents d'un anathème, quand l'accusation s'écrit en lettres de feu comme en cette nuit du Mémorial : Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certi- tude, certitude, sentiment, joie, paix. Dieu de Jésus-Christ2. C'est parti pour 400 ans de malentendu philosophique. Je dis bien malentendu, car malgré le fossé que semblent creuser ces mots, j'ai l'intime conviction que Pascal et Descartes appartiennent au même monde, au même siècle. Ce siècle, le XVIIe siècle, est bien celui du rationalisme triomphant. On a pu par- ler de « révolution copernicienne » pour marquer la fracture entre les anciennes re- présentations du monde et l'émergence d'une raison scientifique qui s'est résolument coupée de la vision aristotélicienne. Mais il ne suffisait pas de passer à l'héliocen- trisme, on ne faisait encore que renverser les points d'ancrage et de référence de notre pensée. Il fallait encore que ce qui n'était qu'un retournement mental devienne une règle de pensée et de ce point de vue là, je pose que la vraie révolution de la raison est galiléenne, en tant que c'est l'auteur des Discours et démonstrations mathémati- ques concernant les deux sciences nouvelles qui marque un rationalisme réellement appliqué, tournant définitivement le dos à toutes les anciennes « métaphysiques ». Quelqu'un comme Kant, qui est aussi l'héritier de ce siècle-là, ne s'y est: pas trompé. Il a bien vu l'univers nouveau qui s'ouvrait à cette raison conquérante et in- ventrice lorsqu'il écrit dans la préface de la seconde édition de la Critique de la rai- son pure : Quand Galilée fit rouler ses sphères sur un plan incliné avec un degré d'accélération dû à la pesanteur déterminé selon sa volonté, quand Torricelli fit supporter à l'air un poids égal à celui d'une colonne d'eau à lui connue, ou quand, plus tard, Stahl transforma les métaux en chaux et la chaux en métaux, en leur ôtant ou en lui restituant quelque chose, ce fut une révélation lumineuse pour tous les physiciens. Ils comprirent que la raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même d'après ses propres plans et qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent ses jugements, suivant des lois immuables, qu'elle doit obliger la nature à répondre à ses questions et ne pas se laisser conduire pour ainsi dire en laisse par elle. Et Kant conclut : La Physique est ainsi donc redevable de la révolution si profitable opérée dans sa méthode uniquement à cette idée qu'elle doit chercher dans la nature — et non pas faussement ima- giner en elle — conformément à ce que la raison y transporte elle-même, ce qu'il faut qu'elle en apprenne et dont elle ne pourrait rien connaître par elle-même. C'est par là seu- 1. Pensées, §1001. Par souci de commodité, et sauf indication contraire, tous les textes de PASCAL sont tirés de l'édition des Œuvres complètes, Louis Lafuma, Seuil, 1963. Il en est de même pour DESCARTES : Œu- vres et Lettres, textes présentés par André Bridoux, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1953. 2. Œuvres complètes, p. 618. 520 DESCARTES ET PASCAL : DEUX HOMMES, UN SIÈCLE lement que la Physique a trouvé tout d'abord la sûre voie d'une science, alors que depuis tant de siècles elle en était restée à de simples tâtonnements3. Si donc la raison n'est plus élève — comme elle l'était depuis Platon — mais juge, il importe qu'elle connaisse d'abord l'étendue de sa puissance et donc qu'elle s'estime elle-même. Savoir n'est plus ainsi connaître quelque chose comme objet déterminé, posé devant un sujet considéré comme « animal rationnel », mais c'est apprendre d'abord à se connaître soi-même en définissant et en maîtrisant les princi- pes qui fondent notre faculté de juger. On ne s'étonnera donc pas que ce siècle soit aussi celui de la méthode et des « règles pour la direction de l'esprit ». Dès la première « Régula », Descartes définit ce nouveau projet de la raison : « Le but des études doit être de diriger l'esprit pour qu'il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui4 ». Et il précise plus loin, marquant bien la césure avec la démarche encyclopédique qui depuis Aristote définissait la fin de la raison : En vérité, il me semble étonnant que presque tout le monde étudie avec le plus grand soin les mœurs des hommes, les propriétés des plantes, les mouvements des astres, les trans- formations des métaux et d'autres objets d'études semblables, tandis que presque personne ne songe au bon sens ou à cette sagesse universelle, alors que cependant toutes les autres choses doivent être appréciées moins pour elles-mêmes que parce qu'elles y ont quelque rapport. Ce n'est donc pas sans raison que nous posons cette règle comme la première de toutes, car rien ne nous éloigne plus du droit chemin pour la recherche de la vérité, que d'orienter nos études, non vers cette fin générale, mais vers des buts particuliers5. Et parce qu'il est évident, comme l'écrit encore Descartes dans la règle IV qu'« il est bien préférable ne jamais chercher la vérité sur aucune chose, plutôt que de la faire sans méthode6 », chacun, dans le siècle, y va de son Discours de la méthode, même si tous travaillent à vouloir se contredire les uns les autres. C'est Spinoza qui, avec son Traité de la réforme de l'entendement et de la meil- leure voie à suivre pour venir à la connaissance vraie des choses, épouse avec le plus de fidélité les options définies dans la première règle : « Je m'attache d'abord à ce qui doit venir le premier, c'est-à-dire à réformer l'entendement et à le rendre apte à con- naître les choses comme il est nécessaire pour atteindre notre but7. » Ensuite viennent tous les autres, parents proches ou éloignés uploads/Geographie/ descartes-et-pascal-deux-hommes-un-siecle.pdf

  • 15
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager