Espèces d’espaces Georges Perec L'apparTEMENT p8 La rUE p32 LE QUarTIEr p54 La

Espèces d’espaces Georges Perec L'apparTEMENT p8 La rUE p32 LE QUarTIEr p54 La VILLE p60 La VILLE p60 La caMpaGNE p76 LE paYs p86 LE MoNdE p94 Figure 1. Carte de l’océan (extraits de Lewis Carroll, La Chasse au snarck). ESPACE ESPACE LIBRE ESPACE CLOS ESPACE FORCLOS MANQUE D’ESPACE ESPACE COMPTé ESPACE VERT ESPACE VITAL ESPACE CRITIQUE POSITION DANS L’ESPACE ESPACE Découvert Découverte de l’ ESPACE ESPACE OBLIQUE ESPACE VIERGE ESPACE EUCLIDIEN ESPACE Aérien ESPACE GRIS ESPACE TORDU ESPACE DU RÊVE BARRE D’ESPACE PROMENADE DANS L’ESPACE Géométrie dans l’ESPACE REGARD BALAYANT L’ESPACE ESPACE TEMPS ESPACE MESURÉ LA CONQUÊTE DE L’ESPACE ESPACE MORT ESPACE D’UN INSTANT ESPACE CÉLESTE ESPACE IMAGINAIRE ESPACE NUISIBLE ESPACE BLANC ESPACE DU DEDANS LE PIÉTON DE L’ESPACE ESPACE BRISÉ ESPACE ORDONNÉ ESPACE VÉCU ESPACE MOU ESPACE DISPONIBLE ESPACE PARCOURU ESPACE PLAN ESPACE TYPE ESPACE ALENTOUR TOUR DE L’ESPACE AUX BORDS DE L’ESPACE ESPACE D’UN MATIN REGARD PERDU DANS L’ESPACE LES GRANDS ESPACES L’ÉVOLUTION DES ESPACES ESPACE SONORE ESPACE LITTÉRAIRE L’ODYSSÉE DE L’ESPACE L'apparTEMENT "pendant deux ans, j’ai eu une très vieille voisine. Elle habitait l’immeuble depuis soixante-dix ans" 8 L’appartement 1 Pendant deux ans, j’ai eu une très vieille voisine. Elle habitait l’immeuble depuis soixante-dix ans, elle était veuve depuis soixante ans. Pendant les dernières années de sa vie, après qu’elle se fut cassé le col du fémur, elle n’est jamais allée plus loin que sur le palier de son étage. La concierge, ou un jeune garçon de l’immeuble, lui faisait ses commissions. Plusieurs fois, elle m’a arrêté dans l’escalier pour me demander quel jour on était. Un jour, je suis allé lui chercher une tranche de jambon. Elle m’a offert une pomme et m’a invité à entrer chez elle. Elle vivait au milieu de meubles extrêmement sombres qu’elle passait son temps à frotter. 2 Il y a quelques années, un de mes amis a formé le projet de vivre un mois entier dans un aéroport international, sans jamais en sortir (sinon, tous les aéroports internationaux étant par définition 9 identiques, pour prendre un avion qui l’aurait conduit dans un autre aéroport international). À ma connaissance, il n’a jamais réalisé ce projet, mais on ne voit guère ce qui pourrait objective­ ment l’en empêcher : l’essentiel des activités vi­ tales et la plupart des activités sociales peuvent sans peine s’accomplir dans le cadre d’un aéro­ port international : on y trouve des fauteuils pro­ fonds et des banquettes pas trop inconfortables, et souvent, même des salles de repos où les voya­ geurs en transit peuvent faire un léger somme ; on y trouve des toilettes, des bains-douches, et, fréquemment, des saunas et des hammams ; on y trouve des coiffeurs, des pédicures, des infirmiè­ res, des masseurs-kinésithérapeutes, des cireurs, des pressings-minute qui se font également un plaisir de réparer les talons et de faire un double des clés, des horlogers et des opticiens; on y trou­ ve des restaurants, des bars et des cafétérias, des maroquiniers et des parfumeurs, des fleuristes, des libraires, des disquaires, des marchands de tabac et des confiseurs, des marchands de stylos et des photographes ; on y trouve des magasins d’alimentation, des cinémas, une poste, des ser­ vices de secrétariat volant, et évidemment, une 10 flopée de banques (car il est pratiquement impos­ sible, de nos jours, de vivre sans avoir affaire à une banque). L’intérêt d’une telle entreprise tiendrait surtout dans son exotisme : une déplacement, plus appa­ rent que réel, des habitudes et des rythmes, de pe­ tits problèmes d’adaptation. Cela deviendrait sans doute assez vite fastidieux ; en fin de compte, cela serait trop facile et, par conséquent, peu probant : un aéroport, vu sous cet angle, n’est rien d’autre qu’une sorte de galerie marchande : un simulacre de quartier ; il offre, à peu de choses près, les mê­ mes prestations qu’un hôtel. On ne pourrait donc tirer d’une telle entreprise aucune conclusion pratique, ni dans le sens de la subversion ni dans le sens de l’acclimatation. Au mieux, on pourrait s’en servir comme sujet de reportage, on pourrait s’en servir comme sujet de reportage, ou comme point de départ d’un énième scénario comique. 3 Une chambre, c’est une pièce dans laquelle il y a un lit ; une salle à manger, c’est une pièce dans la­ quelle il y a une table et des chaises, et souvent un 11 buffet ; un salon, c’est une pièce dans laquelle il y a des fauteuils et un divan ; une cuisine, c’est une pièce dans laquelle il y a une cuisinière et une ar­ rivée d’eau; une salle de bain, c’est une pièce dans laquelle il y a une arrivée d’eau au-dessus d’une baignoire; quand il y a seulement une douche, on l’appelle salle d’eau; quand il y a seulement un lavabo, on l’appelle cabinet de toilette; une en­ trée, c’est une pièce dont au moins une des portes conduit à l’extérieur de l’appartement; accessoi­ rement, on peut y trouver un portemanteau; une chambre d’enfant, c’est une pièce dans laquelle on met un enfant; un placard à balais, c’est une pièce dans laquelle on met les balais et l’aspirateur ; une chambre de bonne, c’est une pièce que l’on loue à un étudiant. De cette énumération que l’on pourrait facilement continuer, on peut tirer ces deux conclusions élé­ mentaires que je propose à titre de définitions: 1. Tout appartement est composé d’un nombre variable, mais fini, de pièces; 2. Chaque pièce a une fonction particulière. 12 Il semble difficile, ou plutôt il semble dérisoire de questionner ces évidences. Les appartements sont construits par des architectes qui ont des idées bien précises sur ce que doivent être une entrée, une salle de séjour (living-room, réception), une chambre de parents, une chambre d’enfant, une chambre de bonne, un dégagement, une cuisine et une salle de bain. Mais pourtant, au départ, tou­ tes les pièces se ressemblent peu ou prou, ce n’est pas la peine d’essayer de nous impressionner avec des histoires de modules et autres fariboles : ce ne sont jamais que des espèces de cubes, disons des parallélépipèdes rectangles ; ça a toujours au moins une porte et, encore assez souvent, une fe­ nêtre ; c’est chauffé, mettons par un radiateur, et c’est équipé d’une ou de deux prises de courant (très rarement plus, mais si je commence à parler de la mesquinerie des entrepreneurs, je n’en aurai jamais fini). En somme, une pièce est un espace plutôt malléable. Je ne sais pas, je ne veux pas savoir, où commen­ ce et où finit le fonctionnel. Ce qui m’apparaît, en tout cas, c’est que dans la partition modèle des appartements d’aujourd’hui, le fonctionnel fonc­ 13 tionne selon une procédure univoque, séquentiel­ le, et nycthéméral (voilà la plus belle phrase du livre !) : les activités quotidiennes correspondent à des tranches horaires, et à chaque tranche horaire correspond une des pièces de l’appartement. En voici un modèle à peine caricatural : 07.00 La mère se lève et va préparer le petit déjeuner dans la CUISINE 07.15 L’enfant se lève et va dans la SALLE DE BAINS 07.30 Le père se lève et va dans la SALLE DE BAINS 07.45 Le père et l’enfant prennent leur petit déjeuner dans la CUISINE 08.00 L’enfant prend son manteau dans L’ENTRÉE et s’en va l’école 08.15 Le père prend son manteau dans l’ENTRÉE et s’en va au bureau 08.30 La mère fait sa toilette dans la SALLE DE BAINS 08.45 La mère prend l’aspirateur dans le PLACARD À BALAIS et fait le ménage (elle passe alors par toutes les pièces de l’appartement, mais je renonce à les énumérer) 09.30 La mère revient du marché et remet son 14 manteau dans l’ENTRÉE 10.45 La mère prépare le déjeuner dans la CUISINE 12.15 Le père revient de son bureau et accroche son manteau dans l’ENTRÉE 12.30 Le père et la mère déjeunent dans la SALLE À MANGER (L’enfant est demi-pension­ naire) 13.15 Le père prend son manteau dans l’ENTRÉE et repart à son bureau 13.30 La mère fait la vaisselle dans la CUISINE 14.00 La mère prend son manteau dans l’ENTRÉE et sort se promener ou faire des courses avant d’aller chercher l’enfant à la sortie de l’école 16.15 La mère et l’enfant reviennent et remettent leurs manteaux dans l’ENTRÉE 16.30 L’enfant prend son goûter dans la CUISINE 16.45 L’enfant va faire ses devoirs dans sa CHAMBRE D’ENFANT 18.30 La mère prépare le dîner dans la CUISINE 18.45 Le père revient de son bureau et remet son manteau dans l’ENTRéE 15 18.50 Le père va se laver les mains dans la SALLE DE BAINS 19.00 Toute la petite famille dîne dans la SALLE A MANGER 20.00 L’enfant va se laver les dents dans la SALLE DE BAINS 20.15 L’enfant va se coucher dans sa CHAM­ BRE D’ENFANT 20.30 Le père et la mère vont au SALON ils re­ gardent la télévision, ou bien ils écoutent la radio ou bien ils jouent aux cartes, ou bien le père lit le journal tandis que la mère fait de la uploads/Geographie/ especesdespaces.pdf

  • 30
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager